"L’alcool est un poison, un tueur de neurones": le seuil sécuritaire pour la consommation n’existe pas
Aucune consommation d’alcool n’est anodine. Dès trois verres par semaine, le risque est déjà considéré comme modéré. Faudrait-il revoir à la baisse les recommandations de 10 unités maximum par semaine ? Tentative de réponse en ce jour de lancement de la 7e édition de la Tournée minérale, ou février sans alcool.
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Publié le 01-02-2023 à 10h57 - Mis à jour le 01-02-2023 à 11h40
“Un verre d’alcool, deux, trois par semaine ? “Il n’y a pas de seuil de consommation d’alcool qui soit sécuritaire” et encore moins “bon pour la santé”. Sur ce point, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) tout comme le Centre canadien sur les dépendances et l’usage de substances (CCDUS) sont très clairs. Chargé de revoir les lignes directrices sur la consommation d’alcool, le CCDUS a récemment resserré la vis. Terminée en effet, la recommandation de 2 verres standards (ou unités) par jour avec un maximum de 10 par semaine pour les femmes et de 3 verres quotidiens jusqu’à concurrence de 15 unités hebdomadaires pour les hommes.

À ces seuils bien définis, le centre canadien préfère à présent proposer un “continuum de risque” en fonction de la quantité d’alcool consommée par semaine afin que le consommateur puisse “faire des choix éclairés”. À lui donc de prendre conscience que 1 ou 2 verres standards par semaine, cela représente (déjà) un risque faible, et davantage en cas de grossesse où l’abstinence est de mise ; de 3 à 6 verres standards par semaine, on se situe à un risque modéré et, au-delà de 7 verres hebdomadaires, le risque devient de plus en plus élevé, que ce soit de cancer (sein, côlon, système digestif, tête et cou…), maladie cardiovasculaire (troubles du rythme cardiaque) ou hépatique, AVC, hypertension, dépression…
En Belgique, les recommandations en vigueur à l’heure actuelle ont été émises en 2018 par le Conseil supérieur de la santé (CSS). Selon cet avis, “pour limiter les risques pour la santé liés à la consommation d’alcool”, il s’agit de “limiter sa consommation d’alcool, car toute consommation d’alcool a un impact sur la santé ; ne pas consommer d’alcool avant 18 ans ; ne pas boire plus de 10 unités standards d’alcool par semaine (NdlR : sans distinction de sexe), à répartir sur plusieurs jours ; prévoir plusieurs jours dans la semaine sans alcool ; pour les femmes enceintes, celles qui souhaitent le devenir et les femmes qui allaitent, ne pas boire de boissons alcoolisées”.
Trop tôt dans l’évolution
Ces recommandations sont aussi celles de la Haute autorité de santé en France, alors que l’OMS en est toujours à recommander un maximum de 14 unités par semaine pour les femmes et 21 pour les hommes, bien loin des nouveaux repères prônés au Canada. “En disant qu’il n’y a pas de consommation d’alcool qui ne soit pas un risque pour la santé, le Canada rappelle la base, et ce n’est peut-être pas encore assez bien répandu, nous dit à ce sujet le Dr Thomas Orban, médecin généraliste, alcoologue et co-auteur de “L’alcool sans tabous” (*). En choisissant de mettre la barre à deux verres standards par semaine, ce qui représente un risque faible, les Canadiens ont été un peu plus drastiques. C’est un choix, car ils estiment que, au-delà de trois verres par semaine, il y a quand même des risques de cancer tête et cou, par exemple, qui vont augmenter de 15 % et davantage encore à chaque verre supplémentaire. De 3 à 6 verres par semaine, on favorise les cancers du sein et du colon”.
Cela étant, la Belgique devrait-elle suivre les recommandations canadiennes ? “Personnellement, je crains qu’avec les repères canadiens, on arrive un peu trop tôt dans l’évolution sur les consommations, répond le spécialiste. Même si nous sommes en train d’évoluer, il me paraît un peu prématuré chez nous de proposer aujourd’hui le seuil de deux verres hebdomadaires. On risque d’avoir un effet inverse, soit de rejet soit de déni complet. Est-ce que ce sera efficace ? Je ne le pense pas. Par cohérence et par pragmatisme, je préfère qu’on se limite, comme c’est actuellement le cas, aux 10 unités par semaine qui sont de plus en plus audibles par de plus en plus de gens”.
À savoir pourquoi est-ce trop tôt pour la Belgique et non pour le Canada, le Dr Orban rétorque : “La Belgique fait partie des pays où l’on boit le plus en Europe et l’Europe est l’endroit du monde où l’on boit le plus, ce qui change un petit peu la donne… Donc, je pense que si on veut faire progresser une santé publique, ce n’est pas en prenant de front les gens avec des choses infaisables pour la majorité d’entre eux que cela va fonctionner. D’abord, déjà aujourd’hui pour beaucoup de gens, les repères de 10 unités/semaine, cela reste quelque chose qui est un travail de tous les jours. Quand j’ai commencé l’alcoologie, aux alentours des années 2000, on était à 28 unités par semaine !.
Aucun bienfait sur la santé
Les connaissances évoluent. N’a-t-on pas vanté les effets bénéfiques du vin rouge, consommé avec modération, dans la prévention de certaines maladies cardiovasculaires, le renforcement du système immunitaire, voire le ralentissement des symptômes de la maladie d’Alzheimer ? Alors, n’y a-t-il vraiment aucun bienfait lié à l’alcool ? “Pour ce qui concerne la santé, il faut reconnaître que ce n’est pas très clair, admet l’alcoologue. De récentes études ont démonté les effets positifs démontrés dans de précédents travaux au niveau cardiovasculaire. Il semble en effet que l’alcool ne soit pas un produit bon pour le cœur. Le discours du petit verre de rouge par jour qui est bon pour la santé, c’est faux. Concernant le diabète, les avis sont aussi contradictoires. En l’état actuel des connaissances, on ne peut pas affirmer aujourd’hui qu’il existe des effets bénéfiques. Non, à la base, l’alcool est un poison, c’est un tueur de neurones et c’est toujours à risque”.
Et comme aime à le répéter ce spécialiste, “il ne faut pas être alcoolique pour avoir un problème avec l’alcool. On peut fabriquer un cancer avec une consommation d’alcool modérée et relativement régulière. Outre les cancers, il y a 200 maladies qui sont liées à la consommation d’alcool. Je suis devenu alcoologue parce que j’ai vu l’impact de l’alcool sur l’ensemble des pathologies. Cela ne veut pas dire que l’alcool est un produit qu’on doit bannir parce que c’est la drogue de notre société. Mais on doit quand même un peu réfléchir à comment l’utiliser et inciter nos hommes politiques à penser l’alcool autrement.”
(*) L’alcool sans tabous, Spécial 12-35 ans, Thomas Orban et Vincent Liévin, Ed. Mardaga, 19,90 €.

Les bons conseils du Dr Orban
Comment boire en société sans devenir dépendant ? “Avant tout, il faut sortir de la normalité. Boire en société ne veut pas nécessairement dire qu’il faut consommer de l’alcool. S’amuser avec les autres, faire du sport… tout cela ne doit pas nécessairement être associé à l’alcool. Il existe toute une série de produits sympas sans alcool. Ensuite, il convient d’avoir une attitude de suivi de sa propre consommation d’alcool et faire en sorte de rester dans la ligne “10.2.0”. Dix unités par semaine, des jours sans alcool et, quand on consomme, essayer de ne pas dépasser 2 à 3 unités à la même occasion. Enfin, il faut être attentif à la vitesse de consommation. Plus on consomme vite, plus on risque des ennuis car l’alcool est un interrupteur cérébral, dans la mesure où il éteint les circuits cérébraux. L’un des premiers circuits qu’il éteint est le cortex préfrontal qui est le centre de l’exécutif. En d’autres mots, le circuit qui vous fait prendre les bonnes décisions. Et donc, s’il est éteint, la première chose que l’on va faire est prendre de mauvaises décisions, en l’occurrence prendre un verre supplémentaire, puis un autre et encore un autre… Avec tous les ennuis que l’on imagine”. C.Q.F.D.
Une cuite de temps en temps, ce n’est pas grave.” Vraiment ?
L’alcool est la première cause de mortalité chez les moins de 30 ans. “Combien de consommateurs ont-ils conscience de boire un produit chimique ?, interroge le Dr Thomas Orban dans son dernier ouvrage L’alcool sans tabous, spécial 12-35 ans, écrit avec le journaliste Vincent Liévin. Qui sait qu’il y a de l’éthanol dans son verre de vin, dans sa bière ou autre alcool ? Nous devrions apprendre dès l’école ce qu’est l’éthanol. Aujourd’hui, de plus en plus de jeunes consultent des applications pour savoir ce qu’ils mangent en scannant un code-barres sur un produit, mais personne ne scanne le produit alcool.”
Dans cet ouvrage, plus spécialement dédié aux 12-35 ans et qui fait la part belle aux témoignages, les auteurs mettent en évidence les conséquences des excès, comme une “cuite”, et expliquent comment prendre conscience des excès. Ou encore comment profiter autrement, alors que l’alcool est omniprésent.
Un exemple de conseils pratiques parmi d’autres. Comment peux-tu éviter une consommation à risque ?
– Consomme lentement et peu.
– Connais-toi : que se passe-t-il si tu consommes trop ?
– Alterne les softs (l’eau !) avec l’alcool.
– Définis un nombre limite de verres avant de débuter la soirée.
– Ne consomme pas systématiquement à chaque fête.
– Ne consomme pas par automatisme et encore moins par soif !
Tournée minérale ou février sans alcool
Ce mercredi 1er février est lancée la 7e édition de la Tournée minérale, une campagne francophone qui invite chacun à réfléchir à sa consommation et à se lancer un défi santé : ne pas consommer d’alcool pendant tout ce mois de février et, pourquoi pas, continuer sur sa lancée.
Les effets positifs ressentis par les participant(e)s de la Tournée minérale sont nombreux : plus d’énergie, un sommeil de meilleure qualité, des économies d’argent, une perte de poids, une jolie peau ou encore une meilleure concentration.
Plus d’infos : www.tournee-mineral.be