La Belgique doit-elle emboîter le pas et suspendre AstraZeneca? "A côté du choix politique, il faut penser à la santé publique"
Certains pays ont fait le choix de la précaution en suspendant provisoirement le vaccin AstraZeneca. Ce n'est pas le cas de la Belgique. Pour Eric Muraille, biologiste et immunologiste à l’ULB, il n'y a actuellement rien d'alarmant en ce qui concerne ce vaccin. Et le spécialiste nous explique pourquoi.
- Publié le 15-03-2021 à 20h52
- Mis à jour le 16-03-2021 à 14h39
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Danemark, Norvège, Islande, Pays-Bas, Allemagne, France, Italie ou encore Espagne... La liste des pays européens qui ont suspendu temporairement la vaccin AstraZeneca a encore augmenté ce lundi. Ces pays ont fait ce choix par précaution après des cas d'effets indésirables graves, notamment "après de nouvelles informations concernant des thromboses de veines".
Eric Muraille, biologiste et immunologiste à l’ULB, fait le point sur la situation et se veut rassurant. Il nous explique tout d'abord pourquoi certains Etats ont pu prendre une telle décision. "L'autorisation qui a été donnée pour tous les vaccins Covid est une autorisation qui est conditionnelle. C'est-à-dire que l'on a un reporting de tous les cas et effets secondaires qui sont communiqués tous les mois à l'OMS et à l'Agence européenne des médicaments. Sur cette base-là, l'Agence européenne peut prendre la décision de bloquer ou non un vaccin. A ma connaissance, au niveau européen, à l'Agence européenne des médicaments, il n'y a eu aucune prise de décision concernant le vaccin AstraZeneca. Et pour ce que j'en sais, il n'y a aucune preuve scientifique montrant un lien de causalité entre les différents effets secondaires graves signalés dans plusieurs pays et le vaccin en tant que tel. Tant que ce lien-là n'aura pas été établi, l'Agence européenne des médicaments laissera l'autorisation conditionnelle. Après, les Etats ont largement le droit, eux, de décider par principe de précaution de bloquer la délivrance d'un médicament ou d'un vaccin."
Mais la question qui vient alors sur toutes les lèvres est la suivante: la Belgique doit-elle suivre le mouvement ou bien les autres pays sont-ils trop prudents en suspendant le vaccin AstraZeneca? "D'après ce que j'ai compris, et cela reste à vérifier, la Belgique ne serait pas concernée par le même stock de vaccins que celui qui a posé problème jusqu'à présent ailleurs. Mais rien ne dit en fait que c'est le stock en tant que tel qui pose problème. Etant donné que pour le moment il n'y a pas de lien avéré entre le vaccin et ces effets secondaires graves, je pense qu'il s'agit ici de précaution et que c'est une décision qui est avant tout politique. Faut-il pour autant dire de ces pays qu'ils sont trop prudents? Je pense qu'ils attendent juste l'avis de l'Agence européenne des médicaments [NDLR: qui a indiqué ce lundi qu'elle communiquerait à ce sujet jeudi] qui va analyser la situation. Si d'ici quelques jours, l'Agence européenne indique qu'il n'y a aucun lien avéré, les gouvernements relanceront la vaccination car on ne peut pas se passer d'un vaccin aussi important. Evidemment, s'il y a maintenant un lien qui est établi, cela nécessitera de plus amples analyses."
"On sauve plus de vie en vaccinant maintenant qu'en arrêtant de le faire"
La Belgique a finalement annoncé lundi en début de soirée qu'elle n'interromprait pas sa vaccination avec AstraZeneca. Pour Eric Muraille, il s'agit d'une bonne décision. "En terme de santé publique, on sauve plus de vie en vaccinant maintenant qu'en arrêtant de le faire. Il faut aussi bien garder à l'esprit que le nombre des cas secondaires graves est très faible: on parle de 20 ou 30 cas secondaires graves pour cinq millions de vaccins qui ont été donnés. C'est extrêmement peu. Il faut savoir également que ce genre d'effets secondaires graves, vu leur faible fréquence, c'est totalement impossible de les établir lors de tests cliniques. C'est typiquement le genre d'effets secondaires que l'on peut ne détecter que quand on administre vraiment le vaccin dans une vaccination de masse."
Le biologiste continue de rassurer et insiste sur l'importance de la vaccination: "Le vaccin AstraZeneca répond aux normes fixées par l'OMS et il est efficace. Et même s'il y avait une causalité dans les quelques décès constatés, c'est toujours la question du coût/bénéfice qui est calculée. Et de tout ce que j'ai entendu à l'heure actuelle des avis des spécialistes, c'est que le bénéfice l'emporte très largement sur le coût." Eric Muraille comprend cependant qu'il peut y avoir des distinctions à faire en fonction de la situation des différents pays. "Il faut voir par pays l'incidence de l'épidémie et du nombre de morts dans chaque pays. Il y a donc une décision d'ordre politique mais qui est aussi liée à une question de santé publique: dans un pays où l'épidémie flambe et dans lequel il y a beaucoup de morts, cela n'aurait aucun sens d'arrêter. Il y a vraiment trop peu de cas d'effets secondaires graves pour justifier un arrêt de la vaccination. Dans les pays dans lesquels il y a peu de cas, ça peut se justifier tout à fait. Mais cela reste toujours un débat sensible."
Le scénario du pire
S'il se veut positif, l'immunologiste à l’ULB indique que "la pire chose qui pourrait arriver, c'est qu'un lot soit défectueux pour une raison X". Eric Muraille s'explique: "Dans l'histoire de la vaccination, la plupart des cas où il y a eu des gros problèmes, c'était souvent des lots. C'est arrivé quelques fois mais c'est extrêmement rare. Je pense notamment qu'il y avait eu un vaccin contre la grippe qui avait vraiment posé problème dans les années 60. Et ce n'était même pas un problème de composition du vaccin car la même composition a été reprise ensuite pour les vaccins suivants. C'était simplement un problème de lot. Mais attention, je ne dis pas qu'ici, il s'agit d'un problème de lot. C'est juste une possible explication, et qui justifierait pourquoi certains Etats suspendent temporairement pour le moment."
Le spécialiste relative toutefois encore: "C'est un vaccin que l'on a déjà donné à beaucoup de monde et s'il y avait un effet grave majeur, on l'aurait déjà remarqué je pense. Pour moi, le pire qui pourrait réellement nous arriver, c'est qu'en comparant tous les morts liés à ce vaccin, on trouve des points communs et donc qu'on arriverait à dire que telle ou telle catégorie d'individus présentant telle ou telle pathologie sont à exclure de la vaccination. Mais donc même dans ce cas-là, on excluera un groupe à risque mais pas la vaccination avec AstraZeneca."
Quid des personnes en attente de la deuxième dose du vaccin AstraZeneca?
Que pourrait-il se passer pour les personnes qui ont reçu la première dose du vaccin AstraZeneca et qui sont en attente de la seconde si jamais le vaccin venait à être bloqué? "Il y a de toute façon une tolérance au niveau de la deuxième dose. Il ne faut juste pas attendre six mois avant de faire la seconde injection", explique Eric Muraille. "Un délai par exemple rallongé de deux semaines ne changerait pas grand chose pour la deuxième dose. Et je ne peux pas imaginer que l'on reste dans l'expectative concernant le vaccin AstraZeneca pendant plus d'une semaine ou deux. D'une part, les analyses des cas graves vont maintenant être faits ; d'autre part, plusieurs pays continuent d'utiliser ce vaccin et on verra si d'autres cas graves se manifestent dans ces pays-là. Je ne pense donc pas qu'on en arrivera à un problème majeur pour les gens qui ont déjà reçu la première dose. Et de toute façon, dans les pires scénarios, les personnes auront déjà avec la première dose une protection partielle qui va se développer. La seconde dose sert un peu à augmenter cette protection et surtout à la prolonger vraiment longtemps. Les gens qui ont reçu la première injection sont donc déjà protégés et la deuxième peut survenir avec quelques semaines de retard. Ce n'est pas un souci. Le seul point négatif dans la situation actuelle, c'est que tout cela retarde les campagnes de vaccination et que l'on continue à perdre des vies".
Changer de vaccin après la première dose, est-ce possible?
"Je sais qu'il y a des études en cours là-dessus", nous affirme Eric Muraille. "On pourrait l'imaginer car l'élément commun de tous les vaccins, c'est la protéine spike. Et même si ce n'est pas exactement la même forme de la protéine que l'on y retrouve, il y a une petite partie qui est commune à tous les vaccins, je pense. Donc je dirais que oui mais la seule chose alors, c'est que l'on sort des études cliniques et on va dans l'inconnu."