Bernard Rentier (virologue): "Pour les experts de Vandenbroucke, l'idéal est d'enfermer tout le monde. Mais il existe une stratégie alternative"
"Quand je présente ma vision de la gestion de crise, je passe pour un insensible, un sans-coeur", regrette l'ancien recteur de l'Université de Liège.
/s3.amazonaws.com/arc-authors/ipmgroup/459220c6-2d8f-4e4e-9cb7-598067107ccf.png)
- Publié le 30-01-2021 à 11h47
- Mis à jour le 07-12-2021 à 14h47
/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/JTQJNQA2A5BV3PURLAYVCCMARY.jpg)
Fort d'une cinquantaine d'années de carrière comme biologiste et virologue, Bernard Rentier, aujourd'hui retraité, scrute les chiffres du Covid-19 et épluche les articles scientifiques. L'ancien recteur de l'Université de Liège se dit usé d'entendre les discours anxiogènes de certains experts de la santé. Heurté d'avoir été qualifié de "rassuriste" et même de "marchand de déni" lors de la deuxième vague, le septuagénaire maintient qu'une autre approche de l'épidémie est possible. Bernard Rentier est l'Invité du samedi de LaLibre.be.
La situation épidémiologique actuelle est-elle vraiment inquiétante, comme l'assurent certains experts de la santé ?
Leurs sorties contribuent à entretenir l'anxiété afin que nous respections bien les mesures. Ils brandissent la menace de la troisième vague. C'est ce qui arrivera très probablement, mais uniquement si on se permet un relâchement massif des règles, sans discernement. Quel est l'élément qui les autorise à annoncer cette troisième vague ? Qu'un virus circule, qu'on ait des nouveaux cas, c'est relativement normal. Certes, on voit monter le nombre, mais la toute grande majorité des personnes ne sera pas malade, en particulier les jeunes. On est nettement plus bas que ce qu'on a connu en termes de contaminations, d'hospitalisations, de places occupées en soins intensifs et de décès. Face à la situation actuelle, je vois deux interprétations possibles : soit on gère de mieux en mieux, soit le variant est moins pathogène qu'annoncé, ou les deux combinés.
Cette deuxième option s'oppose aux avertissements véhiculés ces derniers jours...
Certains annoncent que ce variant britannique qui circule en Belgique est plus dangereux. Or, la seule chose qu'on sache - et encore, certains le contestent - c'est qu'il circulerait plus vite. Mais, généralement, un variant plus rapide peut être également moins pathogène. Donc, malgré les discours actuels, on peut encore douter que les mutants représentent un danger aussi immense qu’on le dit. Il faut surveiller s'ils envoient plus de gens à l'hôpital.
D'après un rapport d'experts belges en surveillance génomique, le taux de reproduction du variant britannique pourrait atteindre 1,65 en février ou mars. Mieux vaut tout faire pour éviter d'en arriver là...
C'est tout à fait possible. Mais, pour le moment, ce taux se réduit et est même passé sous 1. On ne voit donc pas les signes d'une remontée. C’est usant d'entendre "tout descend, donc ça va monter". Depuis le début de la crise, je demande qu'on n'interprète pas exagérément les chiffres. En août, j'étais intimement persuadé que la deuxième vague allait arriver un jour, mais elle ne se voyait pas à ce moment-là dans les chiffres. J'ai osé dire que rien ne permettait d'affirmer cette arrivée, et j'ai alors été qualifié de "rassuriste". On nous a fait lanterner pendant des semaines et il ne s'est finalement rien passé jusqu'en octobre...
Même le ministre de la Santé, Frank Vandenbroucke, se montre très alarmiste. Va-t-il trop loin ?
Ses défenseurs disent qu'il a raison car, d'après eux, c'est quand tout va bien qu'il faut se préparer à une situation où tout va mal. Son entourage scientifique est constitué d'experts qui estiment qu'il faut essayer d'arriver au risque zéro, l'idéal étant d'enfermer tout le monde. Et on relâchera après la campagne de vaccination massive. Ils ne s'interrogent pas sur une stratégie alternative. Depuis 100 ans, ce qu'on avait toujours fait quand il y avait une épidémie, c'était affronter le virus, en se préservant le mieux possible, mais en vivant avec. Certains traduisent de tels propos en un "sacrifie des plus âgés". Mais c'est ridicule ! Peut-être que la logique des vieux virologues comme moi est dépassée, mais j'estime qu'on devrait protéger les personnes à risque et entraver le moins possible la vie de tous les autres.
À cet égard, je travaille avec un groupe créé par le LISER (Institut de Recherche socio-économique du Grand-Duché de Luxembourg) et Progress Consulting (une société de conseil en management spécialisée dans la gestion de problèmes complexes et multidisciplinaires, ce qui est incontestablement le cas de cette crise) et de personnalités du monde scientifique (Université de Luxembourg ainsi que du monde industriel grand-ducal). Notre objectif est de proposer une alternative à la politique globale actuelle, plus modulée et mieux adaptée à la multitude de situations différentes. En effet le Luxembourg dispose de statistiques ouvertes bien plus complètes que celles dont on peut disposer en Belgique.

Etes-vous dès lors opposé au durcissement décidé cette semaine envers les moins de 12 ans ?
C'est une décision qui consiste à mettre tout le monde dans sa cave en attendant que l'ouragan passe. Mais une épidémie de virus, ça ne passe pas. Comment survivre dans un monde pareil ? Plutôt que de renforcer les mesures, augmentons les capacités hospitalières. On est actuellement à une moyenne de 125 admissions quotidiennes (NdlR : donnée communiquée ce vendredi 29 janvier par Sciensano) pour 103 hôpitaux en Belgique. Ca ne fait même pas 1,5 personne par jour par établissement. Où se situe le débordement ? Où est l'incapacité de gestion ? Le discours consiste à faire reposer la faute sur les gens. Mais les responsables politiques auraient dû, dès après la première vague, nous mettre dans une situation qui permette de tenir le choc en renforçant les capacités hospitalières.
Le taux de reproduction, qui peine à descendre sous 1, plaide tout de même en faveur des décisions prises...
Sur quels critères doit-on se focaliser ? Ce taux dépend d'une technique de PCR avec une sensibilité énorme, qui est capable de trouver chez un individu des traces de virus alors que, dans ces conditions, le virus n'est pas transmissible. En outre, dans la communication, on a tendance à assimiler un "cas" positif à un cas contagieux. Ce n'est pas toujours vrai...
Etes-vous surpris du poids pris par les professionnels de la santé auprès des décideurs politiques ?
C'est normal qu'ils aient du poids. Ce qui m'embête c'est que, pour l'instant, les experts entendus, écoutés et suivis basent leurs réflexions sur le nombre de contaminations. Or, si le nombre d'hospitalisations ne monte pas ou monte lentement, la situation est plutôt bonne. Et donc ce n'est pas grave si les cas positifs sont en hausse. Un optimiste peut dire qu’il y a plus de contaminés mais proportionnellement moins de malades. Ces experts ont en ligne de mire la résolution du seul problème sanitaire. Peu leur importe les dégâts collatéraux du moment qu'on éradique ce virus. Mais ils doivent comprendre qu'on n'a jamais éradiqué un virus respiratoire, même avec un vaccin. On doit donc apprendre à vivre avec. Il manque, dans les experts entendus, de professionnels qui ont une autre vision de la crise : sociologues, psychologues, économistes, éducateurs...

En octobre, vous avez été taxé, par un journaliste de la RTBF, d'expert "rassuriste". Etes-vous un "marchand de déni", comme l'a affirmé ce journaliste ?
Cela m'a heurté car c'était faux. Je n'ai jamais été dans le déni, j'y crois à ce virus. Dès le mois de mai, j'annonçais la venue d'une deuxième vague que j’appelais rebond. Mais je n'imaginais pas qu'elle aurait une telle ampleur car j'étais persuadé que les capacités hospitalières allaient être augmentées... C'est une vision un peu cynique de la gestion, je suis d'accord. Evidemment, je n'apprécie pas qu'on envoie des gens à l'hôpital. Mais les choix opérés jusqu'à présent par les politiques sont-ils moins cyniques ? A partir de quel moment doit-on empêcher les gens en bonne santé de mener une vie normale, de travailler, de bénéficier de dépistages voire de soins pour d’autres maladies ? Et ce, à cause de notre apparente incapacité à gérer préventivement un nombre relativement faible de personnes à haut risque... Dès qu'on aborde ce sujet, on passe pour un insensible, un sans-coeur.
Percevez-vous de réelles différences d'approche entre experts francophones et flamands ?
Les virologues francophones pensent plutôt comme moi, à des degrés divers. L'école flamande est beaucoup plus radicale. Pour elle, il faut éradiquer le virus, peu importe le tort que ça cause. Si on accuse les francophones de faire courir de gros risques aux personnes âgées, alors on peut accuser les Flamands de faire courir de gros risques à un tas de gens (y compris les jeunes) qui auront de gros problèmes psychologiques, économiques dans un avenir proche si ce n’est déjà le cas....