Des chercheurs belges montrent ce qui a joué un rôle majeur dans la résurgence du Covid-19 l'été dernier
Arrivant à point nommé à la veille des vacances estivales, une étude de l'ULB et de la KULeuven, parue dans Nature, évalue comment les lignées virales nouvellement introduites ont contribué à la résurgence du COVID-19 en Europe à la fin de l'été dernier. Et nous met en garde par rapport au fait que "des conditions similaires à celles démontrées dans l'étude pourraient constituer un terrain fertile pour la dissémination et la résurgence du virus".
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Publié le 30-06-2021 à 17h15 - Mis à jour le 01-07-2021 à 08h10
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'Imaginons un incendie : s’il y a déjà pas mal de foyers dans une forêt, en allumer quelques-uns en plus ne changera pas le sort de celle-ci ; le feu se propagera de toute façon. En revanche, s’il n’y a que quelques foyers sporadiques, alors en allumer de nouveaux peut accélérer et augmenter la violence de l'incendie à venir". Voici comment Simon Dellicour, Chercheur Qualifié FNRS à l’ULB (Laboratoire d'Épidémiologie Spatiale), illustre une des conclusions de l'étude, qu'il a menée avec Philippe Lemey (Rega Institute, KU Leuven) et d’autres collègues et qui vient d'être publiée ce 30 juin dans la revue Nature. Arrivant à point nommé à la veille des vacances estivales, cette étude évalue comment les lignées virales nouvellement introduites ont contribué à la résurgence du COVID-19 en Europe à la fin de l'été dernier. Et nous met en garde par rapport au fait que "des conditions similaires à celles démontrées dans l'étude pourraient constituer un terrain fertile pour la dissémination et la résurgence du virus".
Les chercheurs ont en effet montré que, dans la majorité des dix pays européens étudiés (Allemagne, Belgique, Espagne, France, Italie, Norvège, Pays-Bas, Portugal, Royaume-Uni, Suisse), plus de la moitié des lignées circulant à la fin de l'été 2020 résultaient de nouvelles introductions depuis le 15 juin. "Cette étude a permis d’évaluer l'impact des voyages sur la réorganisation des chaînes de transmission à travers l'Europe, nous explique Simon Dellicour. Bien qu’il soit établi que les voyages internationaux au cours de l’été 2020 ont eu un impact sur la circulation du virus, il reste en effet difficile d'évaluer comment ces voyages ont pu restructurer l'épidémie dans les différents pays européens". Chose à présent fait dans le cadre de ces travaux.
Comment s'est déroulée cette étude?
Nous avons analysé trois types de données conjointement. A savoir des données génomiques virales, des données de mobilité notamment transmises par Google et Facebook, et des données épidémiologiques d'incidence. Les données génomiques sont assez précieuses car lorsque l'on analyse les génomes des virus qui sont séquencés et échantillonnés dans plusieurs pays d'Europe, on les compare et l'on est en mesure de construire des arbres phylogénétiques assez précis, arbres qui peuvent ensuite être exploités pour analyser les relations évolutives entre les virus, dans le temps et dans l'espace. On peut en quelque sorte considérer que ces arbres phylogénétiques sont des échantillons de la chaîne de transmission globale. En les cartographiant, on a une idée de l'histoire de dispersion des lignées virales à travers l'Europe sur une période donnée. Grâce à cette analyse, nous avons donc pu identifier l'importance des événements d'importation des chaînes de transmission par rapport à celles qui ont persisté dans ces mêmes pays durant l'été.
Quels sont précisément les résultats que vous avez obtenus?
L'étude a montré que, à la fin de l'été, dans la plupart des pays européens que nous avons étudiés, plus de la moitié des chaînes de transmission qui y circulaient étaient le fruit d'événements d'introduction qui avaient eu lieu depuis le 15 juin. Cette proportion est importante et elle illustre que, même sur une période de temps relativement courte, lorsqu'il y a des échanges de personnes infectées entre pays, on peut massivement importer des chaînes de transmission. L'étude montre aussi que le succès de la transmission des lignées nouvellement introduites était prédit par l'incidence locale de la Covid-19 : dans les pays qui ont connu une incidence estivale relativement élevée (par exemple l'Espagne, le Portugal, la Belgique et la France), les événements d’introduction ont conduit à proportionnellement moins de chaînes de transmission actives après le 15 août. Enfin, les résultats indiquent entre autres que les événements d’introduction au Royaume-Uni ont particulièrement réussi à établir des chaînes de transmission locales, avec une fraction considérable d’introductions provenant d'Espagne.
Que peut-on dire de la situation en Belgique plus particulièrement?
Avec une estimation de 50% des chaînes de transmission liées à des événements d'introduction, au 15 août, notre pays se situait plus ou moins au milieu de ces résultats. Les origines étaient assez variées. La France reste le pays duquel nous avons le plus importé des chaînes de transmission. Mais il y a aussi l'Allemagne, le Portugal, l'Espagne, l'Italie…
Quels sont les enseignements à tirer des résultats?
Il convient avant tout de souligner le fait que la configuration de l'été dernier n'est pas celle de cet été. Deux paramètres importants ont changé. D'une part, il y a le fait que les pays européens étudiés ont tous une campagne de vaccination en cours. D'autre part, contrairement à l'an dernier, nous sommes confrontés à des variants plus transmissibles et qui inquiètent par l'échappement immunitaire partiel auquel ils peuvent être associés. A savoir dans quelle mesure les résultats rapportés pour l'été dernier ont encore un intérêt par rapport à cet été 2021, cela montre que sur une période relativement courte, on peut massivement importer des chaînes de transmission circulant à l’étranger. C'est à prendre en compte dans la mesure où les campagnes de vaccination ne sont pas encore terminées. Et cela d'autant que certains variants, comme le variant Delta, sont encore plus transmissibles que les variants précédents. Face à ce variant, l’importance des deux doses de vaccins semble d’ailleurs capitale (là où on était déjà bien protégé par une première dose face au variant Alpha). Il y a donc en quelque sorte aujourd'hui une course contre la montre entre la progression de ce variant en Europe et l’avancée des campagnes de vaccination.
Quelles sont dès lors les mesures à mettre en œuvre pour tenter de limiter les éventuels dégâts?
Notre étude illustre l’importance de minimiser la circulation du virus pour minimiser l’importation et l’établissement de nouvelles chaînes de transmission. Dans le contexte des voyages et des vacances d’été, cela nécessite sûrement la mise en œuvre bien coordonnée et idéalement unifiée de stratégies européennes pour atténuer la propagation du virus. Sur le plan épidémiologique, si les gens voyagent, il faut pouvoir un maximum prévenir que le virus en fasse autant.
A défaut de mesures adéquates, pourrait-on être repartis pour une nouvelle vague à la rentrée ?
Il est trop tôt pour se prononcer là-dessus. Tout dépendra sans doute de la balance entre la progression du variant Delta et l’avancée de la campagne de vaccination. Il y aura un risque de quatrième vague si nous n'avons pas un bon découplement entre la courbe de l’évolution du nombre de cas positifs et celle du nombre d'hospitalisations. Or, à cause de sa plus grande transmissibilité, le variant Delta va très certainement provoquer une augmentation des cas d'infections. Ce que l’on doit alors espérer est qu’elle ne soit pas suivie par une hausse des hospitalisations grâce à la protection de la population conférée par la vaccination.