Un premier cas mondial de grippe aviaire H10N3 chez l'être humain a été détecté en Chine: faut-il s'en inquiéter?
/s3.amazonaws.com/arc-authors/ipmgroup/1ceeccb3-2097-46f3-8d46-df0c56746447.png)
Publié le 03-06-2021 à 16h37 - Mis à jour le 03-06-2021 à 17h13
:focal(1275x645:1285x635)/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/UPL4YBJXFFH2PJ7VGVK6SFVVYA.jpg)
Mardi, la Chine a rapporté un premier cas mondial chez l'être humain de grippe aviaire H10N3, une pathologie frappant d'ordinaire les oiseaux, mais les autorités assurent que le risque d'une épidémie est "extrêmement faible". Voilà qui, de loin, pourrait nous rappeler de mauvais souvenirs. Ceux d'un certain virus nommé SARS-Cov-2, découvert pour la première fois fin 2019 dans la ville chinoise de Wuhan…
Toute ressemblance avec des faits ayant réellement existé est-elle dès lors totalement incongrue? "Si le risque est effectivement faible, il n'est pas pour autant totalement nul", nous a indiqué le Dr Jean Ruelle, virologue et chercheur qualifié à l'Institut de recherche expérimentale et clinique de l'UCLouvain. Petit topo pour bien comprendre de quoi on parle, où nous en sommes et vers quoi nous risquons d'aller. Ou pas.
1 Qu'est-ce que la grippe aviaire et comment se transmet-elle?
La grippe aviaire est un type de maladie causé par des virus de la grippe qui se transmettent entre oiseaux très facilement, mais qui, en principe, ne provoquent que très rarement la maladie chez l'Homme. "Il y a une très grande variété de virus grippaux en circulation chez les oiseaux, beaucoup plus que chez les principaux mammifères hôtes de la grippe, humains, cochons et chevaux, selon un expert de ces maladies, le Dr John W. McCauley, du Francis Crick Institute, cité par l'organisme britannique Science Media Centre (SMC). Lorsqu'il y a contamination à l'Homme, en général, le virus se transmet par contact très proche avec les oiseaux infectés, volailles ou canards, une exposition directe quand on les manipule ou quand on prépare leur viande".
2 Quelles sont les conditions qui favorisent les contaminations à l'Homme?
"Un des problèmes est l'élevage de volaille très intensif dans certaines régions de Chine, notamment, nous explique le Dr Jean Ruelle, virologue à l'UCLouvain Et là, il y a des liens possibles avec la faune sauvage. C'est souvent dans ces endroits-là que l'on voit apparaître des échanges de virus entre des oiseaux sauvages et des oiseaux d'élevage. En plus, il peut arriver que des contaminations se fassent entre les oiseaux d'élevage et les personnes qui s'occupent de ces animaux. Nous avons déjà, dans le passé, des exemples de ce type".
3 Quels sont les précédents cas de transmissions à l'Homme?
Après un premier épisode en 1997, deux souches ont donné lieu à des contaminations humaines via des volailles infectées: H5N1 entre 2003 et 2011, puis H7N9, depuis 2013. "La fermeture des marchés aux oiseaux avait stoppé l'épidémie de grippe aviaire H5N1 à Hong Kong en 1997", rappelle le Dr McCauley, précisant que, "une fois cuite, la viande infectée ne représente qu'une menace très faible".
Quant au virus H7N9, il avait infecté 1 668 personnes et fait 616 morts depuis 2013, selon l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture.
Par ailleurs, dérivé du H5N1, le virus H5N8 a été détecté en février en Russie sur plusieurs salariés d'une usine de volailles, après avoir circulé dans de nombreux élevages européens depuis quelques mois. A cela, il convient d'ajouter des cas sporadiques d'infection aux virus H9N2 et H10N8 à travers le monde ces vingt dernières années.
Rappelons en outre que, sans qu'il y ait jusqu'ici de transmission humaine, la France est touchée depuis l'hiver dernier par une souche de grippe aviaire H5N8 qui a entraîné l'abattage de millions de volailles, principalement des canards.
4 Quelles sont les particularités du H10N3?
Chez l'oiseau, où il a été détecté dès 2002, "le H10N3 est un virus à faible pathogénicité", c'est-à-dire qui n'entraîne que peu de signes de maladie, selon l'Organisation mondiale de la santé (OMS). En outre, le fait que ce virus appartienne à la famille des H10 est "une bonne nouvelle", d'après le Dr Nicole Robb, de l'Université de Warwick, qui précise que ceux de sous-type H5 ou H7 sont "plus inquiétants".
5 Quelle est la situation à l'heure actuelle?
Originaire de la ville de Zhenjiang, dans l'est de la Chine, un patient âgé de 41 ans a été hospitalisé dans une unité de soins intensifs le 28 avril dernier pour une fièvre, après avoir développé les premiers symptômes le 22 avril. Un mois plus tard, les médecins ont conclu qu'il était atteint de la maladie. D'après l'Organisation mondiale de la santé (OMS), "il se remet actuellement" et "à ce stade, la source d'exposition de ce patient au virus H10N3 n'est pas connue".
Ce cas de grippe aviaire H10N3 rapporté mardi par le ministère chinois de la Santé est le premier jamais observé chez l'humain. Aucune précision n'a été fournie sur les circonstances de sa contamination. Aujourd'hui, d'après les autorités chinoises, ce virus n'a pas été détecté chez d'autres personnes.
6 Quel est le risque de transmission interhumaine à grande échelle?
Selon le ministère de la Santé en Chine, "le risque de diffusion à grande échelle (chez les humains) est extrêmement faible". Les autorités sanitaires provinciales du Jiangsu ont testé l'ensemble des cas contacts et n'ont décelé à ce jour aucune personne atteinte du virus pour l'instant. Se voulant particulièrement rassurant, le communiqué ministériel a indiqué que le H10N3 n'avait "pas la capacité d'infecter les humains" et est de toute façon "faiblement pathogène" chez les oiseaux - c'est-à-dire peu susceptible d'entraîner une maladie. Aucun autre cas humain de H10N3 n'avait été rapporté ailleurs dans le monde jusqu'à présent, selon la même source. Si plusieurs souches de virus entraînant des grippes aviaires ont été découvertes chez des animaux en Chine, il est vrai que les épidémies massives parmi les humains sont rares.
Pour le virologue belge, "il y a quand même intérêt à avoir une bonne surveillance, ce qui est d'ailleurs le cas, et garder bien à l'œil l'évolution de la situation. N'oublions pas que le H5N1 était, lui, hautement pathogène. Le taux de décès chez les personnes contaminées par le H5N1 était vraiment très élevé. Plus de la moitié des personnes décédaient, ce qui est heureusement bien loin d'être le cas avec le Covid. C'était donc extrêmement inquiétant. En revanche, on n'a pas eu de transmissions interhumaines. Avec le virus H5N1, il n'y a en effet eu jusqu'ici que des cas de transmission de l'animal à l'Homme. Le H10N3 n'est peut-être pas aussi dangereux que le H5N1, mail il est quand même important de le surveiller de près pour éviter des transmissions de l'animal à l'homme car ce qui fait qu'il peut y avoir des transmissions interhumaines, ce sont les mutations qui vont s'accumuler de telle sorte que le virus puisse reconnaître facilement un récepteur humain, la porte d'entrée de nos cellules. Et si cette adaptation se fait, oui, il y a un risque d'épidémie à large échelle". Pour passer à l'étape suivante, en l'occurrence de la transmission entre humains, des mutations sont en effet nécessaires au passage de la barrière d'espèces.
"Aussi longtemps que des virus de grippe aviaire circulent chez les volailles, des infections sporadiques chez l'humain ne sont pas surprenantes", relève pour sa part l'OMS, en soulignant la "menace persistante" que cela représente. Mais tout en tempérant: "A ce stade, il n'y a aucune indication d'une possible transmission interhumaine" pour le H10N3, même si le parallèle avec le Covid-19 (qui n'est pas causé par un virus grippal mais un coronavirus) est propre à inquiéter le grand public".
7 En quoi la situation diffère-t-elle par rapport au Covid-19?
"Nous sommes beaucoup plus loin dans la surveillance des virus de la grippe que nous ne le sommes dans celle des coronavirus, souligne le Dr Ruelle. Pour l'influenza, nous avons aussi des lignes de production de vaccins éprouvées afin d'être dans les starting blocks au cas où une pandémie surgirait. Si ce virus devait s'avérer hautement pathogène, et ce risque n'est pas nul, il y aura une force de frappe déjà prête. Mais il reste essentiel de surveiller de près toute infection bénigne qui pourrait apparaître".