Nathan Clumeck sur la vaccination obligatoire pour tous: "J'ai une position un peu provocatrice"
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Publié le 14-12-2021 à 11h50 - Mis à jour le 14-12-2021 à 12h06
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Entrons-nous dans une ère de pandémies? Telle est la question que pose d'entrée de jeu Nathan Clumeck, professeur émérite en maladies infectieuses à l'ULB et chef de service honoraire au CHU Saint-Pierre. Dans son livre intitulé "La menace virale" (Ed. Genèse, 17,50 €), qui sort ce mercredi en librairie, il avertit aussi que "la vaccination ne suffira pas".
Ce spécialiste s'y emploie à répondre de manière très accessible à toutes les grandes questions qui se sont posées depuis le début de la crise sanitaire, se posent aujourd'hui et se poseront encore sur le SARS-CoV-2, ce virus qui a entraîné une pandémie sans précédent.
Qui est-il? D'où vient-il? Comment contrôler la transmission aérogène? Pourquoi s'inquiète-t-on des variants? Pourquoi certains sont-ils malades et d'autres pas? C'est quoi, le Covid long? Ou encore comment est-il possible de fabriquer un vaccin en un an? Peut-on encore améliorer les vaccins actuels? Quels sont les traitements efficaces? Que dire des femmes et du Covid, qu'il s'agisse de protection vis-à-vis des contaminations, de grossesse, d'allaitement, du risque d'infertilité? Et les jeunes: faut-il fermer les écoles? Fallait-il suspendre toutes les activités culturelles? Le Covid-19 va-t-il transformer nos sociétés démocratiques en dictatures sanitaires? A quels dilemmes éthiques la pandémie nous confronte-t-elle?...
Enfin, cette ultime question: pourra-t-on un jour éradiquer le SRAS-CoV-2? A laquelle le Pr Clumeck répond en substance : "L'éradication d'un virus signifie sa disparition complète de la surface de la planète. Il est fort improbable, sinon impossible qu'on y parvienne avec le SARS-Cov-2".
Quelle est la chose le plus surprenante que vous retenez de cette pandémie?
Si je devais sélectionner une chose, ce serait le rôle des chauve-souris comme réservoir du virus.
Et le plus inquiétant, à ce jour, selon vous?
C'est la capacité de mutations et de propagation du SARS-Cov-2.
Enfin, le plus réjouissant à retenir jusqu'ici de cette crise sanitaire?
Je dirais les efforts considérables de la recherche scientifique et le partage des informations, en particulier pour ce qui concerne le génome du variant Omicron.
Retour sur les origines du virus à propos desquelles "un accident de laboratoire n'est pas exclu", dites-vous. Faudrait-il interdire certaines manipulations, comme le réclament des Comités d'éthique?
Je ne suis pas un spécialiste de ces techniques de laboratoire, mais je pense en effet qu'elles posent un risque potentiel d'échappement d'un virus, d'un prélèvement ou via l'infection d'un membre du personnel. La vraie question porte sur le fait que les scientifiques chinois n'ont pas voulu donner de détails sur ce qui s'était passé dans leurs laboratoires, ce qui entretient un point d'interrogation. Si pas une suspicion. Ce laboratoire, qui devait au départ être validé par les Français, ne l'a jamais été. Et l'on peut craindre que toutes les procédures qui devaient être mises en place pour ce laboratoire de haute sécurité ne l'aient pas été. Nous n'avons en tout cas pas toutes les garanties. S'il peut donc y avoir eu un accident de laboratoire, il n'a cependant pas été intentionnel, contrairement à ce que certains prétendent.
A ce stade, dans quelle mesure doit-on s'inquiéter du variant Omicron?
Le fait qu'en se multipliant, il développe des mutations se confirme de manière assez spectaculaire. A l'heure actuelle, Omicron est le variant qui a le plus de mutations: 35 jusqu'ici. Il faut voir les mutations comme des transformations de la protéine Spike, en l'occurrence la clé qui entre dans la serrure de la cellule. Il faut aussi savoir qu'en virologie, seules sont sélectionnées les mutations qui confèrent un avantage au virus. La question à se poser actuellement est: quels sont les avantages que ces mutations sélectionnées confèrent à Omicron? Une partie de la réponse est déjà donnée: ce nouveau variant se transmet plus facilement. Trois fois plus que le Delta, apparemment. Omicron est donc bien une source d'inquiétude en terme de transmission, comme l'a d'ailleurs mentionné l'Organisation mondiale de la santé.
Quant à son degré de virulence, c'est encore un peu trop tôt pour se prononcer. Pour le savoir, il faudra attendre de voir comment les personnes plus fragiles, immunodéprimées vont réagir face à Omicron. Cela dit, cela m'étonnerait qu'Omicron soit moins virulent que Delta pour les personnes vulnérables. Par contre, si au fil des multiplications, on arrive à développer une immunité permettant qu'il s'avère moins dangereux, on aurait alors le scénario de la grippe.
Au niveau de la stratégie suivie en Belgique, avez-vous des remarques à formuler en particulier?
Je pense qu'il fallait prendre des mesures face à la quatrième vague, mais je regrette que l'on n'ait pas tenu compte de l'expérience du passé et que l'on mette dans la même catégorie, en termes de jauge à 200 personnes, le sort des édifices et événements culturels où il y a 5000 places et des salles où il y en a 250. On aurait pu faire une jauge proportionnée à la taille de la salle, comme le demandaient les acteurs de terrain qui ont amélioré la ventilation, veillé à faire respecter les autres mesures (port du masque, distanciation…).
Estimez-vous qu'en revanche, on n'a pas suffisamment serré la vis ailleurs?
Pour moi, si l'on se focalise sur la transmission du virus, c'est que les mesures visent deux objectifs: un, que le virus ne circule pas et qu'il y ait moins de variants et, deux, qu'il n'infecte pas les personnes vulnérables. L'objectif du contrôle de la transmission, qui met la pression sur les enfants en particulier, devrait, selon moi, être remis en question. Car ce qui me paraît important, c'est de contrôler les personnes qui sont vulnérables, que ce soit en fonction de leur âge, en raison de comorbidités. J'ai une position un peu provocatrice - je l'avoue - dans le sens où je ne prône pas la vaccination obligatoire pour tous, car elle n'est pas justifiée pour des personnes jeunes, en bonne santé et sans comorbidité, mais bien la vaccination obligatoire pour les personnes à risque de faire un Covid grave. Dans ce cas, je pense qu'il n'y aura pas sujet à manifestation. Cela dit, il faut aussi être informé des complications du Covid: même pour les personnes en bonne santé, le Covid long reste très handicapant.
Ne pas se faire vacciner aujourd'hui, c'est…?
Ne pas se faire vacciner si on est une personne à risque, que ce soit en raison de l'âge ou des comorbidités, c'est jouer avec le feu. Pour une personne jeune et en bonne santé, choisir de ne pas se faire vacciner aujourd'hui, c'est assumer un choix dont il faut connaître les risques potentiels, à savoir transmettre le virus à des personnes vulnérables non vaccinées et faire un Covid long dans 20 à 30 % des cas.
Pourrait-on imaginer à l'avenir devoir se faire vacciner tous les six mois contre le Covid?
Ce n'est pas impensable. Et ce n'est pas quelque chose qu'il faut redouter. S'il faut renouveler le potentiel des armes tous les six mois, on le fait. Il faut le voir comme un potentiel de renouvellement pour garder les capacités de lutter contre le virus. Si on se trouve face à un nouveau variant plus dangereux que le Delta et qui nécessite des taux d'anticorps très élevés, peut-être faudra-t-il faire un booster tous les six mois. Et penser à une vaccination comme la grippe, à renouveler tous les ans. Il ne faut cependant pas dramatiser.
Jusqu'ici, on s'est focalisé sur le vaccin. Maintenant que l'on sait qu'il faudra vivre avec ce virus, l'enjeu n'est-il pas le développement de traitements?
Absolument. Si l'on prend l'exemple du Sida, il n'y a toujours pas de vaccin, mais la maladie - devenue chronique - n'est quasi plus mortelle pour les personnes sous traitement. Certains de mes patients contaminés il y a 35 ans vivent tout à fait normalement grâce au traitement qui a bloqué la réplication du virus. La différence entre le VIH et le SARS-Cov-2 est que, pour le premier, le virus s'intègre dans le noyau des cellules, ce qui implique un traitement à vie, alors que, pour le second, le traitement permettrait d'éliminer le virus en quelques jours. L'arrivée d'un traitement sera donc indiscutablement un élément essentiel pour le contrôle de cette pandémie. Nous avons déjà deux traitements expérimentaux qui n'ont pas une efficacité optimale, mais d'autres sont en voie développement. Nous aurons alors un espoir de contrôle de la pandémie nettement supérieur.