"Les preuves s'accumulent": pourquoi le Covid crée un nouveau vent de panique chez les chercheurs
La circulation sans frein du Covid dans le monde laisse tout un chacun face au risque d’infections multiples dont les conséquences possibles sur les systèmes immunitaire, cardiovasculaire et neurologique inquiètent les scientifiques.
Publié le 01-02-2023 à 12h26 - Mis à jour le 01-02-2023 à 12h34
Et vous, combien de fois avez-vous attrapé le Covid ? Une, deux, trois fois ? Difficile d’échapper au virus Sars-CoV-2 depuis son entrée sur le territoire européen en 2020. Cette maladie s’est installée dans nos vies et l’arrivée de la dernière vague, en train de décroître doucement, n’a pas poussé le gouvernement français à réinstaurer le port du masque dans les lieux clos, malgré la présence concomitante de deux autres épidémies de virus respiratoires, la bronchiolite et la grippe. A partir de mercredi, l’isolement des personnes infectées ne sera même plus obligatoire en France. Il faut vivre avec le virus, et donc risquer de l’attraper probablement plusieurs fois à quelques mois d’intervalles. Mais à quel prix ?
Le Covid a des conséquences au-delà de la phase aiguë de la maladie. En Allemagne, le ministre de la Santé, Karl Lauterbach, qui suit de près les études scientifiques, se dit «inquiet» face aux réinfections. Il craint qu’elles entraînent une «déficience immunitaire» ou soient un «facteur de risque» pour diverses maladies. Une déficience immunitaire liée au Covid ? C’est le sujet chaud du moment chez les scientifiques. L’hypothèse qui les travaille : chez certaines personnes, une infection affecterait le fonctionnement du système immunitaire pendant plusieurs semaines. Mais rien n’est tranché. «Les preuves s’accumulent de l’impact négatif du Covid sur le système immunitaire d’un individu en bonne santé», écrivait en décembre sur le site The Conversation Lara Herrero, virologue à l’université Griffith en Australie. «Les preuves manquent», rétorquait ce 20 janvier, sur le même site, Sheena Cruickshank, professeure à l’université de Manchester. «Le Covid n’affaiblit pas le système immunitaire», affirme de son côté auprès de Libération l’immunologue Brigitte Autran, présidente du Comité de veille et d’anticipation des risques sanitaires (Covars).
65 millions de Covid longs dans le monde
La séquelle la plus documentée de ce coronavirus reste le Covid long. Un article signé Eric Topol, cardiologue à l’institut de recherche Scripps (Etats-Unis), et publié le 13 janvier dans Nature Review Microbiology, estime que 65 millions de personnes dans le monde souffrent de Covid long. Soit un dixième des infectés depuis le début de la pandémie. Personne n’est à l’abri. L’article liste tous les maux dont peuvent souffrir les patients atteints : perte du goût, problèmes d’érection, nausées, maux de poitrine…
Selon une autre étude publiée dans la revue scientifique Jama en octobre, 90 % des patients souffrant de symptômes persistants n’ont pas enduré de forme grave de la maladie. Même sans parler de Covid long, les conséquences d’une infection par le coronavirus ne sont pas anodines. Une nouvelle étude scientifique publiée dans Jama le 18 janvier a suivi 1 832 adultes aux Etats-Unis : «Jusqu’à six mois après les symptômes, les participants présentent un risque significativement plus élevé de problèmes pulmonaires, diabétiques ou neurologiques par rapport au niveau de référence avant l’infection», relatent les chercheurs.
Le Sars-CoV-2 ne s’attaque pas qu’aux poumons. Il a été retrouvé dans les intestins, le cœur, le cerveau ou même les yeux, selon une étude portant sur les autopsies de 44 personnes mortes avec le Covid. «Chez certains patients, le Sars-CoV-2 peut causer des infections systémiques et persister dans le corps pendant des mois», notent les auteurs de l’article publié par Nature le 14 décembre. En France, l’association de patients «Après J20» fustige l’absence d’application de la loi sur le Covid long votée le 24 janvier 2022 et qui devait permettre un meilleur suivi des patients atteints.
Le système de suivi de santé des vétérans de l’armée américaine offre aux chercheurs une cohorte de choix pour étudier les séquelles du Covid. «Après le Covid, les vétérans ont un risque plus élevé de complications cardiaques (infarctus, caillots, etc.)», détaille à Libération l’auteur de ces études, Ziyad al-Aly, directeur du centre d’épidémiologie clinique à l’université de Saint-Louis (Missouri). Selon ses travaux, environ 4 % des infectés pourraient souffrir d’une complication cardiovasculaire post-Covid. Une proportion que la vaccination ferait descendre à 3 %.
Ziyad al-Aly s’est aussi intéressé au risque causé par les réinfections. Là encore, ses résultats jettent un froid sur la stratégie globale de laisser le virus circuler librement. «Notre travail est souvent mal compris. Nous ne disons pas qu’une seconde infection est pire que la première, ce n’est pas le cas. Nous disons qu’une seconde infection augmente le risque de conséquences néfastes à long terme, par rapport à une seule infection», insiste-t-il auprès de Libération. Un constat qui ressort d’une évidence : être infecté deux fois est moins bon que n’être infecté qu’une fois (ou zéro). Mais à l’heure où une petite musique laisse penser, en France, que ne pas rencontrer de virus affaiblirait le système immunitaire en cas de contamination future, il ne semble pas superflu de rappeler l’évidence : il est toujours mieux d’éviter de tomber malade.
«Miser sur le fait qu’un virus renforce votre système immunitaire et vous rende en meilleure santé est un pari assez dangereux, que vous pourriez regretter plus tard», alerte sur Twitter l’immunologue à l’université de Lisbonne Marc Veldhoen.
Les hypothèses expliquant le Covid long
Même après trois ans de pandémie, faire preuve d’arrogance face au Sars-CoV-2 reste fort risqué sur le plan sanitaire tant on est incapable de le comprendre entièrement. Le cas des Covid longs est, à ce titre, éloquent. Pourquoi des patients subissent-ils encore plusieurs mois, voire plusieurs années après leur infection des séquelles parfois invalidantes dans leur vie de tous les jours ? L’épidémiologiste Ziyad al-Aly souhaiterait que «tout le monde soit sur le pont» pour «comprendre et traiter ces cas».
Le cardiologue Eric Topol, dans son article précédemment cité, considère que «les symptômes [du Covid long] peuvent durer des années». Plus inquiétant, «les cas de fatigue chronique et de dysfonctionnement du système nerveux autonome pourraient durer toute la vie». Il se livre aussi à un inventaire des hypothèses crédibles pour expliquer les différents cas de Covid longs. Là encore, elles laissent perplexes face aux capacités de nuisance du Sars-CoV-2.
Le Covid long pourrait être dû à une persistance du virus dans certains organes – une capacité que ne semblent pas avoir les quatre coronavirus déjà habitués à infecter les humains – ou à la réactivation par le coronavirus d’autres virus persistants, comme l’herpès. L’apparition de caillots sanguins pourrait également être en cause, ou encore le déclenchement d’une maladie auto-immune, quand le système immunitaire s’attaque à nos propres cellules. Le Covid pourrait enfin s’attaquer à la flore intestinale ou encore perturber la communication neuronale.
«Nous sommes tous vulnérables»
Ces données remettent en cause l’approche consistant à tout miser sur le vaccin et à insister sur les risques pour les plus fragiles. Après avoir lu l’article d’Eric Topol, le spécialiste des maladies infectieuses australien Brendan Crabb rappelle au quotidien australien The Age que «si vous prenez en compte le Covid long, alors nous sommes tous vulnérables».
En France, le vaccin protège l’essentiel de la population contre le risque de forme grave. Mais il laisse au bord de la route les plus fragiles (personnes âgées, en chimiothérapie, greffées, etc.) et ne suffit pas à lui seul pour protéger contre les risques de réinfection multiples. Outre le relâchement généralisé sur les gestes barrières et le port du masque, quid de la ventilation ? Malgré la promesse du président candidat Macron en avril, aucun grand plan de ventilation n’a été mis en place dans les lieux accueillant du public. «Il n’y a pas de place pour la complaisance face au Covid en 2023», affirmait pourtant la revue scientifique Nature dans un éditorial le 23 décembre. Un message entendu par certains. Au forum international de Davos, où se retrouvent les décideurs économiques du monde entier, «des systèmes de ventilation à la pointe de la technologie ont été installés» dans les lieux clos, selon l’organisation. A l’Ecole alsacienne à Paris, établissement privé et élitiste, des purificateurs d’air ont été installés dans les lieux de restauration et des capteurs de CO2 dans toutes les salles de classe et de réunion. A quand de telles mesures dans tous les espaces clos et publics ?