Un antiviral pas assez étudié, une option "intéressante" et deux études en Belgique...: où en sont les différents traitements contre le Covid-19 ?
Par essai-erreur, la science progresse. En une année de pandémie, la crise du Covid-19 nous en a donné un très bel exemple. Les vérités d’un jour n’étaient plus forcément celles du lendemain. Et il nous faut l’admettre. En une année, les annonces de traitements prometteurs se sont succédé, donnant parfois lieu à des débats contradictoires et souvent passionnés.
- Publié le 13-02-2021 à 13h49
- Mis à jour le 13-02-2021 à 13h50
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Où en sommes-nous aujourd’hui au niveau des traitements du Sars-Cov 2 ? C’est ce que nous avons tenté de savoir en interrogeant divers spécialistes sur base d’une dizaine de médicaments que nous avons sélectionnés comme étant ceux qui nous paraissaient avoir été le plus souvent cités. Cette liste a été arrêtée avant l’annonce du traitement miracle, ou du moins annoncé comme tel par des chercheurs de Tel-Aviv (lire par ailleurs). À savoir s’il s’agit bien des dix "principaux" traitements à épingler, "on pourrait doubler, tripler, voire quadrupler, la liste si on voulait puisque tout le monde a essayé de tout et n’importe quoi", souligne l’un de nos interlocuteurs.
Quel traitement administre-t-on aujourd’hui en Belgique?
Parmi les spécialistes interrogés dans le cadre de ce dossier, le Pr Stéphane De Wit, chef de service des maladies infectieuses au CHU Saint-Pierre, centre de référence Covid, nous a expliqué qu’à l’heure actuelle, dans son hôpital - où les patients hospitalisés en soins intensifs pour une infection au Sars-Cov 2 sont aujourd’hui exceptionnels -, le premier réflexe est de proposer de les inclure dans des essais cliniques, sachant qu’un grand nombre de molécules sont en cours de développement.
"Sinon, la base du traitement se compose de la dexaméthasone si le patient est symptomatique de la Covid ; et de l’héparine (un anticoagulant, NdlR) pour éviter les thromboses qui restent un des gros problèmes de cette maladie, nous a dit ce spécialiste. Ensuite, en fonction des situations, on donnera du plasma convalescent ou des anticorps monoclonaux, si ce n’est que l’on n’y a plus accès maintenant, les essais cliniques étant terminés."
Un arsenal thérapeutique finalement très peu fourni… "Il faut reconnaître que cela reste faible, admet le Pr De Wit. On n’a pas fait beaucoup de progrès dans les traitements, à part la cortisone et l’héparine. Le reste, c’est de l’expérimental. Il y a encore énormément d’inconnues quant au traitement optimal de cette maladie. Il reste encore un très long chemin à faire pour trouver la solution. Et, à la limite, on espère ne pas devoir la trouver si on arrive à tout contrôler avec le vaccin."
Pas d’antiviral efficace
D’autre part, il faut souligner qu’à l’heure actuelle nous n’avons pas d’armes véritablement tournées vers le virus. "Nous disposons seulement de traitements qui s’attaquent à la cascade immunitaire, aux mécanismes physiopathologiques qui entraînent les formes sévères de la maladie, poursuit le Pr De Wit. On peut donc dire qu’il nous manque un antiviral efficace. On devrait pouvoir en trouver un. Mais le trouverons-nous à temps pour pouvoir gérer l’épidémie ? Je l’ignore."
Cela dit, si un antiviral efficace serait la solution, on n’en a finalement aujourd’hui que très peu, à part les antirétroviraux du VIH, les antiviraux de l’hépatite C et les anti-herpès. "Il faut reconnaître que l’on n’est pas très loin dans la thérapie antivirale en général, regrette notre interlocuteur. Il faut aussi dire que l’on n’a plus été confrontés depuis longtemps à un virus qui entraînait une surmortalité comme c’est le cas avec la Covid. De ce fait, la thérapie antivirale n’était jusqu’ici pas un besoin urgent comme ça l’est devenu aujourd’hui. Le Covid-19 a remis à l’ordre du jour la nécessité de développer des antiviraux. Il y a pour l’instant beaucoup de molécules en cours de développement, mais rien qui émerge vraiment."
Des données intéressantes a priori mais qui demandent à être confirmées
La colchicine a fait l’objet d’une étude internationale, baptisée Colcorona, entamée en mars 2020 et chapeautée par le Pr Claude Tardif, directeur du Centre de recherche de l’Institut de cardiologie de Montréal. Des résultats préliminaires de cette étude en cours de publication, il ressort que la colchicine est efficace pour prévenir les complications liées à la Covid-19, dont les hospitalisations, les intubations et les décès. Cette étude montre en effet que ce médicament, utilisé pour traiter la goutte et les péricardites, a réduit de 25 % les hospitalisations, de 50 % le besoin de ventilation mécanique et de 44 % les décès chez les 4 488 patients atteints de la Covid-19. "En Belgique, cette étude a été boudée et je n’ai pas bien compris pourquoi ; je ne comprends toujours pas la réticence du corps médical, d’une part, à participer à l’étude et, d’autre part, à administrer la colchicine, nous dit le Dr Pierre Lemaire, gériatre au CHR Mons-Hainaut et fervent défenseur de la colchicine qu’il a expérimentée. D’une part, à titre personnel, en se l’étant administrée lui-même suite à une infection au Covid et, d’autre part, auprès de ses patients testés positifs au Covid, auxquels il prescrit systématiquement, dès le diagnostic posé, ce traitement, à titre préventif, pour éviter la fameuse tempête immunitaire (cytokinique). Pour lui, il ne fait aucun doute que la colchicine a sa place en tant que "traitement précoce, c’est-à-dire dès que le diagnostic est posé. La colchicine devrait être le traitement de départ à administrer à tous les patients testés positifs à l’exception de ceux qui souffrent d’une insuffisance rénale. Je prescris la colchicine depuis des années pour la goutte et les péricardites, qui ne figurent pas parmi les indications de la notice. On connaît les effets secondaires minimes (diarrhée), mais ce médicament est efficace pour prévenir les complications de la Covid et totalement inoffensif s’il est prescrit aux doses préconisées, à savoir deux fois un demi-comprimé d’1 mg pendant trois jours et ensuite un demi-milligramme par jour pendant un mois. Avec une boîte de 20 comprimés, qui est le conditionnement classique, on couvre tout le traitement pour 5 euros".
Par rapport à l’étude canadienne publiée en préprint, le Pr Pierre-François Laterre, chef du service des soins intensifs aux Cliniques universitaires Saint-Luc, estime que "l’effet d’annonce était plus important que le contenu de l’étude. J’ai été profondément déçu. Il y a bien une différence entre le groupe traité et le groupe placebo. Mais en fait, quand on regarde leur indice combinant plusieurs effets - aggravation, décès -, on est à 4,6 % contre 6 % dans le groupe placebo. Dans un autre bras de l’étude, la différence est d’à peine 1 %. C’est statistiquement significatif, mais la relevance clinique est bien moins importante. Ce n’est pas du tout la panacée. En termes de décès, sur 2000 patients, il y a eu 9 décès, contre 5 avec la colchicine (0,2 % contre 0, 4 %). Ce n’est vraiment pas impressionnant. Pour l’instant, tout le monde attend plus de détails sur cette étude et la colchicine ne fait pas partie des traitements de première ligne".
"Pour l’instant, il est encore trop tôt pour définir la place de la colchicine mais les données sont très intéressantes, juge pour sa part le Pr Stéphane De Wit, chef de service des maladies infectieuses au CHU Saint-Pierre. Dans le cadre de la Covid-19, on sait que c’est en tant qu’anti-inflammatoire que la colchicine agit. Les données disponibles suggèrent clairement un bénéfice si le médicament est utilisé plus tôt dans la maladie comme c’est le cas dans l’étude canadienne qui s’est adressée à des patients non hospitalisés. Nous pensons aujourd’hui que chez ce type de patients la colchicine pourrait avoir sa place et, si l’épidémie reprenait, nous serions probablement amenés à l’utiliser. À savoir si la colchicine devrait remplacer la dexaméthasone, la réponse est non, pas à ce stade. L’avantage de la colchicine est qu’elle est facile à obtenir et qu’elle n’est pas chère. Le désavantage est que ce médicament, notamment administré contre la goutte, n’est pas toujours bien toléré, principalement au niveau digestif, même si ces effets indésirables restent sans gravité."
En attente de résultats publiés
L’hôpital Ichilov à Tel Aviv vient de partager des résultats du médicament contre le cancer de l’ovaire qu’il a retravaillé lui-même, l’EXO-CD24, et qu’il teste comme traitement expérimental contre le Covid-19, rapportait ce mardi LaLibre.be. Le centre de soins indique avoir administré le traitement à une trentaine de patients atteints du coronavirus et que tous se sont rétablis, vingt-neuf d’entre eux ayant même quitté l’hôpital dans les trois à cinq jours suivant la prise du médicament. Ce nouveau médicament vise un objectif bien précis : lutter contre les réactions inflammatoires extrêmes dont souffrent les malades du coronavirus qui en développent les formes les plus graves (tempête de cytokines).
"Je pense que c’est un très bon médicament. Il est administré par inhalation et va directement là où il devrait fonctionner, dans les poumons", estime le professeur Bart Lambrecht, pneumologue à l’UZ Gent, dans Het Laatste Nieuws. "Ce que fait l’EXO-CD24, c’est que les macrophages dans nos poumons fonctionnent à nouveau correctement. Les macrophages peuvent être comparés aux aspirateurs qui éliminent les cellules mortes et les virus. Mais, chez ces patients corona, les macrophages sont remplacés par de nouveaux aspirateurs, qui rendent les poumons encore plus sales et commencent à souffler la poussière. La médecine israélienne veut changer cela."
Le virologue et professeur Johan Neyts (KU Leuven), qui recherche actuellement des médicaments antiviraux dans la lutte contre le virus, rappelle dans le Nieuwsblad que beaucoup de points d’interrogation demeurent. "Nous n’avons pas encore vu les résultats exacts. Le fait qu’il s’agisse d’un outil expérimental soulève certaines questions : est-il facile de le produire une fois approuvé ? Quel est le prix ? Un tel outil n’est utile que s’il peut être utilisé à grande échelle. L’étude israélienne n’en est en effet qu’à la phase 1, et les résultats des phases suivantes doivent encore apporter beaucoup de réponses."
"Je suis attentive à voir ce qui va suivre, mais on a besoin de résultats concrets, avec des résultats publiés dans les journaux où on a la possibilité de voir toutes les données et d’évaluer nous-mêmes si cela tient la route, commente la professeure Maya Hites, infectiologue à l’hôpital Érasme. C’est la même chose avec l’étude canadienne (lire par ailleurs) pour la colchicine. Mais il faut rester attentif pour voir si cela peut être une piste thérapeutique par la suite."
Davantage d'infections bactériennes en raison de la cortisone ?
"Il n’y a aucun antibiotique qui change quoi que ce soit dans le cours de la Covid-19", résume Stéphane De Wit (CHU Saint-Pierre). Cela a d’ailleurs été très peu testé." Le seul qui ait été essayé est l’azithromycine, seul ou en combinaison avec l’hydroxychloroquine. "Non seulement cela ne change rien à l’évolution de la Covid, mais cela peut entraîner des troubles du rythme cardiaque sévères. Une association à proscrire donc ! "
Les antibiotiques ne sont pas là pour traiter le Covid-19, mais ils ont bien leur place, en "seconde intention", détaillent de leur côté Pierre-François Laterre, chef de service des soins intensifs à Saint-Luc, et Maya Hites, infectiologue à Érasme. "Dans les formes sévères et surtout dans ceux qui viennent aux soins intensifs, une portion non négligeable de patients va développer des surinfections bactériennes, dit le Pr Laterre. On a la même chose dans la grippe, dans toutes situations où les gens ont des lésions pulmonaires, avec des barrières naturelles de défense altérées, a fortiori s’ils sont sous respirateur. Ils développent des ‘pneumonies acquises sous respirateur’. On connaît bien cela, mais ici le diagnostic de pneumonie n’est pas facile à poser, puisqu’on a déjà une atteinte extensive du poumon à la radiographie de thorax avec la Covid. Ces derniers mois - octobre-novembre-décembre -, tous les hôpitaux qui soignaient les malades du Covid ont eu davantage de gens qui développaient des surinfections que lors de la première vague." L’explication ? "Lors de la deuxième vague, comme les gens recevaient de la cortisone au préalable, ils étaient beaucoup plus fragiles sur le plan des défenses immunitaires. En effet, le but de la cortisone est d’atténuer la réponse inflammatoire du corps mais donc aussi les mécanismes de défense. Et, de ce fait, il a fallu recourir plus souvent à des antiobiotiques pour traiter les complications associées à ou entraînées par, en particulier, la dexaméthasone. Durant la première vague, moins de 25 % de nos patients en USI développaient une surinfection. Durant cette deuxième vague, plus de 50 %."
À Érasme, la Pre Hites fait un constat similaire. "On est en train d’analyser nos données pour objectiver notre impression. C’est indéniable que la dexaméthasone a aidé beaucoup de patients à sortir de l’hôpital vivants : on a des meilleurs chiffres de survie que lors de la première vague. Mais, même si cela aide tout un groupe de patients, pour d’autres patients cela a augmenté les complications intra-hospitalières." Quoi qu’il en soit, "il faut détecter ces infections, faire des prélèvements microbiologiques régulièrement chez les patients, pour donner les antiobiotiques quand il le faut, sans exagérer non plus. Si on donne des antiobiotiques à tout le monde, on favorise les résistances. Et lorsqu’ils font vraiment une infection, on se trouve face à des bactéries résistantes."
Un antiparasitaire efficace... en labo
L’ivermectine est un antiparasitaire qui a une action en laboratoire sur différentes bactéries et sur différents virus dont il peut limiter la réplication. Il n’est pas utilisé dans ces indications, mais uniquement comme antiparasitaire. "Il y a très très peu de données cliniques dans le cadre du Covid-19, fait remarquer le Pr Stéphane De Wit, du CHU Saint-Pierre. L’hypothèse de l’ivermectine repose actuellement uniquement sur des données de laboratoire et des données d’intelligence artificielle. Il faut savoir que la dose qui semble pouvoir inhiber ce virus est beaucoup plus importante que les doses administrées d’habitude. Donc attention à la toxicité potentielle au niveau du système nerveux central. On ne sait dès lors pas du tout si cette option est envisageable, d’autant que, lorsqu’on a le Covid, le climat inflammatoire fait que la barrière hémato-méningée qui protège notre cerveau n’est plus aussi efficace. Donner la dose habituelle ne sert probablement à rien puisqu’il faut obtenir des taux dans le plasma beaucoup plus élevés. Et donner de très hautes doses pourrait entraîner des toxicités neurologiques sévères. Pour nous, l’ivermectine n’a aujourd’hui pas sa place."
"L’ivermectine est efficace surtout contre la gale, complète le Pr Pierre-François Laterre (Saint-Luc). Pour ses propriétés anti-inflammatoires, ce traitement a été testé pour le Covid dans des études in vitro, sur des cellules de singe. Il y a quelques données encourageantes, mais on ne sait pas encore précisément quelle dose administrer, chez quels patients et à quel moment. Un bras d’une étude est en cours en Angleterre ; elle devrait nous apporter ces réponses. Cela dit, il n’existe pas à ce jour d’études correctement menées. Il faudrait lancer une étude clinique, où on utilise l’ivermectine contre le Covid-19, en amont, en première ligne, en médecine générale."
De son côté, la Pre Maya Hites (Érasme) estime qu’il faudrait au moins des études sur les modèles animaux, en plus d’études cellulaires, avant de continuer à s’intéresser plus, pour l’être humain, à l’ivermectine (qui pourrait par ailleurs aussi avoir un effet immuno-modulateur et demanderait alors des concentrations moins élevées).
Le prix de l’ivermectine a explosé, constate-t-elle. "Le patient doit à présent payer près de 100 euros pour 8 comprimés. C’est si populaire que nous avons dû trouver d’autres fournisseurs car l’ivermectine n’est plus disponible en Belgique. Ce qui signifie que des médecins prescrivent l’ivermectine en Belgique pour le Covid et que des patients le prennent… Alors qu’il n’y a pas de recommandations officielles en ce sens. Sauter sur l’ivermectine, le donner à tout le monde, le prendre quand on est malade, c’est trop tôt. Si les études montrent que c’est efficace, je ne suis pas contre le donner en médecine générale. Mais, à ce stade, on ne peut pas le dire. Il faut garder la tête froide et faire les analyses comme il convient."
L’infectiologue se dit heureuse de voir "que de nombreuses études cliniques sont en cours pour l’ivermectine et le Covid. On devrait avoir des réponses dans le futur. L’avantage, c’est que l’ivermectine peut être produit très facilement en masse, et qu’il est relativement bien supporté."
"Morte et enterrée"
Elle est morte et enterrée", lance d’emblée Stéphane De Wit, chef de service des maladies infectieuses au CHU Saint-Pierre. C’est peu dire que l’hydroxychloroquine, médicament utilisé pour traiter certaines maladies auto-immunitaires comme la polyarthrite rhumatoïde, a déçu. Parce qu’elle représentait un espoir, notamment pour "gérer l’inflammation et la réponse immunitaire des patients", dixit le professeur Pierre Coulie, immunologue à l’Institut de Duve et professeur à l’UCLouvain.
En conséquence, l’hydroxychloroquine a donc été "abondamment utilisée en Belgique lors de la première vague, sur base de travaux préliminaires chinois et de l’équipe marseillaise (IHU) (du fameux professeur Raoult, NdlR)", observe Jean-Cyr Yombi, professeur de médecine (UCL), spécialiste des maladies infectieuses et tropicales. "Les résultats de l’étude observationnelle belge sur près de 8 000 patients ont conclu à une réduction de 25 % de la mortalité, mais, avec les nombreux biais que comporte ce type d’étude, nous ne pouvons pas tirer des conclusions…"
"On s’est fait un peu avoir", tranche pour sa part l’anesthésiste-réanimateur Laurent Jadot, spécialisé en maladies infectieuses (CHC Monlégia, Liège). Une arnaque à laquelle la Belgique n’a pas échappé, recommandant d’abord le médicament, notamment pour les patients hospitalisés et sous oxygène, avant de se raviser suite aux résultats d’études plus poussées. "Les grandes études bien contrôlées telles que Recovery (anglaise) et Solidarity (OMS) ont conclu que l’hydroxychloroquine a eu peu ou pas d’effet sur les patients hospitalisés atteints de Covid-19, que ce soit pour la mortalité globale, l’instauration de la ventilation mécanique et la durée de l’hospitalisation", embraye Jean-Cyr Yombi.
"Les seules études bien faites qui ont pu être analysées il y a quelques mois ne montrent aucun bénéfice que ce soit pour le traitement de la maladie, en prévention ou pour éviter l’évolution vers une forme sévère. Là-dessus le monde médical doit faire son autocritique", conclut Laurent Jadot.
Un antiviral pas assez étudié
L’amantadine est un antiviral, qui avait été proposé à l’origine pour le traitement préventif de la grippe. Cette molécule était censée inhiber la réplication du virus de la grippe. Comme elle a été associée à des résistances, elle n’est plus recommandée contre la grippe conventionnelle. Également suggéré pour lutter contre la maladie de Parkinson, l’amantadine a été proposé dans le cadre du Covid-19, mais il n’existe à ce jour pas d’étude sérieuse à son sujet. "C’est toujours le même principe : on réexplore de vieux médicaments que l’on a sous la main, explique le Pr Pierre-François Laterre, des Cliniques Saint-Luc. Le débat porte sur la question : si on veut l’utiliser et l’évaluer, où l’utiliser ? On se retrouve dans ce cas surtout dans les premières lignes, à savoir la médecine générale. Il faut donc une volonté, des gens qui soient prêts à mener l’étude. À l’organiser, à la financer."
"L’amantadine a été évoqué contre le nouveau coronavirus pour ses propriétés anti-inflammatoires, mais, une fois encore, il n’y a aucune donnée humaine dans le cadre du Covid-19", confirme pour sa part le Pr De Wit (CHU Saint-Pierre), qui estime que "l’amantadine n’a donc pas sa place actuellement".
"On estime qu’il peut avoir un effet sur l’acidité à l’intérieur de la cellule, et empêcher la libération du virus à l’intérieur de la cellule. On pense qu’il pourrait bloquer l’infection très tôt avant même la réplication du virus. C‘est donc quelque chose qui pourrait être potentiellement pris avant l’hôpital, mais on en est loin", détaille plus avant la Pre Maya Hites (hôpital Érasme), qui souligne comme ses collègues le manque d’études concluantes. "Et, à ma connaissance, il n’y a pas d’autres études en cours. Aujourd’hui, il n’y a pas du tout la place pour ce médicament."
Efficace mais insuffisante
La dexaméthasone est un puissant anti-inflammatoire de la famille des corticostéroïdes. "On ne s’attaque pas directement au virus, mais à la réponse immunitaire, dont l’inflammation fait partie" souligne Pierre Coulie, immunologue à l’UCLouvain.
Lorsqu’une personne est contaminée par le virus et contracte le Covid-19, son corps réagit à des degrés divers, le système immunitaire de l’individu donne une réponse pour contrôler l’infection. "Parfois, chez une petite proportion de patients, cette réponse est trop importante", précise Etienne Decroly, directeur de recherche CNRS et virologue à l’Université d’Aix-Marseille. "Des désordres immunitaires font leur apparition. La dexaméthasone permet de contrôler cette réponse inflammatoire inadaptée que l’on appelle tempête cytokinique."
Tous deux s’accordent à dire que ce traitement standard, disponible et peu coûteux constitue actuellement notre meilleure arme lors de la prise en charge de patients hospitalisés. "Lorsque vous comparez des malades qui reçoivent cette dexaméthasone et d’autres qui n’en reçoivent pas, on constate que ce traitement a un impact certain sur les proportions de cas graves et de décès", estime le Pr Coulie. "C’est, à mon sens, la molécule qui a montré la plus grande efficacité, insiste son confrère du CNRS. Les études scientifiques ont démontré que son utilisation avait réduit la mortalité de 20 % à 30 % des cas étudiés."
Se référant à l’étude Recovery menée au Royaume-Uni, l’anesthésiste-réanimateur Laurent Jadot (CHC Montlégia, Liège) pointe de son côté une baisse de 35 % de la mortalité hospitalière. "Ça marche, et parfois de manière très spectaculaire, ajoute-t-il. Certains patients arrivent en soins intensifs avec de hauts besoins en oxygène, et sont quasiment sortants au bout de deux jours."
Il y a toutefois une limite : la dexaméthasone est efficace, mais ne suffit pas, pour deux raisons essentielles. D’abord, comme nous l’écrivions ci-dessus, seuls les effets du Covid-19 sont traités, le virus lui-même n’est pas attaqué. Elle n’a, par ailleurs, d’utilité que lorsqu’elle est administrée aux cas graves. "La difficulté de ce genre de molécule, conclut le Pr Decroly, c’est le timing d’administration. Si on l’injecte trop tôt, on diminue la réponse antivirale. Si on arrive trop tard, il n’est plus possible de contrôler la maladie."
Efficacité très (très) limitée
"Au tout début, on en parlait beaucoup puisque c’était un traitement prometteur", se remémore Laurent Jadot, anesthésiste-réanimateur spécialisé en maladies infectieuses (CHC MonLégia, Liège). "On pouvait l’utiliser en ‘compassionnel’- la firme nous le mettait à disposition - alors qu’il n’y avait pas de traitement à ce moment-là. On se serait jeté sur le premier traitement venu. Il se fait que les mois ont passé et que la firme (Gilead, NdlR), très agressive, a fait tout son possible en finançant des études pour essayer de montrer des résultats favorables. La seule chose qu’ils aient pu mettre en évidence, c’est éventuellement un séjour un peu moins long, en tout cas une récupération plus rapide."
Concrètement, "c’est une molécule qui fait partie de la classe des analogues aux nucléotides ou nucléosides", explique Etienne Decroly, directeur de recherche au CNRS et virologue à l’Université d’Aix-Marseille. "Cette molécule avait au départ été développée pour des traitements contre Ebola. L’idée générale, c’est que - au moment où le virus réplique son matériel génétique - le complexe de polymérisation va confondre cette molécule avec le nucléotide naturel qu’il devrait incorporer. Conséquence : cet analogue va être incorporé dans l’ARN du virus, et induire des erreurs de réplication, un très grand nombre de mutations. Le niveau de mutations est tel que c’est catastrophique pour le virus, qui finit par ne plus être capable de répliquer. On s’attaque directement à la machinerie de réplication virale…"
"Les premiers essais ont été faits chez l’animal, le singe, poursuit Étienne Decroly. Ce qui permet de voir précisément quand le Remdesivir est actif, et à partir de quel moment il perd son activité. Ces études ont démontré que le composé était relativement probant chez le singe, pour autant que le traitement soit administré à un stade très précoce. Si on attend quatre, cinq jours post-infection, l’efficacité de la molécule s’effondre. Ce qu’on voit dans le traitement de la maladie humaine est à peu près similaire. On voit que l’efficacité, finalement, est très très limitée. Ce n’est pas lié à l’activité ou l’inactivité de la molécule, c’est le fait qu’on ne traite pas les gens qui ne sont pas hospitalisés. Et les gens qui sont hospitalisés sont des gens qui font des formes sévères, déjà infectés depuis plus d’une semaine en général. Or, on sait qu’à ce stade, l’efficacité du Remdesivir est très limitée. Il sera doute compliqué d’aller plus loin. Il y a des toxicités qui y sont associées, et qui font qu’on ne pourrait pas imaginer la donner à un stade précoce."
Une option "intéressante" et deux études en Belgique
Chez la femme enceinte, les anticorps vont passer à travers le plasma chez l’enfant et vont permettre que le nouveau-né, pendant les deux ou trois premiers mois de sa vie, fasse peu d’infections car il est chargé de tous les anticorps de la mère récoltés au cours de sa vie. C’est un peu la même idée qui est derrière l’option de perfuser des malades du Covid avec le plasma de patients guéris, chargés d’anticorps.
Pour l’infectiologue de l’hôpital Erasme Maya Hites, membre du groupe de scientifiques belges établissant les guidelines de traitements pour le Covid-19, ce plasma dit convalescent apparaît "intéressant". "Mais pour l’instant, les résultats des études sont contradictoires. Certaines montrent qu’il y a un intérêt, d’autres non. Dans les études qui ne montrent pas d’intérêt, c’est peut-être parce que l’on a donné cela trop tard, parce que le taux d’anticorps était trop bas, ou encore parce que les patients qui étaient dans l’étude avaient déjà des anticorps neutralisants. À Erasme, nous n’en avons pas donné en dehors des études - sauf à deux patients avec une maladie hématologique avec un Covid qui durait, où la littérature indique que cela pouvait apporter un mieux."
Deux études ont (eu) lieu en Belgique, financées par le KCE (Centre fédéral d’expertise des soins de santé). L’une s’intéresse aux patients hors soins intensifs, à laquelle Erasme a participé ("c’est terminé, on attend avec impatience les résultats, pour voir si cela apporte quelque chose ou pas") ; l’autre en soins intensifs, à laquelle prend part Saint-Luc. "Cette étude a enrôlé 200 malades à ce stade, on veut en mettre 500, précise Pierre-François Laterre (Saint-Luc). Avec le plasma, l’anticorps va être dirigé contre un fragment de la paroi virale qui va empêcher la fixation sur la cellule du patient. Donc si vous avez des jours et jours d’évolution, que le virus a envahi l’organisme et fait des dégâts, le plasma ne sera plus efficace. Une étude relativement importante publiée le 13 janvier montre que chez ceux à qui on le donne tôt, il y a un effet. L’aggravation de l’atteinte respiratoire a été de 16 % avec le plasma contre 31 % avec le placebo. Une deuxième étude rétrospective montre que le risque de décès diminue en fonction de la quantité d’anticorps qu’on donne. En résumé, le donner tard ou avec des taux d’anticorps faibles ne semble pas changer la donne. Le donner tôt avec des taux d’anticorps élevés tend à améliorer l’évolution clinique et peut-être la survie."
Que ce soit à Erasme ou à Saint-Luc, il est trop tôt pour tirer des conclusions sur ces études. "Le mode de présentation d’un malade par rapport à l’autre n’est pas le même et c’est sur base de la masse des malades que l’on pourra conclure, indique Pierre-François Laterre. Certains se demandent toutefois si on ne pourrait pas déjà utiliser le plasma, hors cadre expérimental. Il n’y a pas encore de règles établies, ni nationalement, ni internationalement. Le débat n’est pas encore clôturé."
Neuf, cher et sensible aux variants
L’idée de recourir aux anticorps n’est pas neuve, elle a déjà notamment été expérimentée lors de l’épidémie de Sras de 2002 et certains cas de grippe. "La Belgique a donc très tôt mis en place un protocole d’étude coordonné par la KULeuven, dont nous aurons les résultats prochainement", précise Laurent Jadot, anésthésiste-réanimateur au CHC MontLégia.
Le but : "Savoir si les anticorps développés par des patients guéris, puis injectés à d’autres, par don de plasma, sont efficaces pour éviter que ces patients ne développent une version grave de la maladie."
Voilà pour le concept, qui a rapidement fait naître une autre idée : pourquoi ne pas directement créer de toutes pièces des anticorps de synthèse spécifiquement conçus pour neutraliser le Sars-Cov-2 ? "En d’autres termes, isoler en laboratoire, un ou quelques anticorps très efficaces, avant de les fabriquer en grande quantité et de les administrer, pour donner tout de suite aux patients les anticorps dont ils ont besoin", détaille l’immunologue Pierre Coulie (UCLouvain). "Les technologies pour produire et obtenir ces anticorps existent, et cela a fonctionné, contre le virus Ebola par exemple. On peut améliorer le devenir clinique d’un certain nombre de patients en les injectant. Mais cela coûte cher, on parle de milliers d’euros par patient, et ces anticorps doivent être réinjectés tous les mois environ. Pour des raisons logistiques et financières, ce n’est donc envisageable que pour traiter des patients infectés, pas pour prévenir les infections sauf chez la minorité de personnes qui ne peuvent pas recevoir de vaccin."
Le virologue Etienne Decroly (Université d’Aix-Marseille) pointe une autre limite : la tendance du virus à muter, et, donc, "la possibilité de voir apparaître rapidement des mutations d’échappement à ces anticorps neutralisants. On le voit notamment avec les variants brésilien, sud-africain et britannique. Il y a des choses encourageantes, on pourrait associer plusieurs anticorps par exemple, sur le modèle de la trithérapie pour le HIV, mais il y a encore beaucoup de difficultés à surmonter".
Laurent Jadot reste plus réservé. Pour le réanimateur liégeois, "on est face à une nouvelle technologie, il faut rester prudent, ne pas tirer de conclusions sans avoir davantage de recul et agir sous la pression de firmes qui veulent vendre leur produit. En tant que médecin, j’ai l’impression que l’effet antiviral n’est probablement pas la meilleure stratégie. Le problème ne vient pas de la réponse immunitaire, bonne chez la plupart des patients, mais de la sévérité des effets de la maladie chez certains d’entre eux."
Un traitement complémentaire
La pénicilline est un antibiotique, soit un produit qui s’attaque aux bactéries et n’est donc d’aucune utilité directe face à une infection virale. Mais ces antibiotiques sont tout à fait pertinents en deuxième ligne, lorsqu’un traitement d’appoint est nécessaire. "On sait que, lorsqu’on développe une maladie respiratoire aiguë, on peut également développer des surinfections bactériennes, confirme le virologue Etienne Decroly de l’Université d’Aix-Marseilles. La pénicilline peut alors être utilisée comme traitement complémentaire." "Il faut toutefois éviter d’avoir recours aux antibiotiques de façon trop large", tempère Laurent Jadot, anesthésiste-réanimateur au CHC MontLégia (Liège). "Assez peu d’infections bactériennes concomitantes ont été observées chez des patients en début d’infection à la Covid-19. Mettre tous ces patients sous antibiotiques ne serait pas une bonne attitude, car cela tue un certain nombre de bactéries, mais en fait émerger d’autres, plus résistantes."