"En tant qu'immunologiste, je ne sais pas comment on peut se passer de la deuxième dose d'un vaccin"
Le vaccin développé par Johnson & Johnson, très efficace contre les formes sévères de Covid-19 d'après les premiers tests, ne nécessite qu'une seule injection. Qu'est-ce que cela change, par rapport aux autres vaccins en circulation, ceux de Moderna, Pfizer, etc ?
Publié le 25-02-2021 à 15h20 - Mis à jour le 25-02-2021 à 15h23
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L'Agence américaine des médicaments (FDA) a confirmé mercredi l'efficacité du vaccin anti-Covid unidose de Johnson & Johnson. Selon les chiffres dévoilés, il serait efficace, 28 jours après l’unique injection, à 85,4% contre les formes sévères de contamination, et à 66,1% contre les formes modérées. En moyenne, le vaccin est donc efficace à 72%.
Pour rappel, les vaccins anti-Covid approuvés jusqu’à maintenant (Pfizer-BioNTech, Moderna, AstraZeneca) nécessitent tous deux injections, à l'exception donc de celui développé par Johnson & Johnson. Peut-on donc se passer d’une deuxième dose de vaccin anti-Covid ?
En tant qu’immunologiste, l'expert belge Eric Muraille, également maître de recherches au FNRS, se pose la question. "Les seuls vaccins en une dose qui existent, jusqu'à présent, parmi les 'vieux vaccins’, ce sont les vaccins vivants atténués, comme celui contre la polio ou la variole." La deuxième dose d’un vaccin, explique-t-il, permet d’assurer la survie, sur un plus long terme, des lymphocytes qui réagissent au contact d'un agent pathogène : "Quand ils sont confrontés à un agent pathogène, comme le vaccin, les lymphocytes qui peuvent y réagir vont se démultiplier pour pouvoir protéger efficacement l’organisme. Une fois cette phase exécutée, il y a assez de lymphocytes pour faire le job. Il faut plusieurs semaines pour que cette immunité adaptative se développe" . Mais ensuite, si ces lymphocytes ne sont pas confrontés à nouveau avec l’agent pathogène, la plupart d'entre eux va être éliminée.
"On sait, de manière empirique, que quand on challenge à nouveau le système immunitaire, qu’on le booste, après quatre semaines par exemple, on restimule une partie de ces lymphocytes et on s'assure que, sur le long terme, une plus grande partie d'entre eux va survivre" , détaille Eric Muraille, qui confie: "En tant qu'immunologiste, je ne sais pas très bien comment on peut se passer de ce deuxième boost" .
La grosse question qui se pose est donc de savoir si, avec une vaccination unidose, on peut produire une protection sur le long terme. Mais c’est une interrogation valable pour tous les vaccins anti-Covid, même ceux à deux doses, confie l’immunologiste. Bémol : on ne dispose pour le moment pas d’assez de recul pour évaluer cet effet à long terme. "Dans les schémas classiques, on mettait sept-huit ans pour valider un vaccin car, à chaque étape, il fallait trouver l'argent pour l'étape suivante. Et donc connaître le durée de protection n'était pas une obligation, mais on la connaissait tout de même".
Mais pour le nouveau coronavirus, tout a été accéléré, et la donnée sur le long terme a été mise de côté. "Ce qui est tout à fait logique!" , souligne Eric Muraille, car s’il fallait attendre des preuves sur le long terme, on ne serait pas vacciné avant deux ans.
Des restrictions d’entrée ?
La particularité du vaccin de Johnson & Johnson pourrait-elle engendrer des restrictions dans son utilisation ? Selon Éric Muraille, ce ne devrait pas être le cas, étant donné qu’à première vue, notamment selon les données révélées par l'Agence américaine des médicaments, ce vaccin a l’air de tenir ses promesses et de ne pas être moins bon que les autres. Et puis, la situation d'urgence fait qu’on ne peut pas "se permettre de faire la fine bouche" , souligne l’immunologiste. D'ailleurs, la Belgique recevra bientôt ses doses du fabricant Johnson & Johnson. 280.500 doses sont attendues chez nous pour avril. Ensuite, quelque 420.750 doses devraient être livrées au mois de mai et 700.000 en juin, rapportait De Tijd mercredi.
L’OMS, dans ses prédictions, dit qu’il y a de grandes chances qu’une personne sur 10 dans le monde soit vaccinée en 2021. C’est très peu, selon Eric Muraille, qui ajoute que "c'est la première fois dans l'histoire de l'Humanité qu'on administre autant de vaccins différents contre un agent pathogène" . Et c’est donc logique qu’il y ait des différences d’efficacité et de durée de protection entre les vaccins développés. Les seuls vaccins à exclure pour le moment seraient ceux qui n'offrent pas une protection satisfaisante, et seraient trop proches des 50%, ou les vaccins qui présenteraient une certaine toxicité, résume le biologiste.
L’incertitude qui peut planer autour du sérum Johnson & Johnson en fait aussi sa force. En effet, vacciner une population avec un vaccin unidose, ça va beaucoup plus vite. Il faut en produire moins, et la logistique pour la distribution est moindre également. "S'il confère une protection équivalente au vaccin de Pfizer, Moderna, etc, il est clair que le J&J est très intéressant" , commente encore Éric Muraille. " Le fait d'être unidose est s on grand atout. Comme celui de Moderna par rapport à Pfizer est la température de conservation ". D'ailleurs, "J&J" marque aussi des points sur cet aspect, puisqu'il peut être conservé au frigo, donc entre 2 et 8°C pendant au moins trois mois, et durant deux ans à -20°C. Pour Moderna, une conservation au frigo est aussi possible pendant trente jours, et six mois à -20°C, tandis que le vaccin Pfizer doit être gardé dans des congélateurs spéciaux à -75°C.
Donc si le vaccin Johnson & Johnson peut faire le job en une seule dose, c'est un fameux avantage. Et si on se rend compte que ce n’est pas le cas sur le long terme, rien ne dit actuellement que ce vaccin ne pourrait pas finalement être administré en deux doses. Il serait alors équivalent, dans cette situation, aux Pfizer, Moderna, CureVac, etc. Mais les données manquent encore sur le sujet, ou n'ont pas encore été divulguées.