"On assiste à une explosion des consultations pour épuisement": comment reconnaître les premiers signes et quelles solutions?
Classique en cette saison, la fatigue a été amplifiée cette année par la crise sanitaire. Depuis la rentrée, l’épuisement a gagné un grand nombre d’entre nous.Comment reconnaître les premiers signes ? Quelles solutions y apporter ? Les réponses de Cathy Assenheim, psychologue clinicienne.
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Publié le 28-11-2021 à 15h01 - Mis à jour le 24-01-2022 à 20h19
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Fatigué, cassé, lessivé, lassé, claqué, épuisé, déprimé, exténué, vidé, laminé… S’il peut parfois paraître excessif, ce vocabulaire varié traduit pourtant l’état psychique et physique dans lequel se traînent nombre d’entre nous, à l’entendre au détour des conversations. Des plaintes qui sont "de saison", certes, mais dont l’étendue semble s’intensifier et se confirmer dans le milieu médical.
"Actuellement, nous assistons à une explosion des consultations pour épuisement, chez tous les professionnels de la santé, confirme Cathy Assenheim, psychologue clinicienne, spécialisée en neuropsychologie, et auteure de Je suis épuisé.e ! (Éd. De Boeck 2021, 19,90 €). Depuis septembre, beaucoup de gens sont épuisés. Y compris les enfants et les ados. En consultation, je vois de plus en plus de jeunes (8 à 16 ans) qui viennent pour des symptômes de décrochage scolaire, des troubles de la concentration et du sommeil, des montées d'angoisses… S'il y a chaque année des patients qui consultent pour des symptômes liés à la fatigue saisonnière, le contexte du Covid a amplifié les plaintes de fatigue intense ou de surmenage."
Explosion retardée par le confinement
Selon la psychologue, des raisons simples expliquent cette "recrudescence énorme de consultations suite au Covid". "Quelle que soit la cause, nous adapter nécessite de nombreuses ressources physiologiques : si cela se répète trop souvent, le corps se dérègle progressivement dans ce qu'on appelle l'épuisement. Cela fait bientôt deux ans que nous sommes dans une surcharge d'adaptations avec le Covid, parce que l'on a peur de l'attraper, on a des proches qui ont été touchés, il y a le climat anxiogène des médias, on a dû réorganiser nos vies… Nos ressources ont été particulièrement mises à mal, et sur la durée !" Le confinement de l'an dernier a toutefois quelque peu retardé l'explosion. Les gens qui souffraient déjà de fatigue avant la crise ont été en quelque sorte "obligés" de se (re)poser. "Beaucoup de patients que je suivais pour épuisement ontdès lors vu leur état s'améliorer momentanément : ils ont pu se recentrer sur leurs vraies valeurs, sur leurs besoins, dans une sorte de 'bulle protectrice'. Mais, depuis, tout le monde a dû reprendre une vie 'normale', avec une nouvelle série d'adaptations en raison de la pandémie qui, hélas, persiste. Et le contrecoup se fait sentir actuellement, transformant un terrain de fatigue passager en un réel épuisement ou même un burn-out."
La fatigue, un terme qui recouvre beaucoup de choses
Mais qu'englobe ce terme générique de "fatigue" ? "C'est un terme qui recouvre beaucoup de choses, répond la psychologue. C'est avant tout un symptôme qui résulte de la perturbation du rythme physiologique veille-sommeil, et ceci pour de multiples raisons. Elle peut prendre diverses manifestations : la fatigue diurne se traduit par de la somnolence, des coups de pompe, des troubles de la concentration ou de la mémoire en journée… Elle peut être due à un dérèglement de nos hormones de veille qui assurent nos performances et notre motivation à l'action (cortisol, dopamine, adrénaline). Mais la fatigue peut aussi être la conséquence de troubles du sommeil, en raison d'une déficience de nos hormones liées à la détente et à la récupération (sérotonine, mélatonine), ce qui se traduira par des difficultés d'endormissement, des réveils fréquents ou précoces, de l'insomnie…"
Les causes de la fatigue sont multiples. "Un gros stress, une situation difficile qui s'éternise, une surcharge d'anxiété… L'organisme doit récupérer et la fatigue s'installe en contrecoup. Mais notre environnement, comme la baisse de la luminosité, peut aussi entraîner des modifications de notre horloge biologique interne : c'est ce qu'on appelle la fatigue saisonnière. Par manque de lumière, le cortisol (notre hormone de l'énergie) diminue et son antagoniste, la mélatonine (l'hormone du sommeil), reste présente même en journée. Et donc, on ressentira des coups de pompe, de la somnolence diurne et même différents symptômes de repli qui peuvent faire penser à une dépression, mais ces derniers sont avant tout hormonaux." Pour ce type de fatigue, la luminothérapie est "un super moyen de réguler les déficiences internes". Trente à quarante minutes de luminothérapie équivalent à 2 heures de soleil de plein été. En fonction des besoins, la luminothérapie se fait à certains moments de la journée. En surstimulant par exemple l'organisme avec cette lumière bleue le matin, on va augmenter le cortisol qui va donner un coup de fouet, d'énergie et l'on diminuera cette mélatonine."
Des dérèglements nerveux et hormonaux en cause
Quand elle devient plus permanente, la fatigue peut exprimer des dérèglements nerveux et hormonaux plus profonds suite à une surcharge d'adaptations sur la durée. "La fatigue est, parmi d'autres, un des premiers symptômes de l'épuisement physiologique, souligne Cathy Assenheim. Elle traduit l'atteinte de notre capacité de récupération. On pourrait dire que c'est une maladie des ressources. Ce n'est pas dans la tête, c'est le corps qui lâche. La volonté ne sert à rien."
Un autre dérèglement fréquent en cas de fatigue concerne un neurotransmetteur spécifique : la sérotonine. "Cette hormone, appelée 'hormone du bonheur', est responsable de notre bien-être psychique, mais elle intervient également dans la gestion des sucres et est le précurseur de la mélatonine. Lorsque l'organisme commence à fatiguer, le corps en produit moins, avec en conséquence des montées anxieuses, des fluctuations de l'humeur (irritabilité, tristesse…), une augmentation des compulsions sucrées, et un sommeil de moins bonne qualité… Et donc, si on ne régule pas les dérèglements physiologiques de fond, la fatigue persistera", avertit encore notre interlocutrice. "Un petit repos ou des vacances ne suffiront pas ! C'est d'ailleurs un des derniers symptômes qui disparaissent quand l'épuisement est avéré."

Anxiété, surmenage, épuisement, burn out : quels sont les différents stades ?
Les différents mots - que ce soit l’anxiété, le surmenage, l’épuisement ou le burn out - sont les termes techniques qui correspondent aux différentes étapes de l’avancée du processus d’épuisement. Ils traduisent le degré de l’atteinte de fond de notre organisme.
Le premier stade est la fatigue chronique ou le surmenage nerveux. "Il s'agit d'un dérèglement qui est surtout nerveux, commente Cathy Assenheim. Il y a des petits dérèglements hormonaux, mais ils restent modérés. Si on doit résumer ce stade, on pourrait dire que, pour 'tenir debout', notre système nerveux s'intensifie pour nous donner une sorte de béquille naturelle. Et en conséquence la récupération devient plus faible. C'est ce que l'on appelle parfois la 'maladie des gens sans repos'. La personne fonctionne un peu comme un 'robot' dans l'action excessive, à coup de 'il faut… ; je dois… parce que je n'ai pas le choix… ; je me reposerai plus tard'. On ne parvient pas à s'asseoir dans un fauteuil, à rester deux minutes sans rien faire. Et la fatigue s'installe. Mais, comme le système nerveux est suractivé dans l'action, on observe en parallèle une difficulté de plus en plus présente à se reposer, avec l'apparition de troubles du sommeil (comme typiquement des réveils vers 4 heures du matin). C'est tout le paradoxe de ce stade : on est fatigué, mais on arrive de moins en moins à se poser ! À côté de cela, il y a des symptômes de déficience de sérotonine : montée d'irritabilité et d'agacement, sentiment de tristesse, compulsions sucrées."
Et ensuite ? "Si cela dure, à un moment donné, cette béquille nerveuse - qui nous permet de tenir debout - va elle aussi s'affaiblir et on va avoir une fatigue de plus en plus importante avec toute une série d'autres symptômes : fluctuation de l'humeur, prise de poids, troubles du sommeil, insomnies, infections chroniques, troubles ORL…" On peut alors parler d'épuisement.
Et enfin ? "Quand on persiste à avancer, encore, à un moment donné, c'est tout le système nerveux qui lâche et on arrive à la dernière étape que l'on appelle le burn out. C'est l'effondrement généralisé. Tant psychiquement que physiquement, la personne s'écroule. Dans ce cas, une prise en charge médicale s'impose. La plupart des gens que l'on voit en consultation se trouvent dans l'étape intermédiaire qui est l'épuisement avec des dérèglements plus ou moins importants."
Le plan d’action
Comment agir ? Il faut d'abord réguler le système nerveux puisqu'il s'agit avant tout d'un dérèglement nerveux. Pour cela, il existe différentes méthodes. "Personnellement, je suis une grande fan de la cohérence cardiaque, nous dit Cathy Assenheim, psychologue. Ce n'est pas un outil de relaxation ou de méditation, mais bien un véritable neuro-calmant naturel. La cohérence cardiaque se fait via une application : il en existe de nombreuses, mais je conseille le plus souvent 'Respirelax +', qui permet différents paramétrages nerveux." Pourquoi utiliser une technique de respiration pour réguler le système nerveux ? "Parce que le système nerveux est lié à la respiration. À chaque inspiration, on active le système nerveux de la réactivité et, à chaque fois que l'on expire, on active celui de la détente. Donc, si l'on modifie la respiration consciemment, on va indirectement modifier le système nerveux."
Organisation
La technique de cohérence cardiaque vise à accentuer pendant 3 à 5 minutes l'expiration pour augmenter la détente et la récupération, tout en diminuant l'inspiration, c'est-à-dire l'emballement nerveux (mode relaxant 4-6 de l'application Respirelax +). Une méthode à pratiquer trois fois par jour pendant 3 à 5 minutes, et pendant au moins trois semaines avant d'obtenir un réel effet : à force de se réguler plusieurs fois dans la journée, le système nerveux se modifiera sur le fond et de manière persistante (4 à 6 h). La deuxième chose que recommande Cathy Assenheim quand la fatigue commence à s'installer est d'organiser ses journées pour s'économiser et donc mieux récupérer. "Il y a des moments dans la journée où, si l'on fait des efforts, on va plus les payer. Et d'autres où nous aurons plus de ressources pour des performances. De manière générale, mieux vaut programmer ses efforts intellectuels ou physiques (même le sport) le matin ou en fin d'après-midi. Par contre, entre 13 h et 16 h, c'est une phase de récupération nerveuse et il importe de se limiter. Faute de quoi vous risquez une exacerbation des symptômes de surmenage après 16h.Je suggère aussi de faire une vraie pause au moins sur l'heure du midi. Et, si possible, une micro-sieste."
Trois grandes règles dans l’alimentation
Ensuite, pour contrer la déficience hormonale, lorsque les symptômes s'accumulent, la psychologue conseille avant tout d'aller faire un bilan chez le médecin traitant de la fonction surrénalienne et des hormones du stress. Mais on peut déjà améliorer les choses via l'alimentation. Trois grandes règles : "Quand on commence à être épuisé, il faut augmenter les protéines. Surtout le matin. On doit privilégier les petits-déjeuners chargés en protéines (fromage, jambon…) et éviter les sucres avant 16 h, y compris les fruits, car on va alors perturber sa glycémie qui l'est peut-être déjà en cas de déficience de la sérotonine. Enfin, il faut par contre prendre un vrai goûter sucré à 16 h, qui est le pic de production de la sérotonine, laquelle s'active quand on consomme du sucre. Ce qui va permettre d'augmenter cette sérotonine naturelle. Et donc diminuer l'anxiété et l'irritabilité."
Et du côté des compléments alimentaires
Enfin, on peut également s’aider de compléments alimentaires en fonction des symptômes. Toujours après avoir demandé conseil à son pharmacien ou son médecin, a fortiori si l’on prend des traitements !
"Prendre du magnésium une à deux fois par jour est selon moi la base de la base : c'est le ciment du système nerveux qui est le premier touché. Il faut donc l'aider en priorité. En cas de fatigue dès le matin, avec des problèmes de concentration et de performance, une cure de 3 semaines d'un complément à base de plantes adaptogènes peut également permettre de reprendre plus vite le dessus. La rhodiole et l'ashwagandha sont les plus connues mais il existe des complexes qui en combinent plusieurs pour une meilleure synergie. Ce sont des stimulants psychiques et physiques, qui doivent être pris avant 11h du matin, faute de quoi ils peuvent avoir un effet excitant qui pourrait perturber le sommeil. Si vous souffrez d'émotions exacerbées, de compulsions sucrées en fin d'après-midi ou de difficultés à vous endormir, un complément à base de safran va activer naturellement la production de sérotonine. Différents produits sont disponibles en pharmacie : ils sont à prendre idéalement vers 16h avec un en-cas sucré."