Fatigue, essoufflement, maux de tête... Quand le Covid-19 joue les prolongations et laisse des séquelles
Pour un nombre significatif de malades du Sars-Cov-2, des troubles divers se prolongent pendant des semaines, voire des mois. Que sait-on à ce jour du Covid long ou de longue durée, encore appelé syndrome de post-Covid ? Etat des lieux avec le neurologue Gianni Franco (CHU UCL Namur).
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Publié le 07-04-2021 à 06h54 - Mis à jour le 06-05-2021 à 14h38
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Sortir d’une hospitalisation pour Covid ne signifie malheureusement pas toujours que la partie est gagnée pour autant. Pour plus d’un patient sur trois, le virus laissera des traces qui vont perdurer. Qu’il s’agisse d’atteintes physiques de différents organes et/ou de séquelles d’ordre psychologique. On appelle cela le Covid long, de longue durée, syndrome Covid chronique ou encore le syndrome de post-Covid-19.
Ce Covid long, qui affecte mystérieusement un nombre significatif de malades du Covid-19, doit "être pris en compte avec la plus haute importance" par toutes les autorités sanitaires dans le monde, signalait dernièrement la branche européenne de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). "Le fardeau est réel et significatif : environ un malade du Covid-19 sur dix reste souffrant après 12 semaines, et souvent pour beaucoup plus longtemps."
Comme un "effet papillon"
"Avec une répercussion indéniable quant aux coûts indirects de la maladie, et même parfois des conséquences tardives sans lien temporel d’emblée apparent avec l’épisode infectieux, comme un ‘effet papillon’", évoque le docteur Gianni Franco, neurologue au CHU UCL Namur Dinant, collaborateur à l’université de Liège.
Alors que l’OMS Europe a appelé les pays et les institutions européennes à mettre en place "un programme de recherche commun", avec une collecte harmonisée des données, à plus d’un an du début de la pandémie, de nombreux scientifiques tentent de mieux cerner les mystères du Covid long.
1. Comment définir le Covid long ou de longue durée ?
L’appellation Covid de longue durée concerne les personnes qui, après une phase aiguë de Covid-19 (suspecté sur la base des symptômes ou confirmé par un test), continuent à présenter des symptômes d’inconfort inhabituels ou en développent de nouveaux. Ces symptômes peuvent survenir chez des personnes ayant souffert d’une forme légère ou sévère de Covid-19, avec ou sans nécessité d’hospitalisation ; ils ne doivent pas pouvoir être expliqués par une autre pathologie. "Il s’agit donc d’une définition aussi imprécise que l’incertitude à laquelle nous confronte cette pandémie", commente le Dr Franco.
2. Quelle est sa prévalence ?
Il est actuellement encore difficile de faire une estimation précise de la prévalence (nombre de personnes atteintes d’une maladie à un moment donné) du Covid de longue durée étant donné que peu d’études de qualité suffisante sont parues à ce jour sur le sujet. En février, le KCE (Centre fédéral d’expertise des soins de santé) indiquait que 5 à 36 % des patients continuaient à présenter des symptômes pendant 12 semaines après le début de la phase aiguë de Covid-19. À partir de 12 semaines, la prévalence retombe entre 2 et 15 %.
3. Comment expliquer les atteintes à différents organes ?
"Le virus du Covid-19 utilise un récepteur nommé ACE2 pour pénétrer dans les cellules et s’y multiplier, répond le Dr Franco. On retrouve ce type de récepteur au niveau des poumons, du cœur, des reins, des intestins et aussi des cellules nerveuses et gliales du cerveau."
4. Quelles sont les séquelles physiques les plus fréquentes ?
Les trois symptômes généraux les plus fréquemment signalés par les patients atteints de Covid de longue durée dans la littérature scientifique sont : la fatigue (jusqu’à 98 %), la dyspnée ou essoufflement (jusqu’à 93 %), qui peut s’accompagner de toux, de douleur ou d’oppression dans la poitrine, et les maux de tête (jusqu’à 91 %).
S’y ajoute un large éventail de symptômes affectant différents systèmes de l’organisme : cardiovasculaire (palpitations et tachycardie), gastro-intestinal (diarrhée, reflux acide, perte d’appétit ou nausées) et neurologique (perte de l’odorat et/ou du goût). D’autres symptômes décrits dans la littérature sont les signes de neuropathie périphérique (fourmillements, névralgies) et les vertiges. Des troubles du sommeil, des pertes de cheveux et, plus récemment, des troubles de la fonction érectile ont également été décrits.
Dans un autre registre, des problèmes cognitifs sont également décrits (troubles de mémoire, d’attention, etc.). Une caractéristique du Covid de longue durée est que ces symptômes, finalement peu spécifiques, fluctuent souvent au cours du temps. "Ce qui s’ajoute au désarroi de ces personnes que l’on qualifierait trop facilement de ‘malades imaginaires’", commente le spécialiste.
5. Et au niveau des atteintes mentales ?
Des problèmes d’anxiété et de troubles de l’humeur (sentiments dépressifs, dépression) sont aussi régulièrement décrits. D’après une étude menée en Italie, sur 402 patients, un mois après leur sortie de l’hôpital, 56 % s’étaient vu diagnostiquer au moins un problème psychiatrique (troubles du stress post-traumatique pour environ 30 % d’entre eux, dépression, anxiété…). Par ailleurs, une large étude anglaise récente sur plus de 200 000 patients ayant présenté le Covid a pu mettre en évidence que l’incidence estimée des séquelles neurologiques ou psychiatriques à six mois était de 33,6 %, dont 12,8 % ne présentaient pas de telles maladies avant l’infection Covid-19 (AVC, démence, troubles psychotiques).
6. Dans quelle mesure le cerveau est-il aussi la cible du Covid-19 ?
Une étude menée par l’Université de Yale aux États-Unis, l’Institut du cerveau et l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière en France avance que le Sars-Cov-2 pourrait infecter nos neurones. Publiés dans le Journal of experimental medicine, les résultats suggèrent que "les symptômes neurologiques associés au Covid-19 pourraient être liés aux conséquences de l’invasion virale directe du système nerveux central". "Des maux de tête, des vertiges, des convulsions, des accidents vasculaires cérébraux, des troubles de la mémoire et de l’attention, des altérations de la conscience dans un tableau parfois sévère de méningo-encéphalite sont rapportés, indique le neurologue. Si ces symptômes semblent le plus souvent secondaires au contexte infectieux dramatique avec décharges massives de diverses substances inflammatoires induisant des réactions en cascade, le rôle direct de ce virus sur le cerveau est de plus en plus confirmé. Différentes actions impliquant le système nerveux lui sont en effet attribuées suscitant l’hypercoagulation, l’amincissement et la fragilisation des parois vasculaires, la déstabilisation du système immunitaire tendant parfois jusqu’à une certaine auto-immunité où le système de défense reconnaît le corps comme étranger et poursuit ses effets délétères même après la disparition du virus, en l’occurrence le syndrome du Covid long."
7. Que peut-on dire à ce stade des troubles persistants de l’odorat ?
"Comme d’autres Sars-Cov, il a été montré que le virus Sars-Cov2 est en particulier capable de migrer à partir des fosses nasales vers le bulbe olfactif, rappelle le Dr Franco, et via ces voies sensorielles vers le cerveau, et en particulier la fosse postérieure cérébrale, là où se trouve le centre nerveux des fonctions respiratoires, contribuant ainsi peut-être aux problèmes ventilatoires dans les cas les plus sévères de Covid. L’évolution naturelle de la perte d’odorat (anosmie) semble favorable dans la plupart des cas en quelques jours à quelques semaines. Une étude multicentrique européenne rapporte une récupération de l’odorat dans les 15 jours chez 44 % des patients. Mais dans certaines études, près d’un quart des patients n’ont pas retrouvé leur odorat après 60 jours. Pour ces patients, certains centres ORL spécialisés proposent des séances de rééducation sous la forme d’un entraînement olfactif. Il s’agit de deux séances quotidiennes de stimulation olfactive de 15 secondes pendant 12 semaines, par la mise en contact avec différentes odeurs (clou de girofle, citronnelle, rose, eucalyptus, café, menthe poivrée). Certains conseillent aussi l’administration de vitamine A intranasale et des suppléments alimentaires (acide alpha-lipoique et oméga-3, par exemple)".
8. Et qu’en est-il de la perte de goût ?
"Si certains patients évoquent un trouble du goût associé, il semble s’agir dans la majorité des cas d’une fausse sensation liée à la perte de la partie rétro-olfactive du goût, précise le neurologue. Toutefois, certaines séances centrées sur le goût stimulant la détection du sucré, salé, acide et amer peuvent aussi être proposées."
9. Quelles sont les hypothèses de travail pour expliquer le Covid long ?
"Parmi les nombreuses hypothèses tentant de l’expliquer, dit le Dr Franco, la persistance du virus est évoquée, mais ce qui semblerait le plus plausible, c’est l’impact de cette infection-inflammation sur le système immunitaire pouvant être à l’origine d’une dys-immunité, voire d’une auto-immunité, rompant la tolérance du corps vis-à-vis de lui-même, et comme nous le savons, le système immunitaire module et nuance la plupart des fonctions de notre corps. D’autre part, comme le décrivait le Pr Ilya Prigogine, prix Nobel belge en 1977 avec sa théorie sur les ‘structures dissipatives’, tout désordre tend à s’ordonner pour se maintenir avec une logique qui peut d’emblée ne pas nous apparaître claire, et dont l’apparente imprévisibilité pourrait même expliquer les ‘effets papillon’ de certaines répercussions à distance. Cette imprévisibilité nous confronte à l’incertitude de notre avenir, et à la nécessité de ‘prévenir pour ne pas gémir’."