Pourquoi les récents cas d'hépatite aiguë chez des enfants intriguent-ils tant le monde scientifique ?
Depuis le début du mois d’avril, plusieurs dizaines de cas d’hépatite aiguë d’origine inconnue sont survenus chez des enfants en Europe et aux Etats-Unis (dans l’Alabama). Les premiers signalements ont été faits au Royaume-Uni (en Ecosse, plus exactement) et en Espagne, ensuite au Danemark, aux Pays-Bas ainsi qu’en Belgique où un premier cas a été signalé ce samedi.Avec le Pr Etienne Sokal, hépatologue pédiatre aux Cliniques universitaires Saint-Luc, nous avons tenté de lever un coin du voile sur la mystérieuse affection.
/s3.amazonaws.com/arc-authors/ipmgroup/1ceeccb3-2097-46f3-8d46-df0c56746447.png)
Publié le 26-04-2022 à 10h34 - Mis à jour le 29-04-2022 à 18h56
/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/4A66NRXM4RG5BJ7DCQAEHAJECY.jpg)
Depuis le début du mois d’avril, plusieurs dizaines de cas d’hépatite aiguë d’origine inconnue sont survenus chez des enfants en Europe et aux Etats-Unis (dans l’Alabama). Les premiers signalements ont été faits au Royaume-Uni (en Ecosse, plus exactement) et en Espagne, ensuite au Danemark, aux Pays-Bas ainsi qu’en Belgique où un premier cas a été signalé ce samedi. Il s’agit en l’occurrence d’un cas identifié de manière rétrospective - l’enfant étant guéri depuis plusieurs semaines à présent -, qui nécessite donc d’être pris en compte avec prudence. Ceci étant, l’Institut scientifique de santé publique Sciensano a fait savoir qu’il fallait s’attendre à d’autres cas possibles, dans les semaines à venir.
Quoi qu’il en soit, suite à l’alerte lancée le 19 avril par le Centre européen de prévention et de contrôle des maladies (ECDC), l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a annoncé vouloir lancer des recherches à ce sujet, preuve que le sujet intrigue, voire inquiète. A l’échelle mondiale, 169 cas semblent avoir été répertoriés à ce jour, la plupart au Royaume-Uni (114). Tous les malades sont âgés entre 1 mois et 16 ans, la majorité ayant moins de 10 ans.
Avec le Pr Etienne Sokal, hépatologue pédiatre aux Cliniques universitaires Saint-Luc, nous avons tenté de lever un coin du voile sur la mystérieuse affection.
Moins que le nombre de cas jusqu’ici répertoriés, ce qui semble le plus inquiéter le monde médical est le fait que l’hépatite est une affection qui reste relativement rare chez les enfants. “
Dans notre unité spécialisée dans les maladies du foie, il n’est pas exceptionnel d’avoir des cas d’hépatite (entre autres l’hépatite A pour laquelle il existe un vaccin) chez de jeunes enfants, toutefois peut-être pas aussi sévères que ceux rapportés ici
”, fait remarquer le Pr Sokal.
En revanche, ce qui est plus inhabituel, est le fait d’avoir des clusters d’hépatites aiguës d’origine indéterminée ou potentiellement associées à des virus banals comme l’adénovirus
”.
L’origine de ces hépatites
A ce stade, l'origine précise de la maladie reste inconnue. "Les investigations en laboratoire des cas ont exclu des hépatites virales de type A, B, C, D et E", selon l'ECDC. "Les médecins ont d'abord recherché les virus clairement liés aux hépatites aiguës A, B, C, D et E, nous explique pour sa part le spécialiste belge. Les résultats s'étant avérés négatifs, ils ont cherché la présence de virus opportunistes, ayant un moindre tropisme hépatique, mais par contre fréquents chez les enfants. C'est ainsi que l'on a observé la présence simultanée d'une infection par l'adénovirus dans une proportion non négligeable de ces patients . Reste à savoir si ce virus est - ou non - responsable de l'hépatite. A ce stade, nous n'avons pas de preuve de causalité; il y a juste une association qui est intrigante. Ce qui, en présence de futurs nouveaux cas, amènera à rechercher la présence de cet adénovirus". Trois quarts de ces jeunes patients ont été testés positifs à l'adénovirus, cette hypothèse n'est donc pas exclue.
"On évoque, notamment en présence de température, une cause infectieuse, ce qui semble le plus plausible, ajoute encore le Pr Sokal, dans la mesure où il semble y avoir un contexte de transmission vu l'existence de clusters, au Royaume-Uni et en Alabama, avec contamination de type soit par ingestion soit par aérosol comme habituellement pour les virus respiratoires en général". Une hypothèse qui est également privilégiée par les enquêteurs britanniques "considérant qu'une cause infectieuse est la plus probable du fait des caractéristiques cliniques et épidémiologiques des cas".
Certains scientifiques ont également évoqué la possibilité d'un lien indirect avec le Covid, faisant qu'en raison des confinements successifs, le système immunitaire aurait été diminué. "Il n'existe à ce jour aucune démonstration que notre système ait été affaibli suite à la crise sanitaire, affirme le Pr Sokal. Ce ne sont que des supputations. Même pendant la pandémie, notre système immunitaire - qui est soumis à des stimulations au quotidien - est resté extrêmement efficace. Cela me paraît donc très hypothétique même si, en science, on peut toujours émettre des hypothèses".
Les symptômes à surveiller
Quant aux principaux symptômes, le plus spécifique au niveau clinique est l’apparition d’une jaunisse, laquelle étant éliminée dans les urines les rend plus foncées. Outre cette caractéristique, l’Agence de sécurité sanitaire du Royaume-Uni (UKHSA) liste des selles décolorées, des démangeaisons cutanées, un jaunissement des yeux et de la peau, ainsi que, comme dans la plupart des infections virales, des douleurs musculaires et articulaires, une température élevée, une fatigue anormale, une perte d’appétit et des maux de ventre. Parmi les cas britanniques, “
beaucoup montraient des signes de jaunisse. Certains des cas signalaient des symptômes gastro-intestinaux, y compris des douleurs abdominales, de la diarrhée et des vomissements dans les semaines précédentes
”, selon l’ECDC.
Quels traitements faut-il dès lors administrer? "Avant tout, il est important d'éviter de prendre à la légère des médicaments, qui devront être éliminés par le foie, insiste le médecin. L'organe étant malade, il s'agit de ne pas l'obliger à métaboliser des médicaments et donc avant tout l'épargner autant que possible. En cas de suspicion d'hépatite, une des règles est en effet : pas de médicament. Ni paracétamol, ni anti-inflammatoires. Face aux cas présents qui s'apparentent à une hépatite A, la toute grande majorité des patients vont récupérer endéans une à deux semaines de manière spontanée. Dans les cas présents, comme on n'a toujours pas identifié avec certitude un agent pathogène particulier, il n'y a pas de médicament spécifique à donner. Le jour où l'on aura identifié un virus spécifique, on pourra se tourner vers des antiviraux".
Vigilance et pragmatisme
Pour ce qui est de prévenir l’infection et réduire les risques de contamination, l’Agence britannique de sécurité sanitaire a prescrit de respecter les règles classiques d’hygiène, notamment le lavage des mains, a fortiori avant de manger et après un passage aux toilettes. En outre, s’isoler quand on est malade est la première règle à observer.
Reste la question que se pose la plupart d’entre nous : dans quelle mesure faut-il s’inquiéter? Pour qualifier cette hépatite, virologues et pédiatres utilisent des termes tels : “très étrange”, “extrêmement surprenant” ou encore “vraiment inhabituel et inquiétant”. Si aucun décès n’a été recensé à ce jour, certains cas britanniques ont néanmoins nécessité une transplantation du foie, ce qui est loin d’être anodin d’autant qu’il s’agit de 10 % des cas au Royaume-Uni.
"Il ne s'agit pas pour autant de faire paniquer, selon le spécialiste, qui reconnaît une incidence anormalement élevée de transplantations. Si la jaunisse persiste et ne diminue pas après une semaine, le médecin refera une prise de sang. En cas de signe d'hépatite sévère, il s'agira évidemment de se rendre dans un centre spécialisé pour être pris en charge. Il faut cependant savoir que des cas d'hépatite, même sans cause connue, notamment chez des enfants ont toujours existé. Face à cette alerte, il faut se montrer pragmatique. Nous disposons de réseaux scientifiques efficaces, notamment via les réseaux d'excellence européens qui se penchent sur la question. Pour l'instant, il n'y a pas de raison d'être inquiet même s'il faut rester vigilant. Mais personne ne peut dire comment la situation va évoluer".