Le cerveau garde-t-il des séquelles du Covid-19 ?
Avec le recul dont nous disposons à l’heure actuelle, on estime que plus de trois quarts des personnes hospitalisées pour le Covid ont encore des symptômes à distance de l’épisode infectieux et environ la moitié de celles qui n’ont pas été hospitalisées gardent encore en moyenne un symptôme. Plusieurs études ont ainsi mis en évidence des symptômes d’ordre neurologique, de nature et sévérité diverse.
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Publié le 05-04-2022 à 14h44 - Mis à jour le 06-04-2022 à 06h38
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Dans quelle mesure le Covid a-t-il ou va-t-il laisser des traces dans le cerveau des personnes qui ont été infectées? Neurologue et chef de service adjoint aux Cliniques universitaires St-Luc, le Pr Vincent van Pesch fait prudemment le point en l'état actuel des connaissances. "C'est un défi, explique-t-il, de pouvoir discuter de cette thématique de manière nuancée, sans être alarmiste, en admettant qu'il y a des choses que nous ne connaissons pas. D'autant que l'on manque de recul à moyen/long terme. Il faut aussi souligner que cela ne touche probablement pas de la même manière chaque individu ayant fait le Covid, car il y a des facteurs prédisposants ou de susceptibilité. On ne peut donc pas généraliser les conclusions de ces études, qui doivent toujours être mises dans le contexte de la population étudiée (âge moyen, comorbidité, état cognitif au départ, sévérité du Covid…)".

Comment faut-il qualifier les atteintes au cerveau observées chez certaines personnes ayant été infectées par le Covid?
Plutôt qu'évoquer des séquelles, je parlerais plutôt de complications neurologiques suite au Covid-19, certaines d'entre elles pouvant guérir ou laisser des séquelles. Il faut cependant bien distinguer, d'une part, la survenue possible d’atteintes neurologiques concomitantes ou dans le décours de l’infection par le SARS-Cov-2 et, d'autre part, la survenue de possibles symptômes neurologiques à distance de l’infection, rentrant dans le cadre de ce que l’on dénomme actuellement "le Covid long". En d'autres mots, dans un cas, il y a des complications aiguës qui peuvent léser le cerveau, et dans un autre cas, il s'agit de symptômes qui ne sont pas liés à des lésions constituées.
Quelles sont les complications neurologiques les plus fréquentes qui ont été documentées?
En fonction des publications, on trouve par ordre décroissant l'encéphalopathie (28-30%), liée à l’orage inflammatoire provoqué par le virus. Celle-ci se manifeste par de la confusion, de l’agitation. Ensuite, l'accident vasculaire cérébral (26-49%), l'encéphalite (9%) ou inflammation du cerveau, le syndrome de Guillain-Barré (6.8%) et plus rarement du parkinsonisme ou des mouvements anormaux. Les premiers variants étaient aussi caractérisés par la survenue de perte de goût et/ou d’odorat dans 40% des cas, le plus souvent résolutif en trois semaines environ. Certaines publications ont également documenté des complications de type psychiatrique (18%), comme une psychose, des troubles anxiodépressifs sévères ou des troubles pseudo-démentiels. En cas de Covid long, les complications relevant de la sphère neurologique sont extrêmement hétérogènes. Les symptômes décrits dans les études sont, par ordre de fréquence: le "brain fog" ou brouillard cérébral, c'est-à-dire des difficultés attentionnelles, de concentration, des troubles de la mémoire de travail, mais aussi des maux de tête, des engourdissements, des picotements, des douleurs musculaires, des sensations vertigineuses, des acouphènes, …tout cela associé à de la fatigue, de l'anxiété, des troubles du sommeil…
Des symptômes à la fois vagues et variés…
Effectivement. Il y a un parallélisme qui est fait avec les manifestions que l'on peut avoir dans le cadre d'un stress post-traumatique. On discute aussi des analogies avec le syndrome de fatigue chronique ou même la fibromyalgie, des pathologies qui restent encore un peu mystérieuses mais qui montrent qu'il y a un dysfonctionnement dans le système nerveux, faisant que ces patients ressentent certaines choses dans leur corps. J'essaie de les rassurer étant donné que ce n'est pas lié à une lésion et que ce problème de dysfonction est réversible. Les examens sont d'ailleurs généralement très rassurants, dans la mesure où ils ne montrent pas de lésion du système nerveux. Le pronostic est donc favorable en théorie. Par ailleurs, des études ont aussi montré que les personnes très anxieuses ou souffrant de troubles de l'humeur avant l'épisode Covid sont plus susceptibles de développer des symptômes somatiques.
Les complications sont-elles liées à la sévérité de la maladie?
Le risque de séquelle dépend du type d’atteinte. Il est plus élevé en cas d’accidents vasculaire cérébral et d’encéphalite, car il y a dans ces cas des lésions structurelles au cerveau. Il faut souligner que les complications neurologiques de la maladie ont été observées essentiellement chez des patients qui avaient des facteurs de risque (âge, déclin cognitif, autres pathologies concomitantes cardiaques etc…) ou une forme plus sévère de la maladie avec insuffisance respiratoire. Une étude chinoise récemment publiée, portant sur 1400 patients, avec un âge médian de 69 ans, a mis en évidence que le risque de séquelles cognitives à un an était plus important chez les patients ayant souffert d’une forme sévère du Covid.
Ces lésions sont-elles irréversibles?
A nouveau, il faut distinguer deux situations. D'une part, lorsque le cerveau a été endommagé par un accident vasculaire cérébral ou une inflammation (encéphalite), les lésions peuvent persister et laisser des séquelles neurologiques. D'autre part, quand le cerveau a été atteint par une encéphalopathie sans lésions visible à l’imagerie par résonance magnétique (IRM), les troubles neurologiques sont en partie réversibles. Nous n’avons cependant pas le recul nécessaire ni suffisamment d’études à ce stade pour savoir si certains troubles cognitifs peuvent persister à long terme. C’est un domaine qui nécessite plus d’investigations. Ceci dit, il y a un potentiel certain d’amélioration des fonctions cognitives à distance de l’infection, en lien probablement avec la résolution des anomalies liées au Covid-19 mais aussi avec les capacités naturelles du cerveau de se réorganiser et la réserve neuronale préexistante avant la maladie.
Que sait-on de la capacité neuro-invasive de ce virus?
Le virus a une capacité neuro-invasive via le bulbe olfactif, mais possiblement aussi par voie sanguine. Les séries d’autopsie de patients avec complications neurologiques ont mis en évidence des dégâts inflammatoires au cerveau (surtout dans le tronc cérébral), pas toujours liés à la présence directe du virus. La susceptibilité à développer des atteintes neurologiques suite au Covid-19 est multifactorielle et implique des facteurs systémiques tels que l’hypotension et le manque d’oxygène, entraînant une hypoperfusion du cerveau, une augmentation de l’expression de facteurs favorisant les thromboses et une fragilisation de la paroi vasculaire ainsi qu'une hyperactivation immunitaire et une production excessive de molécules inflammatoires (orage cytokinique).
A-t-on observé des modifications au niveau du cerveau?
Une étude récente publiée dans la revue Nature par l’équipe du Prof. Gwenaëlle Douaud a comparé l’évolution des volumes cérébraux dans une cohorte de 400 personnes ayant été atteintes par le Covid à ceux de cas contrôles. 85% avaient eu une forme modérée de la maladie, sans hospitalisation. L’analyse, réalisé en moyenne 4,5 mois après avoir eu l’infection au SARS-Cov-2, a révélé qu’il y avait une atrophie plus marquée (0.2-2%) des zones liée à l’odorat mais aussi du volume cérébral global, en particulier de la substance grise. Ces sujets montraient une lenteur accrue dans la réalisation de certaines tâches cognitives. Cette étude doit cependant être interprétée avec précaution pour différentes raisons. Les patients atteints avaient peut-être à la base des caractéristiques les prédisposant à développer ces anomalies. Par ailleurs, ces résultats sont liés à l’infection par le variant Alpha et ne peuvent donc pas être extrapolés aux effets des autres variants sur la fonction cérébrale. En outre, ces résultats, qui ne peuvent être extrapolés à des adultes plus jeunes ou aux enfants ou à d’autres populations ethniques, ont été obtenus sur une durée de suivi courte. Nous n’avons aucune idée de si ces anomalies vont persister à plus long terme. Le risque de séquelles permanentes est probablement plus important si le sujet atteint est déjà fragile à la base.
Une infection au Covid pourrait-elle favoriser les maladies d'Alzheimer ou de Parkinson?
Je resterais très prudent à ce sujet car nous nous ne disposons que de données partielles à court terme dans des populations spécifiques. Les études mériteraient d’être répliquées dans d’autres groupes, d’autres pays, avec des patients atteints par les nouveaux variants, avec un suivi plus long. A ce stade, il n’est absolument pas possible de conclure que le Covid-19 favorise l’apparition de démence d’Alzheimer ou de maladie de Parkinson. On ne peut établir formellement un lien de cause à effet d'autant que toutes ces pathologies neurodégénératives mettent des décennies à s'installer dans le cerveau. Nous aurons donc peut-être la réponse dans 20-30 ans. C'est une question qui est suscitée dans la communauté médicale neurologique à laquelle nous n'avons pas encore de réponse. C'est pourquoi il faut suivre ces cohortes de patients ayant fait le Covid avec atteinte transitoire des fonctions cognitives et voir ce que cela va donner à long terme. En raison de ces questions en suspens, l’association Alzheimer a formé un consortium de recherche international pour investiguer ces questions. Ceci dit, une étude récente portant sur des patients danois ayant été hospitalisés pour le Covid apporte quelques éléments rassurants : l’altération cognitive mesurée à 6 mois de l'infection entre les sujets ayant fait une forme plus sévère de la maladie par rapport à des sujets contrôles est légère (1 point seulement de différence sur le test cognitif standardisé MOCA : Montreal Cognitive Assessment). Par ailleurs, l’altération cognitive ne semblait pas spécifiquement lié au Covid mais était également présente dans une cohorte de patients ayant été hospitalisés pour d’autres pathologies de la même sévérité.
Dans quelle mesure faut-il dès lors s'inquiéter, voire consulter?
Un patient ayant fait le Covid qui présente des difficultés cognitives (troubles de la mémoire ou de l’attention, difficultés de concentration, difficultés exécutives) qui posent des soucis dans sa vie quotidienne, notamment au niveau professionnel, qui altèrent son autonomie ou engendrent une dépendance fonctionnelle vis-à-vis de son entourage, peut consulter afin de déterminer l’origine des plaintes et de voir au mieux comment les prendre en charge.