Le changement climatique aggrave les symptômes du "rhume des foins"
La saison du pollen de bouleau, arbre le plus allergisant en Belgique, vient de débuter. Le changement climatique va accroître la sévérité des symptômes et le nombre d’allergiques au pollen, selon une nouvelle étude.
/s3.amazonaws.com/arc-authors/ipmgroup/f744db9d-4059-49f1-b3ae-ab829b0df5cc.png)
- Publié le 05-04-2021 à 11h50
- Mis à jour le 05-04-2021 à 11h54
:focal(1811x1195:1821x1185)/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/KKFHACESJRFZRK4EDXQNHI22RQ.jpg)
Nez qui coule, toux, fatigue, difficultés respiratoires… Ce ne sont pas forcément les symptômes de la Covid, mais… de l’allergie au pollen de bouleau. En clair, ce bon vieux "rhume des foins". En Belgique, la saison pollinique du bouleau a débuté ce 24 mars et devrait durer tout le mois d’avril.
De manière générale, ces allergies au pollen sont étroitement liées au climat et à la météo. Et selon une étude qui vient d’être publiée dans Science Advances, le changement climatique pourrait nettement aggraver les allergies au pollen dans le nord-ouest de l’Europe, y compris la Belgique. "Le climat a principalement un effet sur les conditions météo, qui elles-mêmes vont favoriser plus ou moins le développement des fleurs, et donc indirectement la production du pollen. Les quantités de pollen produites varient très fortement d’une année à l’autre", explique Nicolas Bruffaerts, responsable du réseau belge de surveillance aérobiologique à Sciensano, qui a participé à l’étude en fournissant les données belges. "Si le climat a tendance à long terme à voir augmenter les températures - facteur très important pour le développement des inflorescences - la tendance à long terme va être à la hausse de la production pollinique. […] Le changement climatique, à l’échelle globale, tend à aggraver la situation pour les allergiques. La durée des saisons pour de nombreux pollens allergisants tend à augmenter, l’intensité également." Les conditions météo et climatiques peuvent en fait influencer le pollen à deux périodes critiques : au moment du développement des fleurs, c’est-à-dire quelques semaines à quelques mois avant la saison pollinique, et ensuite, au moment où les fleurs sont matures, c’est-à-dire lorsqu’elles contiennent du pollen et sont prêtes à l’émettre dans l’air. Chez les plantes à graines, le pollen est l’élément mobile mâle produit par la fleur , des grains minuscules (20 à 55 μm de diamètre en général) initialement contenus à l’extrémité des étamines.
Dispersion et production
Dans le deuxième cas, "ce sont des conditions météo momentanées qui vont faire que le pollen va être transporté dans l’air facilement ou non. Des conditions sèches, un minimum venteuses et avec des températures pas trop basses favorisent la dispersion du pollen dans l’air, explique Nicolas Bruffaerts. Dans le premier cas, en ce qui concern e le développement des fleurs, cela favorise une plus grande production de pollen par les fleurs. Par exemple, pour le bouleau, il est connu qu’un certain nombre de jours au-delà d’un certain seuil de températures est nécessaire. il faut une accumulation d’ensoleillement et de chaleur au tout début de l’année, avant le début de la saison pollinique au mois d’avril, pour stimuler cette production de pollen. Il existe donc une sorte de température optimale à la production de pollen. Les modèles de prévision sont en fait basés là-dessus. Dans le cadre du changement climatique, les chercheurs font l’hypothèse qu’il y aura davantage de jours chauds à cette période de l’année (fin de l’hiver-début du printemps). Cela dépend des espèces, mais pour certains arbres allergisants, comme le bouleau, on tend vers cet optimum de température. La hausse des températures fait que l’arbre peut accumuler davantage d’énergie pour produire du pollen. Cela rend l’arbre plus compétitif : cela augmente les chances que le pollen atteigne un autre arbre à féconder."
Le nombre d’allergiques en hausse
L’étude parue dans Science a été réalisée par des modélistes britanniques en se basant sur les données météo de l’administration américaine et des observations sur de longues années fournies par Sciensano et d’autres pays d’Europe de l’Ouest, issues de stations de mesure de concentration de pollen(en Belgique, elles se trouvent à Bruxelles et au Coq). "Ce modèle de prévision est basé sur des observations à long terme, mais cela reste un modèle, avec ses limites. Ce n’est pas le même type de modèle de prévision sur lequel nous travaillons avec nos collègues de l’IRM, indique le bioingénieur. Ce que l’on peut conclure avec cette étude de Science, pour la Belgique, et aussi pour l’échelle européenne, c’est que les taux de pollen allergisants et la durée des saisons risquent de continuer à augmenter de manière générale, pour de nombreuses plantes allergisantes en Europe. Cela risque donc d’amener à une hausse de la sévérité des symptômes et du nombre d’allergiques." En effet, la tendance du nombre d’allergiques au sens large est déjà à la hausse depuis plusieurs décennies, en raison de nos conditions de vie : hygiène plus stricte, exposition plus importante aux produits chimiques, aux polluants… "Pour l’allergie au pollen, le fait qu’il y ait davantage d’allergènes de type pollen, cela stimule notre système immunitaire, le faisant davantage réagir. D’autant plus si les concentrations sont anormalement élevées. Le système immunitaire considère cela comme une agression", éclaire Nicolas Bruffaerts.
L’étude de Science évoque même le chiffre d’une aggravation de 60 % pour les graminées : "Les modèles de prédiction mécanistes suggèrent que le changement climatique va augmenter la sévérité de la saison pollinique (quantité de pollen présente) jusqu’à 60 %, en ligne avec les études en laboratoires", écrivent ainsi les auteurs de l’étude. "Je resterais prudent par rapport à ce genre de chiffres", nuance Nicolas Bruffaerts.
La question du cycle des arbres
De leur côté, les scientifiques de l’Institut de santé publique observent le pollen en Belgique depuis quarante ans. "Quarante ans, c’est vraiment du long terme. On peut grâce à cela constater qu’il est pertinent de parler d’influence climatique, par exemple, en lien avec les températures. Nous avons en effet montré dans plusieurs études, à l’échelle de la Belgique, mais aussi plus large, que les hausses des températures induisent une hausse de la production des pollens par plusieurs arbres allergisants. Et en Belgique, l’arbre le plus allergisant est le bouleau. Outre le bouleau, on a observé aussi une augmentation du taux de pollen chez le noisetier et l’aulne, de la même famille que le bouleau. Ils sont très allergisants, mais fleurissent plus tôt dans l’année (janvier-février)." En revanche, chez nous, le taux de pollen des graminées est à la baisse, en raison de l’urbanisation. À Bruxelles, par exemple, les "mauvaises herbes" n’ont plus de place pour se développer… L’étude de Science fait cependant l’hypothèse que le changement du climat pourrait modifier cette tendance baissière. En effet, la hausse du CO2 atmosphérique (due globalement au changement climatique) induirait une hausse de la production pollinique par les graminées. À noter qu’une recherche (Sciensano, IRM, ULB…) est en cours pour éclaircir le lien entre climat, exposition au pollen et santé publique spécifique à la Belgique.
Fait remarquable : on sait que les arbres ne fleurissent pas avec la même intensité chaque année et suivent un cycle : une année à forte production de pollen suit deux à trois années "faibles". Or, ces toutes dernières années, dans notre pays, pour le bouleau, l’aulne et le noisetier, soit les trois arbres les plus allergisants en Belgique, Sciensano observe un raccourcissement de ces cycles. "Il y a davantage d’années à haute production qui s’enchaînent. Cette année, on est très curieux de voir si la saison du bouleau va être aussi intense que l’an dernier, qui était un record. Et 2018 et 2019 étaient aussi des années à haute production." Ce raccourcissement des cycles est probablement dû au changement climatique, même si cela doit encore être prouvépar une étude spécifique.
Vers de meilleures prévisions
Pour les personnnes souffrant d’allergies au pollen, tout est une question de quantité. "Le déclenchement des symptômes se fait à l’échelle individuelle, souligne Nicolas Bruffaerts (Sciensano). Tout le monde n’a pas la même sensibilité au pollen ni à tous les types de pollen. Il est assez difficile de déterminer un seuil qui correspondrait à la sensibilité de chacun. Mais pour le bouleau, on considère qu’à partir de 80 grains par m3 dans l’air, la plupart des gens qui sont sensibilisés à son pollen sont susceptibles de ressentir leurs symptômes. Cela dépend aussi de l’exposition locale, s’il y a plus de bouleaux dans la zone, etc. Et des facteurs de pollution, qui augmente le risque d’inflammer les voies respiratoires. Il y a un effet synergique assez vicieux avec la pollution. La pollution agit également sur les arbres, qui, dans un environnement pollué (situation de stress) sont susceptibles de produire davantage de pollen, et davantage de pollen allergisant, c’est-à-dire contenant davantage d’allergènes au niveau moléculaire, du pollen plus "agressif"."
Cela dit, si vous êtes allergique, abattre le bouleau dans votre jardin est inutile. Les nuages de pollen sont tels qu’ils se déplacent sur de longues distances. "En pleine saison, personne n’est épargné en Belgique, on est bien au-dessus du seuil critique."
Dans ce contexte, les scientifiques cherchent donc à développer des outils de prévision. À long terme, comme les auteurs de l’étude de Science, encore à un stade précoce de leur travail. Leur modèle tente de déceler la tendance à long terme dans le passé concernant les cycles de production de pollen par les plantes (qui alternant entre années à faible et forte production) pour essayer de prédire les cycles suivants, et de pouvoir déterminer si l’année qui vient sera intense ou pas en termes de production de pollen.
Un "bulletin" fin 2023 ?
D’autres appliquent les modèles à beaucoup plus court terme, et avec un espoir d’utilisation rapide, comme pour la collaboration entre Sciensano et l’IRM. "Le modèle utilisé est le même que pour le transport des composantes chimiques dans l’air, explique Nicolas Bruffaerts. L’idée est de modéliser dans l’espace et dans le temps à court terme le déplacement des nuages de pollen dans l’air, comme on le fait pour les polluants. C’est de cette façon que l’on peut expliquer, pourquoi le week-end dernier, on observait des taux de pollen de bouleau dans l’air, alors que la saison avait à peine commencé. Ils avaient en fait été apporté de France par les vents dominants. Le but dans ce projet est d’avoir un modèle de prévision sur 1 à 4 jours, pour le pollen de graminées et de bouleau, les deux principaux allergènes belges. D’ici fin 2023, on espère que ce modèle pourra être validé et utilisé par la population."
Une sorte de bulletin météo qui préviendrait la population de la formation ou de l’arrivée de nuages de pollen, donc. Un tel modèle serait un vrai plus pour les patients, selon le chercheur, car pour l’instant, seules des prévisions pour les graminées peuvent être faites et un jour à l’avance,au moyen d’un indice de risque sur le site de l’IRM. Pour les arbres, vu les dynamiques particulières des espèces, donner des prévisions est pour l’instant trop hasardeux.