Pourquoi la fertilité est-elle en baisse? Des raisons médicales, mais aussi des choix de vie
Amorcée depuis plusieurs décennies, la baisse de la fertilité ne devrait que s’accentuer dans le futur et s’explique par divers facteurs. Dans certains pays, le taux de fécondité est aussi en baisse, posant de nouveaux défis économiques.
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Publié le 13-02-2022 à 11h23 - Mis à jour le 27-05-2022 à 17h38
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Au niveau mondial, la baisse de fertilité - ou capacité d’avoir des enfants - remonte à quelques décennies. Certaines études montrent en effet que la chute a été amorcée à partir de la fin des années 60. Et si l’on se réfère aux extrapolations élaborées pour le futur, tout laisse à penser que la décroissance ne fera que s’accentuer.
Avec le Pr Christine Wyns, cheffe du service gynécologie-andrologie aux Cliniques universitaires Saint-Luc, spécialisée dans les traitements et la préservation de la fertilité, nous avons tenté de comprendre ce qui explique ce phénomène, d’un point de vue médical avant tout.
1. Le contexte en quelques chiffres
En Europe, on estime qu’environ 15 % des couples sont amenés à consulter parce qu’ils ne parviennent pas à procréer comme ils l’auraient souhaité, ce qui représente quelque 25 millions de personnes. Dans le monde, entre 48 millions de couples et 186 millions d’individus sont concernés par l’infertilité. Un problème qui touche un couple sur quatre dans les pays en voie de développement. En Belgique, un couple sur six est affecté par un problème d’infertilité. Pour 40 % de ces couples infertiles, l’homme et la femme présentent tous les deux des signes d’infertilité empêchant la procréation. Dans au moins 50 % des cas, un problème masculin participe à l’infertilité et, dans 30 % des cas, l’origine est exclusivement masculine. Dans la population globale, on estime à 1 % la proportion d’hommes souffrant d’azoospermie (absence de spermatozoïdes), mais, dans la population infertile, ils représentent 10 à 15 %.
2. Des situations différentes selon les régions
Certaines zones sont plus touchées, comme les pays où les soins de santé sont de qualité réduite en cas d’IVG ou d’accouchement. Il y a dans ces régions plus d’infections génitales à l’origine de séquelles notamment au niveau tubaire (des trompes), responsables de stérilité mécanique. À l’inverse, le mode de vie dans certaines régions (Amérique du Sud, Afrique, Asie) est généralement moins défavorable à la fertilité et limite l’abaissement du taux de natalité nécessaire au remplacement démographique. Dans les pays de l’Ouest, le risque de se trouver sous le taux de natalité de remplacement est en revanche important.

À la question de savoir s’il faut s’inquiéter de cette baisse de fertilité, pour la gynécologue, la réponse est oui. Car, lorsque le taux de fertilité arrivera sous le seuil de remplacement démographique, que ce soit en raison de troubles de fertilité ou de certaines évolutions de la société (l’impact démographique n’étant pas uniquement dû à la baisse de fertilité), nous ferons face à un déclin de population avec les répercussions socio-économiques qui sont liées au vieillissement de la population.
3. Les causes d’infertilité scientifiquement prouvées
Chez la femme, parmi les principales causes, il y a certainement l’augmentation de l’âge à la conception. Par choix de vie ou suite à certaines circonstances, les femmes - et les couples de manière générale - ont depuis un certain temps déjà de plus en plus tendance à postposer le moment d’envisager la première grossesse. Or on sait que la fertilité diminue avec l’âge, dès 30 ans sinon avant, chez la femme. La fertilité est donc également modifiée par des comportements et des choix de vie, par la facilité d’accès à la contraception, et non seulement pour des raisons médicales. Parmi celles-ci, les causes principales sont un problème ovulatoire (troubles de la fonction ovarienne comme le syndrome des ovaires polykystiques, l’insuffisance ovarienne, l’anovulation…), l’endométriose (maladie gynécologique inflammatoire qui touche l’appareil reproducteur), une pathologie tubaire (altération des trompes de Fallope…), des facteurs utérins, cervicaux, génétiques.
Chez l’homme, l’origine de l’infertilité peut être hormonale, mais aussi génétique. Il peut y avoir par exemple un trouble du développement du testicule (cryptorchidie). Mais il peut aussi y avoir une cause infectieuse (obstruction des voies excrétrices génitales), toxique (liée à une consommation excessive d’alcool, au tabac, à certains agents chimiques…).
Chez l’un comme chez l’autre, un antécédent de chimiothérapie/radiothérapie peut également entraîner une infertilité. D’où l’importance de penser à prévoir une technique de préservation de fertilité avant ces traitements.
4. La qualité et la quantité de spermatozoïdes en cause
Selon une méta-analyse parue en 2017 dans la revue Human Reproduction, le nombre de spermatozoïdes aurait diminué de 59,3 % entre 1973 et 2011. Non seulement la concentration des spermatozoïdes dans le sperme est moindre, mais la qualité de ceux-ci s'est détériorée. Quelles en sont les principales explications ? Avant tout, le mode de vie : l'obésité, le tabagisme, la consommation d'alcool et de drogues récréatives nuisent à la fertilité. Une autre explication à ce phénomène est la pollution environnementale, qui peut entraîner des perturbations sur le développement testiculaire durant la grossesse. Certaines substances connues pour être des perturbateurs endocriniens telles que les pesticides, le bisphénol A, les phtalates, les résines sont suspectées. Un impact postnatal pour les perturbateurs endocriniens a également été démontré.
Ceci dit, une baisse du nombre de spermatozoïdes n’entraîne pas forcément une baisse de la fertilité. Il s’agit d’une diminution de probabilité de conception, mais il existe un seuil de concentration (moins de 15 mil/ml) en dessous duquel cette probabilité est trop basse pour concevoir endéans l’année (définition de l’infertilité).
De plus, le nombre de spermatozoïdes n’est pas le seul paramètre : il faut tenir compte de la fertilité de la femme. Par exemple, plus elle est jeune (et sans pathologie associée) et plus la probabilité de conception sera augmentée même avec des nombres moins élevés de spermatozoïdes. Cela dit, au niveau des paramètres spermatiques, il faut prendre en compte la mobilité des spermatozoïdes, le pourcentage de formes normales (normalité établie sur base de l’analyse d’une quinzaine de critères par spermatozoïde) et la fragmentation de l’ADN. Ces cassures au niveau de l’ADN, qui réduisent le potentiel fécondant du spermatozoïde, surviennent suite à l’effet de radicaux libres/stress oxydatif.
5. Les messages clés de la gynécologue
Les messages du Pr Christine Wyns, en tant que médecin accompagnant les parents concernés par un problème d’infertilité, sont les suivants.
Premièrement : la fertilité de la femme diminue avec l’âge et cela débute déjà à 30 ans, voire 25 ans. Cet effet est irréversible et les traitements de fertilité (y compris la FIV) ne rattrapent pas les effets de l’âge. Avoir des rapports sexuels réguliers (2 à 3 x/sem) sans essai de ciblage (qui est parfois erroné) autour de l’ovulation est la meilleure façon de débuter un essai de conception. Selon l’âge de la femme (plus ou moins de 35 ans), une consultation chez le spécialiste plus ou moins précoce est recommandée pour évaluer la situation.
Deuxième message : avoir une hygiène de vie correcte sachant que, devant un comportement ou une exposition à un toxique, il y a toujours des sensibilités individuelles des patients. Exemple : pour l’effet du cannabis, cela dépend du nombre de récepteurs cannabinoïdes présents dans les voies génitales. Des sensibilités individuelles se voient aussi pour les perturbateurs endocriniens, pour lesquels l’impact sur le système reproducteur va varier selon certaines modifications génétiques.
Ces vendredi et samedi , “La Libre” consacre un dossier en deux parties à la thématique de la démographie. Ce week-end, nous abordons les questions de la fécondité et de la natalité et les causes médicales de l’infertilité. La fertilité est la capacité des personnes à produire une descendance. La natalité étudie le nombre de naissances au sein d’une population, tandis que la fécondité est l’étude du nombre de naissances par femme en âge de procréer.
Ce vendredi, nous abordions la croissance démographique et le dérèglement climatique. L’interview complète est à retrouver sur notre site lalibre.be.