Les médicaments contre le Covid-19 présentent-ils un risque ?
L’Agence européenne du Médicament vient d’accélérer la procédure d’autorisation de deux médicaments contre le Covid-19. Mais, selon certains scientifiques, leurs effets posent question.
Publié le 29-11-2021 à 10h35 - Mis à jour le 22-12-2021 à 10h54
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Face à la hausse des contaminations sur le Vieux Continent, l’Agence Européenne du Médicament (EMA) a donné un coup d’accélérateur à la procédure de validation des deux pilules antivirales contre les effets du SARS COV-2 les plus prometteuses à l’heure actuelle : le Paxlovid et le Molnupiravir. Développées respectivement par les laboratoires américains Pfizer et Merck, toutes deux ont montré des résultats jugés satisfaisants par leurs concepteurs et les autorités régulatrices, afin de limiter les formes graves du virus.
La pilule de Merck a fait l'objet d'un avis scientifique positif de l'EMA le 19 novembre, qui autorisait déjà les autorités nationales à y recourir dans les "situations d'urgence". Depuis ce mardi 23 novembre, elle est désormais soumise à une évaluation plus approfondie de la part de l'Agence, dont les conclusions sont attendues ces prochaines semaines, avant une éventuelle mise sur le marché.
Déjà commandée en France, pas en Belgique
Certains pays ont anticipé ces conclusions. La France a commandé 50 000 doses Molnupiravir au début du mois et annoncé jeudi que le médicament serait disponible dans les officines début décembre en cas de verdict favorable de l'EMA. En Belgique, "aucune acquisition n'a encore pu être mise en œuvre" bien que l'opportunité d'en acheter soit étudiée, nous affirme le SPF Santé.
Certains scientifiques ont toutefois pointé du doigt les effets de ce médicament au potentiel mutagène, qui "pourrait faire plus de mal que de bien". Ce qui pose évidemment une question : les données récoltées lors des essais cliniques du Molnupiravir et du Paxlovid sont-elles suffisamment fiables pour prouver leur efficacité, leur innocuité et leur qualité ?
Des résultats jugés très prometteurs par les laboratoires
Sur base des études cliniques menées par ses soins, Merck affirmait initialement que le Molnupiravir, permettait de réduire de moitié le risque d'hospitalisation ou de décès dus au Covid-19. Ce vendredi soir, la firme elle-même réévaluait cette efficacité à 30%. Les essais de Pfizer, eux, arrivent à la conclusion que le Paxlovid est efficace à 89% s'il est pris dans les 3 jours, et à 85% dans les 5 jours, pour prévenir du risque d'hospitalisation ou de décès. À l'heure de publier cet article, aucune autre étude scientifique ne permettait de confirmer ces chiffres.
“Le potentiel de ces médicaments vise d’abord les patients qui ont un risque accru de développer une forme sévère de la maladie”, soulève Nicolas Dauby, infectiologue au CHU Saint-Pierre. Il s’agit des personnes qui présentent des comorbidités telles que l'obésité, un âge avancé (plus de 60 ans) ou un diabète. “L’objectif ici est bien de réduire ces complications et diminuer la pression hospitalière dans un contexte de sous-vaccination”, poursuit l’infectiologue. Tous deux administrés par voie orale, ces traitements présentent aussi l’immense avantage, selon lui, de pouvoir être prescrit par un médecin traitant et pris de chez soi, pendant une durée maximale de cinq jours.
Comment l’efficacité de ces pilules a-t-elle été testée ?
Comme tout médicament, ces deux traitements ont suivi un protocole de développement standardisé : des phases préliminaires menées sur des animaux en laboratoire, suivies d'une première phase de tests sur des personnes en bonne santé pour écarter les risques majeurs. Ces résultats ont ensuite été affinés lors des phases deux et trois, comparant deux groupes de patients : un groupe "à risque" (qui reçoit le traitement) et un groupe placebo (qui ne le reçoit pas). Pour la pilule de Pfizer plus de 1600 adultes ont été testés, plus de 700 concernant celle de Merck.
Dans les deux cas, les échantillons testés en phase trois auraient dû être plus larges, mais "les essais ont été interrompus précocement par le Comité de Surveillance et de Suivi, en consultation avec l'Agence fédérale américaine des produits alimentaires et médicamenteux", explique Nicolas Dauby. La raison ? "Ces experts, indépendants de la firme pharmaceutique, ont jugé que donner un placebo à la moitié des gens - voire les laisser mourir - alors qu'on a trouvé un traitement qui donne des résultats probants n'était pas éthique", poursuit le médecin spécialiste des maladies infectieuses. Au 29ème jour des essais sur le Molnupiravir par exemple, aucun décès n'avait été signalé chez les patients ayant reçu le médicament, contre 8 décès chez les patients du groupe placebo.
Les données recueillies ont donc été jugées “suffisantes” selon Nicolas Dauby, pour passer à la deuxième évaluation, réalisée par les experts des autorités régulatrices telles que l'Agence européenne du Médicament.
Des risques théoriques de mutation
Fin de l'histoire ? Non, début du mois de novembre, William Haseltine, un virologue britannique connu pour ses travaux sur le VIH a tiré la sonnette d'alarme à propos du Molnupiravir dans le magazine Forbes. Selon lui, "ce médicament a un potentiel mutagène, son utilisation pourrait entraîner des malformations congénitales ou des tumeurs cancéreuses, voire créer un variant du SARS COV-2 plus virulent".
Le Molnupiravir a un “mode d’action particulier” estime Stéphane De Wit, chef du service des Maladies Infectieuses de l’hôpital Saint-Pierre. Il agit comme un Cheval de Troie : "il modifie le matériel génétique du virus (qui est du RNA) et rend impossible sa survie. Peut-il aussi agir sur le matériel génétique du patient (qui est du DNA) ? Il est opportun de se poser la question”, poursuit-il.
Pour Michel Moutschen, professeur d’immunologie et de vaccinologie à l’Université de Liège, “l’immense majorité de ces mutations aboutit à une perte d’infectivité du virus. On ne peut cependant exclure que certaines des mutations aient un effet inverse même si cela n’a pas été observé dans les études cliniques”.
Bien que théorique, ce risque est à surveiller. “La firme pharmaceutique a dû démontrer de manière solide par des analyses toxicologiques standardisées qu’il n’y avait pas de risque de mutation sur l’ADN du patient. Puis, les agences de médicaments vont aussi appliquer des procédures pour évaluer leur toxicité et innocuité”, souligne Nicolas Dauby. On ne connaîtra l'étendue des risques rares à long terme et à grande échelle que lors de la phase 4, dite de pharmacovigilance, conformément aux procédures standardisées de mise sur le marché des nouveaux médicaments.
Inquiétudes concernant les femmes enceintes
D'ici là, plusieurs moyens existent pour se prémunir de ces risques, note Michel Moutschen. Parmi eux, "associer plusieurs produits permettra de faire chuter de plusieurs ordres de grandeur la probabilité que le virus trouve une mutation qui l'avantage". Vendredi 26 novembre, conjointement à la mise à jour des résultats des essais cliniques du Molnupiravir, l'Agence fédérale américaine des produits alimentaires et médicamenteux (FDA) a également soulevé deux inquiétudes : l'absence d'effet constaté du médicament sur les personnes vaccinées contre le Covid-19 ; et les potentiels effets secondaires sur les foetus et enfants. Sur ce dernier risque et pour s'en prémunir, la FDA suggère "soit de ne pas le prescrire aux femmes enceintes soit d'y inclure des avertissements si les médecins considèrent que sa prescription est justifiée".
Bien que les experts de la FDA n’envisagent pas d’interdire le Molnupiravir, ces précautions pourraient compliquer son administration dans la pratique. La pilule de Pzifer pourrait devenir l’option privilégiée.
Ce médicament fonctionne différemment. En combinant deux molécules - PF-07321332 et ritonavir, la seconde étant bien connue puisqu’elle est utilisée dans les traitements contre le VIH - il permet de limiter la multiplication du virus du SARS COV-2. Seul hic ? “Il peut créer des interactions avec d’autres médicaments. Il faut donc être prudent pendant la durée du traitement et éventuellement adapter son traitement de manière brève”, explique Nicolas Dauby du CHU Saint-Pierre. Depuis le 19 novembre, le Paxlovid est
par l’EMA qui pourra recommander ou non son utilisation dans des situations d’urgence si les preuves de son efficacité s’avèrent suffisantes.

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