Comment expliquer l’incidence galopante du cancer du pancréas ?
Même s’il reste rare jusqu’ici, en 15 ans, le nombre de nouveaux cas a doublé en Belgique. Un autre paramètre inquiète cependant davantage la Fondation contre le cancer.
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Publié le 07-03-2023 à 15h19
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En croissance constante, en termes d’incidence et de mortalité, le cancer du pancréas pourrait devenir dans les années 2030, en Europe et aux États-Unis, le cancer le plus répandu après le cancer du poumon. C’est en tout cas l’alerte lancée par des médecins français qui se sont récemment confiés à nos confrères du journal Le Monde. ” En France, l’incidence est galopante, un doublement a déjà eu lieu entre 2000 et 2006, puis entre 2006 et 2012. Et alors que la mortalité de tous les autres cancers a diminué, celui-ci n’a pas bénéficié des progrès actuels”, a alerté Vinciane Rebours, cheffe du service de pancréatologie de l’hôpital Beaujon à Clichy, dans les Hauts-de-Seine.
Bien qu’il reste encore relativement rare par rapport aux cancers du poumon, du sein, de la prostate ou encore du côlon, ce cancer voit augmenter le nombre de nouveaux cas de 3 %, chaque année, en France. Et avec lui, le nombre de décès. La Belgique n’échappe pas à cette tendance à la hausse. En 15 ans, le nombre de nouveaux cas a doublé, passant de 1 068 en 2004 à 2 043 en 2020, dont 1 015 femmes et 1 028 hommes. Dans plus de 90 % des cas, il s’agissait d’adénocarcinomes pancréatiques.
Des diagnostics à un stade métastasé
Dans notre pays, le cancer du pancréas se situe aujourd’hui à la 9e place en termes d’incidence parmi tous les cancers et en 4e position au niveau de la mortalité. Pour cette raison, l’inquiétude qui s’affiche chez nos voisins français semble être moins aiguë chez nous. Mais le Dr Véronique Le Ray, directrice médicale et porte-parole de la Fondation contre le Cancer (FCC) précise qu’“outre l’augmentation des cas, la chose qui semble la plus inquiétante, c’est que plus de 50 % de ces cancers sont diagnostiqués à un stade métastasé”.
C’est que, contrairement au cancer du sein ou du côlon, entre autres, celui-ci ne bénéficie pas d’un dépistage organisé. “Il n’existe à ce jour pas de méthode permettant un dépistage précoce systématique de ce cancer, confirme la directrice médicale de la FCC. Il manque également de marqueurs biologiques diagnostiques et prédictifs et il est difficile d’obtenir un prélèvement histologique car la tumeur est souvent difficile d’accès avec un petit volume cible. Une piste pour le futur serait la signature métabolique du cancer, en identifiant, par exemple, l’expression des acides aminés, liée à un risque de cancer pancréatique multiplié par deux. Cela permettrait de détecter la maladie deux à cinq ans avant un diagnostic classique”. Pouvoir identifier des biomarqueurs circulants, des traces infinitésimales d’ADN tumoral circulant dans le sang, est d’ailleurs une piste largement explorée et prometteuse.
Quant au facteur héréditaire, en ce qui concerne les pancréatites chroniques familiales avec risque de cancérisation, “on sait que les mutations génétiques BRCA1 et BRCA2 (BReast CAncer mutation or délétion) entraînent un risque accru de développer un cancer du pancréas, précise encore le Dr Le Ray. Le syndrome sein-ovaire, associé à une mutation des gènes BRCA 1 et 2, expose en effet à un risque de cancer du pancréas 3,5 à 10 fois supérieur à la normale. Dans ce cas, le dépistage est possible mais il s’avère coûteux et lourd, dans la mesure où il se fait par endoscopie sous anesthésie générale”.
Il n’empêche que, pour le moment, l’une des rares pistes envisageables pour enrayer la progression de ce cancer redoutable serait un meilleur dépistage pour les personnes à risque, en l’occurrence celles qui ont des cas de ce cancer dans leur famille ou celles qui sont atteintes de pancréatite chronique génétique, même si aucun gène spécifique prédisposant au cancer du pancréas familial n’a été identifié à l’heure à ce jour.
Des causes encore mal définies
Et si le diagnostic est tardif, c’est aussi que le cancer du pancréas peut rester “silencieux” ou asymptomatique pendant des années. Dans la grande majorité des cas (80 %), quand des symptômes apparaissent (douleurs abdominales, ictère (jaunisse), amaigrissement rapide, diabète récent…), la maladie en est déjà le plus souvent à un stade bien avancé, avec présence de métastases. C’est en effet ce que l’on observe dans plus de la moitié des cas, alors que la tumeur mesure déjà environ 3 cm quand elle est découverte.
Une autre particularité du cancer du pancréas est que les causes précises ne semblent pas encore clairement et entièrement définies. “On sait que le tabagisme (NdlR : impliqué dans 20 % à 30 % des décès liés au cancer du pancréas), le diabète, l’obésité et l’alcool, entre autres, en augmentent le risque, poursuit le Dr Le Ray. Mais ces seuls facteurs de risque n’expliquent pas tout”. S’il faut aussi prendre en compte le vieillissement de la population, sachant que l’âge médian au moment du diagnostic est de 70 ans, certaines études évoquent le rôle de l’alimentation ultra-transformée ou encore de l’exposition à la pollution.
Des cancers rarement opérables
Diagnostiqués à un stade “localement avancé” (30 % des cas) ou métastasique (50 %), les cancers du pancréas sont rarement opérables. Et quand chirurgie il peut y avoir (ce qui est le cas pour deux patients sur dix), elle s’avère particulièrement lourde, avec des risques opératoires élevés, la tumeur ayant envahi les vaisseaux sanguins de l’abdomen, qui sont vitaux. Pour les 20 % de cas opérables, l’intervention se fait soit d’emblée, soit après une chimiothérapie (aussi prévue en postopératoire) et/ou une radiothérapie pour les cas limites, avec des pronostics qui demeurent malheureusement peu favorables.
Quant à l’immunothérapie, qui consiste à stimuler le système immunitaire du malade pour tuer les cellules cancéreuses, si elle a montré jusqu’ici une certaine efficacité dans le cancer du poumon et le mélanome, elle ne donne toujours pas de résultats probants dans le cancer du pancréas. “La tumeur est protégée par un micro-environnement qui gêne l’efficacité des médicaments qui n’arrivent pas à pénétrer, explique le Dr Le Ray. L’immunothérapie n’y est donc pas efficace. En outre, la biologie est défavorable. La tumeur s’auto-suffit : elle croît malgré le peu de vaisseaux présents pour la nourrir. La division de ces cellules est illimitée et résiste à l’apoptose (mort cellulaire programmée) et aux agents de chimiothérapie.”
Autant de réalités qui expliquent la complexité et la difficulté de venir à bout de ce cancer. Dans ce contexte, peut-être l’espoir viendra-t-il de l’intégration des données d’intelligence artificielle sur les différents examens d’imagerie réalisés de façon à pouvoir intervenir de manière plus précoce. Quoi qu’il en soit, en termes de prévention, les douze recommandations de l’Association internationale de recherche sur le cancer restent d’application, même si elles ne sont pas spécifiques au cancer du pancréas. À savoir, entre autres : ne pas fumer et éviter le tabagisme passif, maintenir un poids sain, limiter la consommation d’alcool, avoir une activité physique suffisante, limiter la consommation de viande rouge et en particulier de produits transformés (charcuteries),…