L'homme va-t-il bientôt pouvoir vivre des centaines d'années, voire échapper à la mort ?
L’immortalité fait rêver l'être humain depuis plusieurs siècles. Les avancées attendues en médecine au cours des prochaines années permettront-elles de se rapprocher de la vie éternelle ? Quelles en seraient les conséquences ? Dans le cadre de son dossier “C’est pour demain”, LaLibre.be fait le point sur la quête de la vie éternelle.
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Publié le 23-05-2021 à 11h57 - Mis à jour le 29-12-2021 à 07h59
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C’est indéniable : on vit aujourd’hui plus longtemps qu’il y a 100 ans. Rien qu’entre 2000 et 2019, on a noté une hausse de l’espérance de vie de six ans. La moyenne mondiale en 2019 était d’environ 73 ans. Une espérance de vie qui était légèrement plus élevée en Belgique, où l’on approchait les 82 ans la même année.
Bientôt tous centenaires ?
"Depuis 1960, l'espérance de vie à la naissance en Belgique a augmenté de 2,5 mois en moyenne chaque année, jusqu'à 2020 où elle a reculé de 10 mois en raison du Covid-19", explique Bruno Masquelier, démographe à l'UCLouvain. Il reste donc encore un long chemin à parcourir avant de pouvoir se targuer d'être immortel. Pourtant, si les tendances se poursuivent, "la plupart des enfants nés au cours de ce siècle vont fêter leur 100e anniversaire", affirme-t-il. De plus en plus de Belges atteignent d'ailleurs cet âge avancé.
Michel Poulain, démographe et professeur émérite de l'UCLouvain, estime que notre pays compte près de 2000 centenaires. Si ce nombre a récemment connu une légère baisse dans notre pays, justifiée par la diminution de la natalité durant la Première Guerre mondiale, c'est la tendance inverse qui semble s'observer désormais. "Je prévois même qu'en 2025 ou en 2030, il y en ait 3000", s'enthousiasme Michel Poulain.
Née le 18 mars 1911, la Liégeoise Marcelle Lévaz, doyenne de Belgique, vient quant à elle de rejoindre le club très fermé des supercentenaires. Âgés de plus de 110 ans, ils sont au nombre de 30 en Belgique. "Quand j'ai commencé à étudier ce phénomène, on en comptait 6", se rappelle Michel Poulain, qui s'intéresse à la question depuis 20 ans. "Leur nombre augmente parce qu'il y a plus de gens qui arrivent à 90 et 100 ans", précise le professeur, qui estime qu'une personne centenaire sur 1000 atteindra l'âge de 110 ans.
Véritable "chasseur" de centenaires, Michel Poulain est aussi à l’origine du projet de recherche des Blue Zones, ces endroits où les gens partagent un mode de vie ainsi qu’un environnement commun et dont la longévité exceptionnelle a été vérifiée scientifiquement. Quatre zones ont ainsi pu être dégagées : Ogliastra en Sardaigne, Okinawa au Japon, la péninsule de Nicoya au Costa Rica et l'île d'Ikaria en Grèce.
En étudiant ces Blue Zones, Michel Poulain a dégagé plusieurs facteurs potentiels de longévité : exercer une activité physique, s'alimenter de façon saine, ou encore vivre en société.
Ralentir le vieillissement cellulaire
Il semble toutefois que nous ne soyons pas tous égaux face à la vieillesse. "En Belgique, une famille a compté quatre centenaires !", s'étonne Michel Poulain. En plus des facteurs extérieurs, certains gènes pourraient-ils nous avantager face au vieillissement de nos cellules? "On sait qu'il y a certaines ethnies ou sous-ethnies dans lesquelles il y a une proportion plus élevée de gens qui vivent plus longtemps. Il y a un aspect génétique", confirme Anabelle Decottignies, experte du vieillissement cellulaire et du cancer à l'Institut de Duve (UCLouvain).
L'une des causes principales du vieillissement cellulaire est le stress oxydatif. "Des petites variations font que l'on va y être plus ou moins résistant. Cela fait partie maintenant des facteurs qui peuvent contribuer au fait que des personnes vivent plus longtemps", explique la chercheuse.
Et si l'idée de s'injecter un "gène de longévité" afin d'augmenter son espérance de vie est loin de faire l'unanimité, de premiers essais utilisant cette technique auraient déjà démontré des effets positifs sur les animaux. "En théorie, il y a effectivement des variants associés à une durée de vie plus longue qui pourraient être injectés chez les personnes pour augmenter leur jeunesse cellulaire", commente Anabelle Decottignies, pour qui cette technique soulève bien des questions, tant au niveau scientifique qu'éthique. "Je reste très prudente par rapport à l'utilisation de ce genre de technologie pour simplement vivre plus longtemps", confie l'experte.
Une autre option étudiée actuellement est celle de ralentir le vieillissement cellulaire en agissant sur les cellules sénescentes. Ni mortes, ni vivantes, ces cellules restent dans notre corps mais ne sont plus fonctionnelles. "Elles sécrètent des tas de molécules qui normalement vont attirer notre système immunitaire qui va détruire ces cellules sénescentes", détaille Anabelle Decottignies. Selon l'hypothèse avancée par les scientifiques, ce procédé serait de moins en moins efficace avec l'âge et les cellules sénescentes s'accumuleraient donc à cause d'un système immunitaire trop faible. Et si les cellules sénescentes ne présentent aucun danger en elles-mêmes, les molécules qu'elles sécrètent peuvent induire de la sénescence chez les cellules voisines. "Une espèce de propagation du vieillissement", clarifie la chercheuse de l'UCLouvain.
Pour éviter cela et ralentir le processus, certains scientifiques cherchent donc à détruire les cellules sénescentes. "C'est déjà testé pour des maladies qui sont des maladies génétiques de vieillissement prématuré", confirme-t-elle. Et les résultats des quelques études en cours semblent prometteurs. Selon les premières données, cela n'affecterait en principe pas les autres cellules du corps. "Ça ne va pas rendre éternel, mais cela peut un peu retarder les maladies de vieillissement", précise Anabelle Decottignies.
Le revers de la médaille
Mais que risque-t-on, à force de vouloir vivre de plus en plus vieux ? Des cancers, assure la chercheuse. "Le cancer est lié au vieillissement des cellules : plus notre corps progresse dans le temps, plus il a l'occasion d'être soumis à des agressions et à des mutations", explique-t-elle. Et si tous les cancers ne sont pas dus à la vieillesse, Anabelle Decottignies est sans appel : "Le meilleur facteur prédictif de développer un cancer, c'est l'âge".
En Belgique, les tumeurs représentent la deuxième cause de décès, après les maladies cardiovasculaires. Les cancers du poumon et du sein, plus fréquents, sont aujourd'hui les mieux traités. Mais les traitements que l'on fait subir aux personnes qui ont un cancer sont parfois très lourds et peuvent avoir un gros impact sur la qualité de vie. De nombreux espoirs sont donc placés dans les futures avancées thérapeutiques, y compris grâce à l'immunothérapie et aux vaccins utilisant la technologie de l'ARN messager.
Mais selon la chercheuse, une question complexe se pose désormais. "On a envie de soigner les gens, de les faire guérir. Mais on sait que le revers de la médaille sera que l'on va avoir une population très vieillissante avec des personnes qui vont avoir des maladies neurodégénératives qui vont prendre le dessus, et qui sont lourdes aussi". De plus en plus de personnes y sont dorénavant confrontées. Et contrairement aux cancers, qui sont de mieux en mieux soignés, les progrès concernant le traitement des maladiesneurodégénératives sont encore minimes.
Alors faut-il vivre bien ou vivre longtemps ? Pour Anabelle Decottignies, la réponse n'est pas simple. "Ce n'est pas évident de trouver la bonne balance entre tout ça et de se dire, finalement : qu'est-ce qu'on veut faire?", s'interroge la chercheuse.
Le coût de l’immortalité
La question des limites posées par notre corps n’est pas la seule interrogation que la recherche de la vie éternelle induit. Alors que nos sociétés occidentales cherchent comment vivre éternellement, il est bon de s’interroger sur le coût et l’accessibilité d’une possible vie à rallonge. Parce que tous les pays ne sont pas encore égaux face à la mort.
"A l'échelle mondiale, un enfant qui naît en 2021 peut espérer vivre 73 ans environ. S'il naît en République centrafricaine, cette durée de vie moyenne sera réduite à 54 ans, tandis qu'au Japon, il pourra espérer vivre 85 ans", explique le démographe Bruno Masquelier. Depuis 1950, l'écart qui séparait l'espérance de vie du pays le moins avancé et celle du pays le plus avancé s'est réduit de 14 ans.
Selon lui, il n'est pas facile de savoir comment les inégalités face au décès vont évoluer dans le futur. "Tout dépendra des différentes sources de progrès. Parviendrons-nous à gagner des années de vie via des méthodes médicales peu coûteuses et facilement exportables (comme la vaccination et le développement d'antibiotiques), via des technologies de pointe (nanotechnologie, régénération des tissus, etc.) ou par une amélioration durable des conditions de vie dans de multiples domaines (nutrition, soin, qualité de l'environnement, …) ?"
Pour l'experte du vieillissement cellulaire et des cancers, Anabelle Decottignies, il faut également tenir compte d'un autre aspect: "Si l'on arrête de travailler à 60 ans et que l'on doit vivre jusqu'à 110 ans, avec des traitements coûteux, est-ce que c'est jouable pour une société ?"
Quant à la vie éternelle en tant que telle, il faudra encore attendre. "Je pense que physiquement notre corps n'est pas programmé à l'heure actuelle pour vivre si longtemps", conclut la chercheuse. "Si l'on voulait vivre 200 ans ce que l'on pourrait faire - mais il faudrait changer complètement son métabolisme - c'est vivre dans les fosses océaniques. Loin de la lumière du soleil, loin de l'oxygène".