Pourquoi le coronavirus se fait-il rare dans l’est de l’Asie ?
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Publié le 25-10-2020 à 09h21 - Mis à jour le 26-10-2020 à 17h38
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Pendant que l’Europe et l’Amérique luttent désespérément contre le coronavirus, l’est de l’Asie reste peu touché ; les nouveaux cas apparus cet été n’ont certainement pas atteint l’ampleur de la seconde vague qui déferle actuellement sur l’Europe. Alors qu’on compte, depuis le début de la pandémie, près de 23 300 cas par million d’habitants en Belgique, ce ratio est de 3 au Laos, 12 au Vietnam, 53 en Thaïlande, 62 en Chine, 498 en Corée du Sud, 748 au Japon, 1 350 en Indonésie - pour ne citer qu’eux -, selon les chiffres de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). "Dans l’ensemble, 1 % de tous les nouveaux cas et décès hebdomadaires ont été signalés dans la région du Pacifique occidental" , relève l’OMS dans sa lettre épidémiologique hebdomadaire. Un pour cent seulement, dont la majorité a été enregistrée aux Philippines, en Malaisie et au Japon. La Chine, où le nouveau coronavirus avait fait son apparition à la fin de l’an dernier, se targue aujourd’hui d’avoir quasi éradiqué le virus sur son sol.
Pour quelles raisons les pays de l’Est asiatique s’en sortent-ils mieux ? "Il n’y a pas d’explication virologique" , relève le Dr Jean Ruelle (UCL). "Même si l’on observe que les souches changent petit à petit, on ne dispose pas d’indication permettant de dire que c’est la cause de cette plus faible transmission." Le virologue écarte aussi, à ce stade, la piste de modifications génétiques qui protégeraient naturellement la population asiatique. "On n’a pas du tout d’indice en ce sens, au contraire ."

Masques et distanciation physique
Les raisons sont à chercher ailleurs, dans les comportements culturels notamment. Du Laos à la Corée du Sud, le port du masque est ancré dans les habitudes, pour se protéger de la pollution ou des infections. Lorsque l’obligation de le porter a été décrétée au Vietnam par exemple, "les gens n’ont pas eu à changer leur comportement quotidien de manière significative" , témoigne l’anthropologue Van Minh Nguyen (doctorant à l’ULB). Et cela "a été une vraie barrière à la première vague" , estime le médecin épidémiologiste Yves Coppieters (ULB). Dans la région, on se salue de surcroît sans contact. "On a peu d’interactions physiques dans nos relations sociales, on ne se serre pas la main, on ne s’embrasse pas" , note Van Minh Nguyen. "Il ne faut pas spécialement faire attention à la distanciation sociale parce qu’il y en a déjà une entre les gens."
Les États d’Asie étaient aussi déjà sensibilisés aux risques liés aux épidémies de coronavirus : ils avaient traversé l’épreuve du syndrome respiratoire aigu sévère (Sras) apparu en Chine en 2002. Cette expérience, dont ils ont tiré les leçons, a joué sur leur réactivité au déclenchement de la pandémie actuelle. "Ils avaient établi, en Corée du Sud et au Vietnam par exemple, de vrais plans de gestion des épidémies de maladies infectieuses" , constate Yves Coppieters. "Leur système de santé est beaucoup plus réactif que chez nous."
Cela n’a, certes, pas empêché la Chine, à l’apparition de la maladie, de cacher délibérément la réalité et de perdre un temps précieux dans la lutte contre le coronavirus. Mais, une fois l’information dévoilée et transmise, cela a permis aux pays de réagir très rapidement avec des mesures parfois très restrictives - fermeture des frontières, des magasins, des écoles, mise en quarantaine, lockdown de villes et de régions. Cette réactivité a encore été démontrée cet été quand, au 100e jour d’accalmie au Vietnam, une douzaine de cas sont apparus dans la ville touristique de Da Nang : les habitants ont été exhortés à rester chez eux et les transports - taxis, avions, bus, bateaux - ont été mis à l’arrêt pendant plus d’un mois.

Une forte capacité de testing
"Pour gérer une épidémie, c’est assez simple, il faut trouver les malades, les isoler et isoler leurs contacts. Ceux qui s’en sortent beaucoup mieux sont ceux qui arrivent à faire cela. Nous, on n’y est pas arrivés depuis le début ", résume le Pr Coppieters. L’une des forces, en Corée du Sud, au Vietnam ou à Taïwan, par rapport à la Belgique, c’est la capacité de testing, qui permet de découvrir ou confirmer des cas, de "remonter les contacts, les contacts des contacts, beaucoup plus loin que ce qu’on n’a jamais pu faire chez nous" , et d’isoler ceux qui doivent l’être, relève le professeur de santé publique.
La Chine a poussé la logique à son paroxysme, mi-octobre, en testant près de 10 millions de personnes en quelques jours dans la cité balnéaire de Qingdao, après la découverte d’un mini-foyer de coronavirus. "Je ne vante pas cela mais, sur le plan sanitaire, je peux croire que c’est efficace. Si l’on testait toute la Belgique en une semaine - 10 millions d’habitants également -, cette épidémie pourrait disparaître."
Intrusions dans la vie privée
Pour être efficace, une stratégie doit aussi pouvoir s’appuyer sur "une population qui y adhère un minimum" . Si le traçage des contacts a fait ses preuves en Corée du Sud et à Taïwan, entre autres, les Européens ne sont pas prêts à en payer le prix en termes de respect de leur vie privée. Il peut, de fait, se révéler très intrusif dans certains pays. "Les cas détectés au Vietnam sont rendus publics. J’ai reçu, comme tout le monde, sur mon téléphone des informations sur les personnes - leur nom, leur lieu de résidence, etc. - qui ont été testées positives" , témoigne Van Minh Nguyen. "Si vous entrez en contact avec cette personne, vous devez vous mettre en quarantaine. Au Vietnam, il n’y a pas de discussion sur la violation de la vie privée, comme on peut s’y attendre dans une république socialiste", État communiste à parti unique.
Culturellement la communauté l’emporte sur l’individu et le respect des règles est sans doute plus ancré dans l’est de l’Asie qu'ailleurs. En Inde par exemple, autre géant asiatique où le nombre de cas - même sous-estimé eu égard aux capacités de testing - se révèle incomparablement plus élevé (5 544 par million d'habitants). "Les populations en Asie de l'Est, en Corée du Sud ou au Japon par exemple, ont une culture de la discipline que nous n'avons pas", pense l'épidémiologiste indienne Debarati Guha – Sapir, professeure émérite à l'UCLouvain. "L'Inde a aussi une masse de gens pauvres, qui sont entassés, analphabètes, dont les conditions de vie et de santé ont un grand effet sur la propagation de la maladie."
Mais un régime, lorsqu’il est autoritaire comme la Chine ou le Vietnam, dispose aussi d’armes dont les démocraties n’usent pas pour faire respecter ses décisions. "Une dictature avec un maillage du territoire aussi serré que celui du Parti communiste chinois peut beaucoup mieux faire respecter des mesures de confinement par exemple. On ne demande pas l’avis aux personnes, on ne compte pas sur leur responsabilité, non, on les oblige" , rappelle Thierry Kellner, chargé de cours à l’ULB, spécialiste de la Chine. "Plus de 4,1 millions d’organisations du PCC quadrillent la société jusque dans la plus petite unité des campagnes ou dans les quartiers résidentiels des villes. À cela, vous ajoutez la surveillance électronique, les caméras dans l’espace public, la reconnaissance faciale…"
"Fatalement, ces régimes centralisés ou à parti unique permettent des stratégies de santé publique beaucoup plus intrusives dans la vie privée et qui, en termes purement sanitaires, ont des résultats" , observe Yves Coppieters. Mais cela ne suffit pas, et ce n'est certainement "pas acceptable dans nos sociétés et nos démocraties".