L’arme magique contre le Covid-19 viendra-t-elle de Guadeloupe ?
Un laboratoire antillais a annoncé le dépôt d’un brevet impliquant une plante locale pour lutter contre le Sars-Cov-2 et ses variants. En l’absence d’essais cliniques, il est cependant trop tôt pour affirmer qu’un médicament pourra en être tiré.
Publié le 22-02-2021 à 10h49 - Mis à jour le 22-02-2021 à 10h50
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L’arme magique contre le Covid-19 viendra-t-elle de Guadeloupe ? A entendre les annonces tonitruantes du laboratoire Phytobôkaz, le 11 février dans l’enceinte du Conseil régional de Guadeloupe, on serait bien tenté de le croire.
La veille, ce laboratoire a déposé un brevet afin de protéger ses découvertes sur l’action d’un extrait de l’herbe à pic («zeb à pic» en créole ou «Neurolaena Lobata» de son nom scientifique), une plante originaire des Antilles, sur la réplication des virus à ARN, dont le Sars-Cov-2. Le principe : un extrait de l’herbe à pic bloquerait l’enzyme DHODH (dihydroorotate dehydrogenase), ce qui empêcherait la production de nucléotides et donc le développement du virus. «Nous, on est actifs sur les variants», a aussi déclaré le Professeur Henry Joseph, cofondateur du laboratoire. «Là, tout le monde panique, […] Nous, on arrête tout. Et on n’est pas spécifique au coronavirus. Il n’y a pas que le coronavirus, il y a la dengue, le zika : ce sont des virus à ARN et on bloque le système.» Dans une autre interview, il insiste sur une production locale de cette plante endémique qui favoriserait la Guadeloupe : «Il sera très difficile de reproduire cet ensemble de molécules à partir de synthèse pétrochimique. On est obligés de passer par la plante, donc par une production locale et la primeur sera donnée à la Guadeloupe.»
Henry Joseph est une figure connue sur l’île. En 2017, Emmanuel Macron saluait son «travail remarquable», le confondant au passage avec Henri Joyeux, médecin radié de l’Ordre l’année précédente. Grand défenseur de la pharmacopée traditionnelle et des bienfaits des plantes ultramarines, Henry Joseph est «présent sur le marché des phytocosmétiques et des compléments alimentaires», selon le site Phytobôkaz. Il travaille depuis plusieurs décennies sur cette fameuse herbe à pic. Son laboratoire en a déjà tiré un sirop en vente libre en pharmacie : le Virapic, censé lutter contre le refroidissement et les maux de l’hiver et œuvrer pour le renforcement «du système défense naturelle du corps».
Stocks de sirop
Localement, sa découverte ne passe pas inaperçue, relayée à grand renfort de communication du Conseil régional de Guadeloupe (l’annonce a été réalisée lors d’un forum sur les politiques publiques de santé) et par des tweets de sénateurs ultramarins. La presse locale, également, s’empare du sujet. Le 11 février, la chaîne La Première titrait : «Le laboratoire guadeloupéen Phytobôkaz aurait trouvé un remède contre le Covid-19.»
Certains observateurs, cependant, s’étonnent du faible écho national donné à ces découvertes, d’autant que leurs auteurs se targuent d’avoir collaboré avec l’antenne montpelliéraine du CNRS. Résultat : de nombreuses personnes, sur les réseaux sociaux, incitent politiques et médias nationaux à relayer la nouvelle, ce que CNews a fait, le 16 février. D’autres, encore, ont d’ores et déjà indiqué leur volonté de faire des stocks de Virapic, considérant que ce sirop pourrait endiguer l’épidémie.
Qu’en est-il réellement ? Interrogé par le média local Karibinfo, le jeune chimiste Damien Bissessar, qui a travaillé aux côtés de Henry Joseph sur l’herbe à pic, affiche prudemment son enthousiasme : «Je ne suis pas biologiste ou médecin, il faudra attendre des tests cliniques. Chimiquement en tout cas, un extrait de cette plante a la capacité d’inhiber l’enzyme DHODH. Sur les êtres humains… ça nécessite encore des études.» Interrogé sur la suite à donner à cette découverte, Henry Joseph, lui, s’est montré plus direct : «La prochaine étape ? On ne change rien. On existe, on a nos plantations, on va les agrandir.»
Ces découvertes sont encore loin, pourtant, de ressembler à un remède. Alain Astier, membre de l’Académie nationale de pharmacie, résume pour CheckNews : «Ces annonces portent sur le blocage d’une enzyme très importante et très connue qui permet la synthèse des nucléotides. En bloquant cette enzyme, on enlève la brique qui permet au virus d’agir. C’est très classique : il y a beaucoup d’anticancéreux qui agissent sur ce principe. Mais ce n’est pas parce qu’on met en évidence une action sur cette enzyme que cela revient à trouver un médicament efficace. Entre les essais in vitro et une efficacité réelle sur l’humain, il y a un monde !»
Et, surtout, énormément d’étapes. A commencer par une publication dans une revue scientifique, relue par un comité, la reproduction des recherches par d’autres équipes indépendantes et enfin des essais cliniques. Tout l’enjeu étant de savoir si le médicament est bien absorbé par l’organisme, non toxique et efficace dans le corps humain.
Le professeur Henry Joseph n’a pour l’heure pas encore répondu aux questions posées par Libération. Mais le CNRS, également contacté par le média français, confirme que ces différentes étapes, nécessaires, n’ont pas encore été franchies : «L’Institut des biomolécules Max Mousseron (CNRS, université de Montpellier, ENSCM) a accueilli Damien Bissessar pendant trois mois (d’octobre à décembre 2020), dans le cadre d’un contrat de prestation de service avec la société Phytobôkaz. Cette prestation comprenait deux aspects : confirmer la présence de certaines molécules contenues dans un extrait de la plante Neurolaena Lobata (herbe à pic), et évaluer l’activité de ces molécules sur plusieurs enzymes. Dans ce cadre, il n’a pas été mené de travail de recherche sur des virus ou sur des humains. Les résultats obtenus sont préliminaires et n’ont pas fait l’objet d’une publication scientifique.» A ce jour donc, seul un brevet a été déposé, ce qui ne donne aucune indication sur l’efficacité réelle d’un éventuel médicament à base d’herbe à pic.
Pharmacies dévalisées
Interrogée à l’Assemblée nationale par le député guyanais Gabriel Serville, mardi, la ministre de la Recherche, Frédérique Vidal, a d’ailleurs elle aussi expliqué qu’il était «encore trop tôt pour dresser le bilan» de ces travaux.
«Le vrai risque, reprend Alain Astier, c’est que les gens se ruent sur l’herbe à pic, se croient protégés et délaissent les gestes barrières.» De fait, à en croire les médias locaux, les pharmacies de Guadeloupe et de Martinique ont été dévalisées de Virapic ces derniers jours. Pour éviter les ruptures de stock, certaines officines ont décidé de mettre en place un rationnement à deux flacons par personne.