Un nouveau fléau guette les télétravailleurs: le team-out
Après le burn-out, le bore-out, le brown-out ou encore le fade-out, voici qu’un nouveau fléau guette à présent les tététravailleurs solitaires: le team-out.
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Publié le 22-10-2020 à 17h28 - Mis à jour le 24-10-2020 à 18h56
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Devenu la norme depuis la crise du Covid-19, pour un travailleur sur deux de manière totale ou partielle, le télétravail s’est installé parmi nous avec plus ou moins de bonheur, selon les cas: accueilli avec joie par les uns qui y voient moult avantages, accepté par la force des choses par d’autres qui s’en sont accommodés ou alors carrément mal vécu par certains qui ne conçoivent pas leur travail sans la compagnie de leurs collègues. Souffrant de cette absence d’esprit d’équipe, inhérent au télétravail et pourtant si crucial dans bien des cas, certains employés semblent à présent plonger insidieusement dans le team-out.
Stress accru, baisse de motivation ou pire
“C’est en effet un nouveau danger qui menace les entreprises. Il s’agit de la perte de connexion avec vos collègues en raison d’un excès de télétravail”, met en garde Alexandra Bouisseau, conseillère en prévention psychosociale chez Mensura, Service externe pour la prévention et la protection au travail.
C’est que le télétravail généralisé n’est pas forcément simple à gérer, pour de multiples raisons. Etablir une relation équilibrée entre le travail au bureau - pour autant qu’il en reste - et à la maison - pour le plus clair du temps - ne se fait toujours aussi naturellement qu’on le voudrait. “Si la relation entre le travail à domicile et le travail au bureau est déséquilibrée, certains employés éprouvent des sentiments d’isolement, de manque de structure et de soutien, ou ils ne savent pas ce qu’on attend d’eux. Avec pour conséquence, du stress, une baisse de productivité ou de motivation, l’incertitude quant à leurs propres capacités ou pire encore”, poursuit la conseillère, qui appelle les employeurs à prêter attention à ce phénomène et à s’assurer que les membres de l'équipe restent suffisamment connectés entre eux.
Le bénéfice de l’informel au travail
“Au niveau du télétravail, il faut en effet être prudent, nous confirme le Pr Olivier Luminet, professeur de psychologie de la santé à l’UCLouvain. Et, au maximum, laisser l’option aux gens d’avoir au moins une fois de temps en temps des moments de sociabilité. Pour beaucoup de personnes, le fait d’être éloignées pendant des mois de leur milieu de travail est très pénible. Certains ne sont même jamais retournés sur leur lieu de travail. Or, on a pu décrire chez ceux qui sont retournés de manière même partielle tout le bénéfice que constitue l’informel au travail. Les réunions par vidéoconférences permettent de garder une efficacité formelle dans la mesure où les objectifs continuent à être atteints, mais cela enlève toute la partie informelle qui est essentielle au lien social. Le bonheur au travail vient en partie aussi du fait qu’à certains moments de la journée, on partage un café avec un collègue, que l’on échange des choses qui ne sont pas directement liées au travail… Cela renforce nos liens, notre motivation. Or, avec le confinement et le télétravail, nous en avons été privés”.
Il faut permettre une certaine flexibilité
Si permettre le télétravail est important, tout comme rappeler que l’on doit rester un maximum chez soi parce qu’il faut limiter les déplacements et les contacts, il faut aussi dire, selon ce professeur de psychologie de la santé, que l’on permet en rotation de venir au travail, par exemple une fois par semaine, pour rencontrer des collègues avec lesquels échanger. “Ne pas imposer le télétravail me paraît important, souligne-t-il. On doit certainement le conseiller vivement, mais aussi permettre des moments de sociabilité. Tout en sachant que certaines personnes sont tellement anxieuses et que, au contraire, le fait de leur imposer le retour au travail empire leur anxiété. Il est important, selon moi, de permettre cette flexibilité par rapport au besoin de sociabilité ou des craintes de chacun”.
Quant à savoir ce qu’est une vraie bonne répartition entre travail à domicile et travail au bureau, le service de consultance flamand Serv estime qu’une moyenne de deux jours de télétravail par semaine est l’idéal. Au-delà de cette période, les avantages ne l’emporteraient pas sur les inconvénients. “Personnellement, je vois davantage de bienfaits dans une approche individuelle basée sur la théorie de l’autodétermination, une macro-théorie sur la motivation humaine, réagit Alexandra Bouisseau. Cette théorie affirme que les gens fonctionnent de manière optimale et se sentent bien lorsque trois besoins psychologiques fondamentaux sont satisfaits : la connectivité, la compétence et l’autonomie”.
Que penser des visioconférences?
Une autre question à se poser est de savoir si, en cas de télétravail prolongé, les visioconférences peuvent, dans une certaine mesure, répondre au besoin de connectivité? “Aucun contact numérique ne remplace le contact physique réel, répond à cela la représentante de Mensura. Le sentiment de compétence peut être mis sous pression suite au travail à distance. Tout le monde ne se sent pas comme un poisson dans l’eau au niveau numérique. Ceux qui se sentent moins en sécurité à cet égard se désengageront davantage. Enfin, l’expérience de l’autonomie est une question d’autodétermination. Selon la marge de manœuvre que lui laisse son supérieur, un employé peut se sentir trop ou trop peu libre ou contrôlé”.
Quelques solutions à envisager
Dès lors, quel rôle doit jouer le manager lorsqu’il travaille à domicile afin de veiller au bien-être collectif et individuel, mais aussi aider à prévenir le team-out? “Lors de check-in virtuels réguliers, il peut se consacrer aux émotions et établir activement un lien, répond Alexandra Bouisseau. Selon la culture au sein d’une équipe ou d’une organisation, cela peut se faire de différentes manières. Certaines organisations utilisent une “prévision météorologique interne”, durant laquelle les employés indiquent à leur tour s’ils se sentent “nuageux” ou “ensoleillés”. Il existe aussi “la douche des compliments”, au cours de laquelle les coéquipiers font des compliments sincères à un collègue pendant une minute. Vous pouvez même faire le plein de litres de carburant mental par voie numérique”.
Et si, malgré tout cela, le team-out d’un employé se fait ressentir, un responsable se devra d’entamer la discussion en temps voulu, être à l’écoute et soutenir le membre de son équipe qui est en détresse . “En plus des check-in en ligne, il doit y avoir des moments de contact fixes où tous les membres de l’équipe se rencontrent en personne, complète la spécialiste. De cette façon, l’environnement de travail devient avant tout un lieu de rencontre. Dans un tel moment, pourquoi ne pas prévoir des pâtisseries ou un plateau de fruits frais? La dynamique de groupe fera le reste”. A bon entendeur...
A savoir
Brown-out : état de surmenage, d’absence d’énergie et de démotivation précédent le stade du burn-out.
Burn-out : état d’épuisement mental et physique lié à une sur-stimulation au travail. Il s’accompagne chez le collaborateur d’une distanciation mentale, d’un dérèglement cognitif et d’une perte de contrôle émotionnel.
Bore-out : état de stress (et/ou ennui) engendré suite à la sous-stimulation au travail, c’est-à-dire ne pas avoir suffisamment de travail ou de défis au travail.
Fade-out : risque qu’un travailleur absent de longue durée disparaisse peu à peu du paysage de l'entreprise et finisse par ne plus y revenir.
Team-out : perte de connexion avec les collègues et l’entreprise.