"Attendre de nouveaux vaccins pour la troisième dose à cause d'Omicron est une très mauvaise idée"
Alarmisme, chez les uns. Lueur d'optimisme, chez d'autres. Le nouveau variant Omicron fait souffler le chaud et le froid. Qui et que croire? Tentative d'éclairage en l'état actuel des connaissances avec Eric Muraille, biologiste et immunologiste à l'ULB, maître de recherches FRS-FNRS.
/s3.amazonaws.com/arc-authors/ipmgroup/1ceeccb3-2097-46f3-8d46-df0c56746447.png)
Publié le 29-11-2021 à 18h54 - Mis à jour le 29-11-2021 à 22h17
/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/N4KDFS2HFFHAPGLS73UBQMTFMU.jpg)
Si, "à ce jour, aucun décès associé au variant Omicron n'a été rapporté", affirme l'Organisation mondiale de la santé (OMS) dans un document technique publié ce lundi, "étant donné les mutations qui pourraient conférer un potentiel d'échappement à la réponse immunitaire tout comme possiblement donner un avantage en termes de transmissibilité, la probabilité qu'Omicron se répande au niveau mondial est élevée". Des caractéristiques qui pourraient avoir des conséquences sévères, selon l'OMS qui a classé le nouveau variant dans la catégorie desvirus "préoccupants".
Même si l'Organisation reconnaît qu'à ce stade, "de nombreuses inconnues demeurent sur ce variant", qu'il s'agisse de sa contagiosité, sa dangerosité ou du niveau de protection conféré par les vaccins anti-Covid existants, nous avons tenté de comprendre pourquoi certains experts trouvent en Omicron une possibilité d'être plus "optimiste".
Ainsi, le virologue Marc Van Ranst estimait-il que le variant détecté à l'origine en Afrique du Sud pourrait ne pas être forcément une mauvaise chose. Son explication diffusée sur Twitter : "S'il était moins pathogène, la plus grande ineffectivité serait en fait très positive. Les virus évoluant généralement vers une plus grande transmissibilité, Omicron pourrait à terme supplanter le variant Delta, au lieu de s'intensifier".
Avec Eric Muraille, biologiste et immunologiste à l'ULB, maître de recherches FRS-FNRS, nous avons tenté de clarifier la situation en l'état actuel des connaissances.
A l'heure actuelle, on sait que ce variant est celui qui présente le plus grand nombre de mutations sur la protéine Spike de tous les variants identifiés jusqu'ici. Qu'est-ce que cela implique au juste?
Une partie de ces mutations sont connues. Elles étaient présentes dans de précédents variants et ont déjà été étudiées in vitro. Certaines sont associées à une plus haute contagiosité et d'autres à un échappement partiel à la reconnaissance par les anticorps. Par exemple, certaines mutations étaient déjà présentes dans le variant Bêta, également originaire d'Afrique du Sud, lesquelles réduisaient la reconnaissance par les anticorps neutralisants. Mais il faut savoir que les mutations n'ont pas forcément un effet additionnel sur une protéine. Et il y a une série de mutations qui n'ont jamais été vues auparavant et dont on ne sait pas à quoi elles correspondent. L'impact sur la structure générale de la protéine et les implications sur le système immunitaire ou l'infection sont donc difficilement prévisibles.
Peut-on prédire si le nouveau variant va être plus dangereux qu'un autre ?
En peu de temps, Omicron a été détecté dans plusieurs pays, ce qui suggère une forte contagiosité. De plus, par son grand nombre de mutations, il a clairement un potentiel pour échapper aux anticorps neutralisants de la réponse immunitaire. Mais on ne dispose encore d’aucunes évidences de terrain. Rappelons que de nombreux variants sont apparus, ont fait parler d’eux et ont disparu rapidement. Il ne faut donc pas être exagérément alarmiste. A l’inverse, affirmer qu'il pourrait être moins dangereux me semble tout aussi hasardeux. Car on ne peut pas se baser uniquement sur les symptômes légers observés chez les rares patients actuels. Ce sont principalement de jeunes voyageurs. On sait en effet très bien que, dans ce public, la symptomatologie est généralement assez faible. Il faudra attendre de voir ce que ce variant entraînera lorsqu'il sera confronté à des populations plus âgées.
Et si Omicron était effectivement moins agressif que Delta ?
Dans ce cas, en prenant la place du variant Delta, on pourrait en effet avoir une situation avantageuse. Mais à l'heure actuelle, nous ne disposons pas d’assez d’informations pour être optimiste. Il faut être prudent. Il n'est pas impossible qu'avec Omicron, on se trouve face à un nouveau virus un peu plus contagieux que Delta et qui échapperait davantage aux vaccins et à l'immunité naturelle.
Le nouveau variant pourrait-il échapper complètement à la protection conférée par les vaccins actuels?
Depuis le début de l'épidémie et l'arrivée des vaccins, aucun variant n'a jamais complétement échappé à la vaccination. Par rapport au schéma à deux doses, nous avons toujours eu une reconnaissance par les anticorps neutralisants et une résistance. Avec de rares exceptions pour quelques cas particuliers et ponctuels en ce qui concerne le Bêta par le vaccin Astra Zeneca. Ensuite, on sait à présent que la troisième dose de vaccination permet d'augmenter très nettement la résistance au Delta, alors que l'on vaccine toujours contre la souche originale. Cela signifie que, sur le terrain, nous sommes en mesure d'augmenter la résistance aux variants avec les vaccins actuels. Cela dit, il est possible que cela ait un jour des limites…
Certains préféreraient pourtant attendre de nouveaux vaccins pour la troisième dose. Qu'en pensez-vous?
Pour moi, c'est une très mauvaise idée. Aujourd’hui, et sans doute pour encore un certain temps, c’est au variant Delta que nous sommes confrontés. L’immunité conférée par les deux premières doses diminue régulièrement. Il vaut mieux ne pas se retrouver face au variant Delta ou à un variant inconnu en ayant une immunité insuffisante. Chez les plus âgés qui ont déjà reçu une troisième dose de vaccin en Belgique, on voit en effet clairement une grande efficacité au niveau des contaminations. C'est le seul groupe d'âge où les courbes des nouvelles infections s'effondrent. De plus, un hypothétique vaccin contre Omicron n'arriverait pas avant plusieurs mois. Un vaccin ARN peut être développé très rapidement. Mais la production de masse et la validation restent des étapes assez longues. Pour un nouveau vaccin, il faudrait en effet refaire les tests des phases cliniques 1 et 2, afin de s’assurer de l’innocuité et de l’immunogénicité du vaccin, ce qui devrait durer au minimum deux à trois mois. Ces phases de test sont indispensables afin de détecter d’éventuels problèmes de toxicité, des effets indésirables, etc. On pourrait cependant se passer d’une phase 3 de test clinique, ce qui permettrait de gagner beaucoup de temps. Mais quoi qu’il en soit, si Omicron est bien aussi contagieux qu’on le pense, ce variant se répandra en Europe bien avant qu’un vaccin spécifique ne soit disponible.
Que sait-on à l'heure actuelle de l'efficacité des vaccins contre le variant Omicron ?
On ne dispose encore d’aucune donnée. On obtiendra sans doute dans les deux prochaines semaines des données concernant la capacité des anticorps induits par la vaccination à neutraliser l’infection cellulaire par ce variant. Mais il est très peu vraisemblable, même dans le pire des scénarios, que les vaccins actuels soient complètement inopérants sur Omicron. Car même s'il y a vingt mutations sur la protéine Spike, il reste toute une série de zones qui sont conservées avec le Spike du virus original. Et donc, la réponse immunitaire devrait avoir prise là-dessus.
Cela dit, on pourrait observer une aggravation de la chute de l'efficacité des vaccins face au variant Omicron.
Dans quelle mesure faut-il s'inquiéter à l'arrivée de chaque nouveau variant ?
Il y en a eu des centaines depuis le début de l'épidémie. On n’a parlé dans la presse que des variants d’intérêt. Mais les deux seuls qui se sont véritablement imposés sont l'Alpha et le Delta. A l'heure actuelle, personne ne peut prédire avec certitude ce qui va arriver avec l'Omicron. Alors, qu'il faille être précautionneux, certainement. On peut comprendre la volonté de certains Etats de fermer les frontières en pensant ralentir sa diffusion. Il faudra deux semaines pour savoir si ce variant est bien reconnu par les anticorps neutralisants. Donc, tout ce qui permettra de gagner du temps est positif. Mais, jusqu'à présent, on n'a jamais réussi à bloquer un variant. On peut donc douter de la réelle efficacité de ces mesures. Cette mesure pénalise l'Afrique du Sud qui a réalisé un très bon travail de séquençage et a mis en évidence l'émergence de ce nouveau variant. Pour anticiper la propagation d'Omicron, je pense qu'il y a d'autres mesures plus efficaces que le blocage des frontières : la vaccination pour ceux qui ne le sont pas encore, la troisième dose, le port du masque, l'aération des lieux publics et, sur long terme, le renforcement du système hospitalier…