Vaccination: faut-il accélérer l'administration de la dose "booster" en Belgique ?
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Publié le 05-12-2021 à 08h43
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D’ici la fin de l’année, 3 millions de Belges devraient avoir bénéficié d’un booster. Durant ce mois, environ 1 million et demi de personnes auront leur troisième piqûre. Ce qui signifie que 37 % des adultes vaccinés et 26 % de la population totale seront alors "boostés". Or, en pleine quatrième vague et avec une importante circulation du virus, 5 millions de doses se trouvent actuellement dans les stocks de la Belgique. Si on les administrait toutes ce mois-ci, c’est environ 56 % de la population totale qui serait protégée pour la soirée du Nouvel An.
Pourquoi donc ne pas accélérer le rythme ? Une étude de l’agence de santé britannique, entre autres, montre l’efficacité du booster pour prévenir les hospitalisations, mais aussi les infections symptomatiques avec un taux de 94 %.
Quid de la transmission ?
"La question n'est pas celle de la quantité de vaccins disponibles, nous répond le professeur Jean-Michel Dogné (UNamur), membre de la task force vaccination. La question est d'administrer les doses avec le bon timing. Le Conseil supérieur de la santé recommande la troisième dose six mois minimum après un schéma complet avec un vaccin ARN, quatre mois après AstraZeneca et deux mois avec le vaccin Johnson & Johnson. On a fait des simulations pour les personnes qui ont été vaccinées et qui correspondaient à ces critères. On constate qu'on aura les pics de vaccination en décembre et en janvier (surtout en janvier). D'après les données qu'on a, il n'y a pas d'intérêt à vacciner plus vite avec un booster les gens qui n'en ont pas encore besoin car l'efficacité des deux doses est encore importante. On ne voit pas de perte d'efficacité des vaccins avant six mois environ, donc ce n'est pas en donnant un booster à toute la population aujourd'hui qu'on va améliorer la situation épidémiologique puisque ceux vaccinés depuis quatre mois avec un vaccin ARN , l'efficacité sur le variant Delta est la même qu'au début de leur vaccination."
Quid cependant de l'effet "booster" sur la transmission spécifiquement et donc la circulation du virus ? "Les données sur la troisième dose au sujet de la transmission sont encore relativement peu connues, juge le Pr Dogné. Il est clair qu'avec le variant Delta l'effet (des deux doses) est nettement moindre que ce à quoi l'on s'attendait. Il est bien possible que la troisième dose réaugmente l'effet sur l'infection et la transmission. Mais - et c'est important- nous n'avons aucune garantie que, pour quelqu'un qui a été vacciné avec l'ARN il y a trois mois, une troisième dose ait un impact sur l'infection et la transmission. On n'a pas de données. C'est la raison pour laquelle il n'y a aucun pays qui prend la stratégie 'donnons vite la troisième dose à tout le monde'. L'ensemble des pays recommandent de vacciner au moins cinq mois ou six (agence européenne des médicaments) avec un vaccin ARN. Par contre, ce qui est important, c'est de vacciner le plus tôt possible ceux qui ne sont pas encore vaccinés (eux aussi transmettent il ne faut pas l'oublier). Et ceux qui sont éligibles pour le booster."
Le "suivisme" de la Belgique
Car, dans ce cas, les études ont démontré que chez les personnes "éligibles" le booster hausse à nouveau l'impact sur l'infection (donc potentiellement sur la transmission) et sur le risque d'hospitalisation. "Celui-ci diminue d'un facteur 20. On gagne donc sur les deux tableaux quand vous faites votre troisième dose, non le plus tôt possible, mais quand vous êtes éligible." Les convocations (en Wallonie) seront envoyées en fonction de la date de l'injection de la deuxième dose, et, pour les vaccins ARNm, par âge décroissant. De facto, car les plus âgés ont été vaccinés d'abord. Les personnes avec comorbidités devraient aussi passer d'abord, puisqu'elles ont eu leur deuxième dose plus tôt, note-t-il.
De manière générale, "la Belgique fonctionne comme cela : elle attend de voir ce qui se passe dans les autres pays, qu'on soit absolument certain que les stratégies innovantes que d'autres ont l'audace de mettre en place sont efficaces. Ce suivisme fait parfois perdre un temps précieux", constate de son côté l'immunologue de l'ULB Michel Goldman, qui avait poussé pour un lancement du booster plus précoce. "Il y a donc eu un retard à l'allumage pour le booster. Mais reconnaissons que le ti ming a somme toute été raisonnable par rapport à d'autres pays. La Suisse, par exemple, est bien plus en retard pour la troisième dose. Au sujet de l'accélération éventuelle de celle-ci, je pense que le plus important est de garder les premières priorités à l'esprit, surtout dans la situation actuelle dans les hôpitaux. Bien sûr, il faut accélérer, mais il faut accélérer en ciblant les personnes qui encombrent les soins intensifs : les personnes vulnérables (plus de 65 ans, cormorbidités…), qui ont été vaccinées il y a plus de 6 mois par Pfizer ou Moderna, 4 mois pour AstraZeneca, et 2 mois pour Johnson & Johnson .Il faut les cibler non seulement pour les 3e doses mais aussi pour la primovaccination de ceux qui ne sont pas immunisés et qui vivent donc comme des "oiseaux pour le chat". Cela dit, la troisième dose en population générale n'est plus à discuter. Il faut en fait redéfinir le concept de vaccination complète, expliquer que le standard d'une vaccination complète, c'est à présent cela : trois doses, comme pour l'hépatite B et le papillomavirus."
D’abord la science, la logistique après
Pour le plan de vaccination belge de la troisième dose, l'éventuelle difficulté logistique à injecter plus ou moins de doses n'a pas été prise en compte, selon Jean-Michel Dogné : "C'est le Conseil supérieur de la santé qui a fait le travail scientifique, sans se poser la question des doses disponibles. Ensuite, il a présenté son avis à la task force vaccination, qui a regardé comment il était possible de mettre en œuvre les recommandations. On ne s'est pas dit d'abord : 'Logistiquement, combien on peut en faire ?' C'est dans le sens opposé que cela s'est fait."