"La grande crainte, c'est que ce qui se passe actuellement au Royaume-Uni avec le Covid se reproduise ailleurs"
Pour Gabrielle Woronoff, il faut à tout prix se préparer à de très probables futures pandémies.
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Publié le 05-06-2021 à 11h45 - Mis à jour le 05-06-2021 à 11h46
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C'est depuis les Etats-Unis que Gabrielle Woronoff suit l'évolution de la situation sanitaire. Gardant un œil attentif sur ce qui se passe en Belgique, la docteur en biochimie diplômée de l'UCLouvain a fait du testing et du séquençage son cheval de bataille. À quelles fins ? Guetter l'apparition de nouveaux variants et éviter qu'ils ne prennent le dessus. Si la chercheuse, qui travaille désormais pour Ginkgo Bioworks depuis Washington, se montre assez optimiste quant à l’évolution de la situation épidémiologique, elle n’en appelle pas moins à d’ores et déjà se préparer à une future nouvelle pandémie. Ce à quoi elle s'attelle au quotidien. “La question n'est pas de savoir si une nouvelle pandémie va voir le jour, mais quand elle va éclater.” Gabrielle Woronoff est l'Invitée du samedi de LaLibre.be.
Au Royaume-Uni, les contaminations repartent fortement à la hausse - certains parlent même de troisième vague - malgré un taux de vaccination important. Comment l’expliquer ?
Selon les dernières données publiées, on voit que le variant indien est devenu dominant. Il a détrôné le variant britannique, qui lui-même avait pris le dessus sur l'ancienne souche et envahi le pays. Il a démontré qu'il était plus facilement transmissible. Maintenant, les épidémiologistes craignent que l'histoire se répète avec le variant indien. C'est pour cette raison que le monde entier l'observe et que tout le monde a les yeux rivés sur le Royaume-Uni. La grande crainte : que ce qui s'y passe se reproduise ailleurs, comme cela a déjà été le cas précédemment avec le variant britannique.
Doit-on s’attendre à ce que le variant indien devienne dominant en Europe ? Une nouvelle vague serait-elle alors inévitable ?
Il faut, en tout cas, se dire que c'est une éventualité. Ce qui se produit en Angleterre pourrait survenir partout en Europe. Doit-on pour autant changer de comportement aujourd'hui ? Pas vraiment. Parce que cela reste un des variants du coronavirus et que les méthodes pour le combattre restent les mêmes. On compte toujours sur la distanciation sociale, le fait d'éviter les contacts à l'intérieur, la vaccination et le testing. Les techniques restent les mêmes. Par contre, au niveau de la santé publique, c'est important de l'observer afin d’éviter qu’il n’entre dans un pays où il n’est pas encore présent, comme le Japon qui impose des mesures de quarantaine drastiques aux voyageurs revenant de pays où le variant indien est jugé comme endémique. Mais aussi pour, par exemple, réagir en focalisant davantage le contact tracing sur les variants qui inquiètent.
Face à l’apparition constante de nouveaux variants combinant les "pires" caractéristiques des précédents, peut-on craindre que cette pandémie se prolonge encore pendant des années ?
C'est un peu la crainte. C'est sûr que si on n'avait pas eu les vaccins, on serait toujours tous confinés chez nous avec de possibles nouveaux variants qui prennent le dessus. Mais ces vaccins, on les a désormais et ils sont très bons. Des études ont démontré qu'ils protègent non seulement de la mort et d'une forme sévère de la maladie, mais également de la transmission. Qui plus est, il ne faut pas oublier que, quand un virus tourne, il est normal qu'il accumule des mutations, mais elles sont souvent délétères pour le virus. Il va être moins fort. Le virus avec la mutation délétère ne va pas réussir à engendrer des contaminations et donc ne va pas prendre le dessus. Celui-là va s'éteindre. Par contre, un virus peut acquérir une mutation qui lui est bénéfique. Il va pouvoir infecter plus de gens, se répandre plus facilement malgré le confinement et donc prendre le dessus sur les autres. Il y a une sorte de compétition entre tous les variants. Ceux qui sont meilleurs prennent le dessus. C'est le darwinisme à l'échelle du virus. Donc oui, il est certain que le virus va continuer à circuler pendant un temps.
Pourrait-on voir un jour arriver une sorte de super-variant plus contagieux, plus mortel et qui résisterait aux vaccins ?
Selon les dernières études, les nouvelles sont assez bonnes concernant l'efficacité des vaccins face aux variants. Le vaccin protège toujours très bien même contre les variants. Même si des personnes vaccinées tombent malades, cela reste exceptionnel. Mais c'est vrai que statistiquement c'est plus souvent des variants - par exemple, le variant brésilien ou sud-africain - qui en sont responsables. Mais nos vaccins resteront toujours très bons. Il faut toutefois concevoir qu'il y aura peut-être un jour un variant qui accumulera des mutations qui feront qu'il se transmettra davantage dans la population vaccinée. C'est une hypothèse qui peut devenir réalité. C'est pour ça qu'il est utile de tester, de séquencer et de monitorer ce qui se passe. Pour le moment, on peut être confiant.
Craignez-vous que d'autres pandémies semblables à celle que nous connaissons actuellement émergent ?
La communauté scientifique s'accorde à dire que la question ce n'est pas de savoir si une nouvelle pandémie va voir le jour, mais quand elle va éclater. Il faut dès à présent se demander ce que nous pouvons faire pour éviter que ça se reproduise et prenne à nouveau une telle ampleur. On a remarqué avec le Covid qu'il était important d'être apte à développer des outils rapides et efficaces pour combattre les pandémies. Nous devons nous en servir pour être mieux armés dans le futur et développer des outils qui permettent de détecter le plus tôt possible les potentielles menaces. C'est ce à quoi je m'attelle aujourd'hui.

La stratégie de testing américaine diffère-t-elle fortement de celle adoptée en Belgique ? Est-elle plus efficace ?
Oui, il y a plusieurs différences. Tout d'abord, concernant l'accès au test. Un système de tests gratuits a immédiatement été mis en place à Washington, par exemple. Tous les jours, je peux aller faire un test PCR gratuitement et avoir le résultat en deux jours. Ensuite, aux Etats-Unis, j’ai aussi remarqué que, dans beaucoup de cas, l’individu fait son prélèvement lui-même, dans le nez, la bouche, ou salivaire. Mon impression est qu'en Belgique, on reste bloqués aux tests naso-pharyngés, là où les Etats-Unis en ont développé d'autres avec les mêmes critères de détection et de sensibilité mais avec d'autres méthodes de collection d'échantillons qui sont moins invasives.
Et pour ce qui est du testing dans les écoles ?
Aux Etats-Unis, de nombreux enfants n’ont plus été en classe depuis mars 2020. Le testing est un moyen de ramener les élèves en classe de façon sûre en leur permettant d'être testés toutes les semaines. Ginkgo a développé un programme de testing dans les écoles et effectue des tests dans des centaines d’écoles chaque semaine à travers le pays. On utilise le test PCR classique, avec les échantillons de 25 élèves d’une même classe se retrouve dans un seul tube. Ainsi, on détecte les cas, on les isole et on évite que la maladie se propage sans qu'on ne le sache. Chaque enfant prend un écouvillon, fait quatre tours dans la narine gauche et quatre tours dans la narine droite dans la partie molle du nez. Tous les écouvillons de la classe sont ensuite mis dans un seul et même tube qui est envoyé dans un laboratoire. Chaque classe est considérée comme un seul tube PCR. On n'a pas la capacité de tester tous les élèves du pays toutes les semaines avec la stratégie de testing habituelle, donc cette technique est vraiment avantageuse. Les élèves, en plus, sont contents parce qu'on leur donne en main un outil pour combattre le virus, ils se sentent partie prenante de l'effort contre le Covid.
On voit qu’en Europe de nombreux pays ont entamé un déconfinement qui s’accélère très rapidement. En Belgique et au Royaume-Uni, des experts ont tiré la sonnette d’alarme. Ont-ils raison de s’inquiéter?
Pour chaque pays, cela va vraiment être du cas par cas. L'évolution de la situation va dépendre de plusieurs facteurs: les tranches de la population qui sont déjà vaccinées et le comportement de la population face au relâchement des règles. Il faudra donc que les autorités de chaque pays restent attentives. C'est un exercice très compliqué, car on est en terre inconnue. On ignore comment les gens et le virus vont réagir dans les prochains mois. Qui plus est, on sait que quand on lève une mesure, on met du temps à constater une hausse du nombre de cas, car elle ne se fait pas immédiatement. C'est donc un pilotage très fin.
A-t-on tort de miser à ce point sur la vaccination pour retrouver une vie “normale”, en Europe et en Belgique (à savoir que chez nous seulement 20% de la population est entièrement vaccinée) ?
L'année précédente nous a appris que, sans vaccin, il est difficile de faire baisser le nombre d'infections et d'avoir une vie normale. Le vaccin constitue vraiment la porte de sortie donc on n'a pas tort de miser énormément sur lui. Mais pour déconfiner, il ne faut pas oublier un autre élément également crucial: le testing. Il fournit au collège d'experts des données fondamentales. Et les scientifiques ont besoin de pouvoir s'appuyer sur ces informations pour conseiller le politique dans ses décisions.

Un déconfinement trop rapide risque-t-il de mettre en péril les bienfaits de la vaccination ?
Si on ouvre trop tôt et que toute la population n'est pas vaccinée ou, en tout cas, qu'il y a des grosses hétérogénéités entre groupes d'âges, villes, familles... le virus va se remettre à circuler. Ce déconfinement trop rapide pourrait nous mener à une situation qu'on veut éviter à tout prix, c'est-à-dire une situation où on compte un nombre très élevé d'infections, où les hôpitaux sont saturés et où il faut à nouveau reconfiner complètement la population. C'est pour ça que les experts doivent agir de façon mesurée et qu'on rouvre de façon synchronisée avec la couverture vaccinale.
En termes de vaccination, il y a déjà de grandes disparités entre les pays...
Oui, c'est un problème qui va durer. La Commission européenne a adopté une bonne stratégie en participant a l’initiative Covax. C'est primordial d'éviter de se retrouver avec des pays fortement vaccinés et d'autres qui n'ont pas encore vraiment accès au vaccin et où l'épidémie continue à flamber. Quand il y a beaucoup de cas, le virus circule et de nouveaux variants arrivent.
En Belgique, on a l'impression que les experts ont un poids considérable dans la prise de décision. Est-ce également le cas aux Etats-Unis ?
Il y a des groupes d'experts scientifiques et la CDC (Centers for Disease Control and Prevention) qui conseillent le gouvernement pour sortir de cette pandémie. De ce que j'ai pu constater, le comportement de la population diffère fortement entre les Etats-Unis et l'Europe. Une partie de la population suit les recommandations, sans qu'il y ait à contrôler.