"Le variant brésilien n'est pas une fatalité": quelles sont les mesures à prendre pour ne pas se laisser envahir?
Voici les réponses du Dr Yves Coppieters, médecin épidémiologiste et professeur à l'Ecole de Santé publique de l'ULB, aux questions que l'on se pose sur le variant brésilien.
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Publié le 14-04-2021 à 12h51 - Mis à jour le 19-04-2021 à 19h16
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Après le variant britannique, c'est à présent le variant brésilien qui fait l'objet de toutes les inquiétudes. Plus contagieux, mais aussi apparemment plus agressif, également appelé variant P1 ou amazonien, il a été identifié le 2 janvier 2021 au Japon où il a été détecté à l’aéroport de Tokyo-Haneda chez quatre voyageurs en provenance de l’Etat d’Amazonas au Brésil. Deuxième pays le plus endeuillé au monde après les Etats-Unis, le Brésil fait face une explosion de variants locaux qui entraîne une flambée catastrophique de l'épidémie.
Au sein de l'Union européenne, le Portugal a suspendu ses liaisons aériennes avec le Brésil jusqu'au 15 avril, tout comme la France et les Pays-Bas. La Commission européenne recommande de prolonger ses restrictions de liaisons aériennes.
“Avec plus ou moins 100 000 nouveaux cas par jour, le Brésil permet au virus de réaliser un nombre très important de mutations qui peuvent faire apparaître de nombreux variants, a expliqué à RFI Miguel Nicolelis, neuroscientifique et ancien président du comité anti-covid dans la région du Nordeste. Ces nouveaux variants peuvent se propager au-delà des frontières du Brésil et atteindre le reste du monde en quelques jours. Le Brésil pourrait ainsi se transformer en laboratoire de variants à ciel ouvert qui peuvent compromettre la lutte contre la pandémie dans le monde entier”.
Voilà des mots qui ont de quoi semer l'inquiétude et se poser des questions: que fait-on pour éviter qu'il se propage davantage ? Quelles mesures précises sont prises pour casser les chaînes de transmission? Le maximum est-il vraiment mis en œuvre pour éviter un scénario catastrophe?
Voici les réponses du Dr Yves Coppieters, médecin épidémiologiste, professeur à l'Ecole de Santé publique de l'ULB.
A ce jour, peut-on affirmer qu'il est encore possible d'éviter une propagation dangereuse de ce variant brésilien sur notre territoire?
Je pense que se laisser envahir par ces variants n'est pas du tout une fatalité. Il ne faut en tout cas pas se laisser dépasser par ces nouveaux variants qui ont quasi les mêmes caractéristiques de mutation que les variants britannique et sud-africain, avec en plus une autre mutation qui montre une contagiosité supérieure et une certaine résistance à l'immunité acquise. Il faut donc absolument limiter la pénétration de ce variant sur notre territoire par un contrôle sanitaire aux frontières efficace.
Certains pays, dont le Portugal et à présent la France et les Pays-Bas, ont décidé de suspendre les liaisons aériennes en provenance du Brésil. Les autres pays européens devraient-ils suivre?
Ça, c'est une décision politique. Sur un plan sanitaire, la solution serait d’assurer ce contrôle et de filtrer les arrivées sur le territoire de pays plus à risque. Selon moi, toutes les personnes qui arrivent de ces foyers à forte contamination (Brésil et sans doute aussi le Portugal) doivent être mises en quarantaine, de manière organisée, structurée et même supervisée. De nombreux pays ont mis en place une quarantaine dans des hôtels de confinement et cela ne pose pas de souci. Je ne vois pas pourquoi, en Belgique, cette stratégie n’a jamais été développée. On ne peut pas prendre le risque d'une trop grande importation de ces variants et laisser se balader des gens potentiellement infectés.
Quel est aujourd'hui le problème en Belgique par rapport à l'identification de ces personnes?
Le problème est que le test PCR effectué chez ces personnes à l'entrée ne permet pas de déterminer de quelle souche il s'agit. La question n'est donc pas là. La question est : toute personne qui viendrait de foyer épidémique fort avec ces types de variants doit être mise en quarantaine et s'assurer qu'après dix jours son test PCR soit négatif. Ce n'est pas à tout prix la recherche du variant mais bien le principe de précaution qui doit prévaloir. Par défaut, toute personne venant de ces zones doit être considérée comme à risque.
D'autres mesures pourraient-elles être envisagées?
Une autre mesure est d'investir davantage dans le séquençage des génomes des souches circulantes en Belgique car tous les tests PCR ne bénéficient pas de cet examen en plus. On devrait arriver à avoir plus d'échantillons représentatifs de la population et disposer ainsi d’une cartographie plus précise. Il faudrait donc étendre les activités de séquençage de la surveillance génomique du SARS-CoV-2, associé à l’investigation systématique des cas pour renforcer les mesures de contrôle, qui restent les deux piliers de la stratégie de lutte contre la propagation de ces variants.
Ces variants sont-ils aujourd'hui suffisamment pris au sérieux en Belgique ou ne risque-t-on pas de réagir trop tard?
On s'est en son temps beaucoup préoccupé - et à bon escient- du variant britannique, qui est en partie à l'origine de la stagnation de l’épidémie en Belgique et donc des mesures. Plus contagieux - 2,5 à 3 fois plus que la souche d'origine - et plus létal, ce variant est aujourd'hui responsable de la grande majorité des contaminations en Belgique. Mais aujourd'hui, on sait comment le maîtriser. Sinon, nous serions dans une flambée épidémique beaucoup plus importante. Maintenant, c'est un phénomène darwinien. Si le variant brésilien est plus fort que le variant britannique, il va prendre petit à petit plus de place. Et donc, s'il s'avère effectivement plus contagieux - ce qui est une vraie hypothèse -, alors, il faut effectivement veiller à ce qu'il ne prenne pas le dessus sur les transmissions.
C'est donc bien le variant dont il faut s'inquiéter à l'heure actuelle?
Tout à fait. C'est le variant qui semble le plus vouloir s'introduire en Europe actuellement, même s’il faut aussi faire entre autres attention au variant indien. Et c'est maintenant qu'il faut prendre les mesures si on veut éviter d’être dépassé. Toujours avec les mêmes méthodes: tester les personnes venant de zones à risque et les isoler si nécessaire.
Il n'est donc pas trop tard? On peut encore "échapper" au variant brésilien?
Dans cette épidémie, il y a tout le temps des rebondissements. Et les stratégies doivent être adaptatives en continu en fonction des nouveaux éléments. On n'a pas le choix. A la fois quant à une reprise de la vie normale, et à la fois par rapport à tous les outils dont on dispose pour se protéger de ces virus. Ces variants sont un nouveau rebondissement qu'il faut intégrer absolument dans la stratégie tout en la continuant. Cela passe par de l'isolement, plus de testing et une meilleure cartographie des types de virus qui circulent. C'est vraiment notre capacité à s'adapter en continu à tous ces nouveaux événements, car après le variant brésilien, il y aura peut-être encore quelque chose d'autre…