Dans quels cas est-on censé être immunisé contre le Covid-19 ?
Pr Pierre Coulie, professeur d’immunologie à l’UCLouvain, répond à nos questions
/s3.amazonaws.com/arc-authors/ipmgroup/1ceeccb3-2097-46f3-8d46-df0c56746447.png)
- Publié le 14-01-2021 à 06h43
- Mis à jour le 14-01-2021 à 20h11
:focal(7485x2005:7495x1995)/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/C4YXISY4F5D4DLD2KEBAXAKRSY.jpg)
D’ici à ce que l’on atteigne une immunité collective vis-à-vis du Covid-19, de nombreuses questions bien légitimes se posent à nous. Et notamment quant à la protection générée par les anticorps produits par exemple à la suite d’une infection au nouveau coronavirus. Nous les avons posées à Pierre Coulie, professeur d’immunologie à l’UCLouvain, Institut de Duve.
1. Toute personne qui a été infectée au Covid-19 produit-elle des anticorps ?
De façon générale, quelle que soit l’infection virale, donc y compris pour le Covid-19, dans la grande majorité des cas, l’organisme produit des anticorps. Ils apparaissent en principe environ sept jours après qu’il est rentré en contact avec le virus. La période d’incubation dure environ cinq jours. Après quoi, on devient contagieux puis, deux jours après, symptomatique. La production d’anticorps ne commence qu’après une période incompressible appelée "fenêtre sérologique". Après cinq à sept jours - selon la sensibilité du test - on peut détecter les premiers anticorps, il s’agit des IgM. Ces immunoglobulines M sont produites rapidement et vont ensuite disparaître endéans le mois. Leur présence signe donc une infection récente. Produits à partir du 10e jour environ, les anticorps IgG sont plus intéressants dans la mesure où ils ont une mémoire : ils vont persister pendant des mois, voire des années. Les IgG ont aussi plus d’affinité pour ce qu’ils reconnaissent et donc ils vont se lier avec plus de force aux virus. Une partie des anticorps IgM puis IgG sont neutralisants. Cela signifie qu’en se liant aux virus, ils les empêchent d’infecter les cellules, donc de se reproduire. Ils ont ainsi la capacité de bloquer l’infection.
2. Comment détecte-t-on la présence d’anticorps ?
Pour détecter la présence d’anticorps, on peut faire des tests sérologiques de routine, souvent avec la technique Elisa. Cela consiste à mettre en contact le sérum, c’est-à-dire le liquide du sang de la personne, avec des antigènes (petits morceaux de virus qui sont reconnus). Ensuite, on mesure l’accrochage des anticorps qui se trouvent dans le sérum à ces petits fragments de virus. Cela permet de savoir si, oui ou non, il y a des anticorps et si ce sont des IgM (signe d’une infection très récente) ou des IgG (signe que l’infection date d’au moins deux semaines).
3. La quantité d’anticorps présents après la maladie dépend-elle du degré de sévérité des symptômes ?
Oui, clairement. Le fait d’avoir développé des symptômes sévères signifie que l’on a produit beaucoup de virus. La réponse immunitaire de la personne va être d’autant plus intense que la quantité du virus présente dans son organisme va être élevée. Il y a donc bien une corrélation entre la sévérité des symptômes et la quantité d’anticorps produits. Quant à savoir si une personne asymptomatique peut produire des anticorps, oui, mais comme la quantité peut être faible, il arrive que les tests de routine ne les détectent pas parce qu’ils ne sont pas prévus pour cela. D’où une sérologie Covid négative.
4. Peut-on être protégé si la sérologie est négative?
Oui, tout à fait. Une personne peut être protégée alors que la sérologie de routine (dont l’objectif premier est de savoir si une personne a été ou non contaminée) n’a pas détecté chez elle d’anticorps. Pourquoi ? Parce que la sérologie détecte la présence d’anticorps mais pas nécessairement d’anticorps neutralisants. Les anticorps neutralisants reconnaissent presque tous la protéine S à la surface du virus et l’empêchent d’interagir avec son récepteur à la surface de nos cellules. Cette interaction est la toute première étape de l’infection. Pour savoir si on a des anticorps neutralisants, il faut faire un test de neutralisation du virus par le sérum, ce qui ne se fait pas en routine. De plus, la majorité des tests sérologiques cherchent plutôt les anticorps contre une autre protéine du virus, qui n’est pas impliquée dans la neutralisation. On fait cela parce que c’est plus sensible : on détecte plus de personnes avec des anticorps, donc qui ont été infectées. Par conséquent, un test sérologique négatif ne veut pas dire qu’on n’est pas protégé, et un test positif ne veut pas dire qu’on est protégé.
5. La qualité des anticorps est-elle variable d’un individu à l’autre ?
Oui. Que faut-il entendre par "qualité" ? Il faut voir quelle partie du virus exactement est reconnue. Si, par exemple, on fait des anticorps contre des parties qui se trouvent à la surface du virus, certains pourront être neutralisants puisqu’ils vont se mettre sur le virus et empêcher l’interaction avec le récepteur. Mais il peut aussi arriver que l’on fasse des anticorps avec des morceaux internes du virus. Or ceux-là, même s’ils montrent que l’on a rencontré le virus, ne sont en aucun cas des anticorps neutralisants, dont l’intérêt est précisément de protéger contre une réinfection. Il y a donc de grandes différences de qualité et d’efficacité entre les anticorps.
6. Pendant combien de temps ces anticorps offrent-ils une protection ?
Une des dernières études parues à ce sujet montre que, huit mois après avoir été infectées, des personnes ayant développé des formes sévères de la maladie ont encore des quantités d’anticorps qui paraissent compatibles avec une protection. Plus on avance dans le temps et plus on s’aperçoit que la protection se prolonge. Par contre, en cas d’infection asymptomatique, la présence d’anticorps est moindre et moins durable. Et l’on ne sait pas encore exactement quelle est la quantité minimale d’anticorps qui confère une protection.
7. Peut-on avoir des anticorps contre le Covid-19 sans avoir fait la maladie ?
Oui, il est clair que des personnes ont des anticorps capables de reconnaître le SARS-CoV-2 qu’ils ont vraisemblablement acquis par des infections avec des coronavirus apparentés. Certains virus de ce type peuvent donner des rhumes, par exemple. Quant à dire qu’ils sont protégés pour autant contre le Covid-19, cela n’a pas été démontré jusqu’ici.
8. La protection du vaccin sera-t-elle supérieure à l’immunité naturelle ?
On peut l’espérer. L’immunité contre la fameuse protéine S peut, par la vaccination, être aussi forte que celle acquise suite à une forme sévère de la maladie. Mais lors d’une infection, on développe une réponse immunitaire plus diversifiée que simplement des anticorps contre la protéine S du vaccin. Des anticorps contre d’autres protéines du virus (il y en a une vingtaine), d’autres choses que les anticorps, comme les lymphocytes T tueurs, qui contribuent également à la protection. Comme déjà dit, quand on a une immunité naturelle contre d’autres composants du virus qui ne se trouvent pas dans le vaccin (il existe une vingtaine de protéines dans le virus), on génère aussi une immunité. On ne sait donc pas si, même avec une immunité contre la protéine S conférée par le vaccin aussi bonne qu’après une infection, la durée et la qualité de la protection seront identiques. Pour la durée de la protection, c’est pareil : "A priori, je donnerais un petit avantage à l’infection sur la vaccination, mais nous n’avons pas encore les données", nous a dit le Pr Coulie.
9. Les vaccins protégeront-ils contre tous les virus mutants à venir ?
Non, pas toujours. Ou la protection pourrait être seulement diminuée. Tout dépendra du variant. On sait que le vaccin Pfizer/BioNTech semble protéger contre le variant britannique, en revanche cela pourrait ne pas être le cas pour le variant sud-africain. Il faut à chaque fois étudier la structure du virus muté et voir où se situent les changements. Et si les anticorps générés par les vaccins reconnaissent exactement ces parties-là ou pas. Cela dit, pour qu’un variant ne soit plus reconnu du tout, il faut vraiment qu’il ait beaucoup changé.
10. Une personne qui a des anticorps peut-elle transmettre le virus ?
Oui, comme indiqué plus haut, avoir les anticorps détectés par la sérologie de routine ne signifie pas être protégé. Et si on n’est pas protégé, cela veut dire qu’on peut être infecté et produire du virus qui peut contaminer d’autres personnes... Cela reste cependant peu probable.