"J’ai en moi une bête extrêmement agressive qu’il faut calmer" : Thierry, atteint de la maladie de Huntington
Âgé de 52 ans, ce Liégeois a “hérité” de son père un gène défectueux qui signe cette maladie neurodégénérative incurable. Un mal qu’il n’a heureusement pas transmis à ses deux enfants. Cette rencontre s'inscrit dans notre nouvelle série "Mots pour maux".
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- Publié le 17-04-2023 à 12h00
- Mis à jour le 17-04-2023 à 13h13
La démarche mal assurée, une jambe raide, un geste parasite de temps à autre, le visage tantôt figé tantôt grimaçant, mais le regard vif et parfois malicieux, Thierry Forville nous accueille aimablement dans sa région liégeoise. Avec, à ses côtés depuis 1995, Denise et sous le regard bienveillant de Julie, sa belle-fille qui “connaît bien tous les gestes de Papy”, lance-t-elle quand il fait mine de vouloir une tasse de café.
”Une chose dont je trouve que l’on ne parle pas assez dans les maladies, c’est l’importance de l’accompagnant, de l’aidant proche… Son rôle n’est pas assez reconnu au niveau statutaire, notamment. Il joue à l’infirmier, à l’assistant social… et on trouve ça normal. Or, non, ce n’est pas une obligation”, nous dit-il d’entrée de jeu en lançant un regard complice vers son épouse, avant même que l’on ait abordé le sujet qui nous mène à lui : la maladie de Huntington, une affection génétique héréditaire qui se caractérise par une dégénérescence des cellules nerveuses au fil du temps. Aussi appelée Chorée de Huntington, cette maladie neurodégénérative qui se déclare le plus souvent chez des adultes de 30-40 ans, entraîne des symptômes psychiatriques, cognitifs et moteurs.

Ma grand-mère me faisait peur
Ce foutu gène, il l’a hérité de son père qui, lui, l’avait reçu en héritage de sa mère. Du moins est-ce ce que l’on croit car “c’est compliqué, intervient notre hôte. Avant, c’était une maladie honteuse, une maladie psychiatrique dont on ne parlait pas. Quand j’ai eu mes enfants, je ne savais pas que cette maladie existait dans la famille. Tout ce dont je me souvenais, c’est que ma grand-mère était une femme tout amaigrie, recroquevillée, qui faisait des grands gestes dans tous les sens… Elle me faisait peur.”
Quant au père de Thierry Forville, pendant des années, il a été soigné pour dépression “qui n’était en réalité qu’un symptôme de cette maladie. Il a donc été mal soigné longtemps et c’est par accident que l’on a découvert qu’il s’agissait de Huntington. Alors qu’il avait une soixantaine d’années, c’est la première fois que ce nom est apparu.”
Le monde s’effondre
Aujourd’hui âgé de 52 ans, Thierry, lui, a été diagnostiqué à 40 ans. “Dès que j’ai su que mon père avait cette maladie, j’ai voulu faire le test. Comme j’avais déjà vu ma grand-mère complètement dégradée, on se rend compte que c’est un peu le miroir de notre avenir. C’est extrêmement pénible d’autant qu’en me renseignant, je m’aperçois que cela concerne aussi mes enfants que j’ai eus entre-temps, sans savoir… Le monde s’effondre. Je ne me sens pas encore malade à ce moment-là, mais je sais que je ne peux pas me projeter à long terme dans la vie. Il y a une 'deadline' qui est, en plus, épouvantable. Si vous voyez des malades à un stade très avancé, leur corps est devenu la prison de leur esprit. Quand je reçois le diagnostic, je me dis que c’est ce qui m’attend… et qui attend peut-être mes enfants. Un drame, d’autant qu’il n’existe aucun traitement.”
Cette charge immense à porter amène Thierry à avoir “des idées suicidaires” et le conduit plusieurs fois à des tentatives de mettre fin à ses jours qui se terminent aux soins intensifs. “Ce n’était pas simplement des appels à l’aide ; je voulais vraiment en finir, avoue-t-il. Avant de poursuivre : tout cela s’est arrêté du jour au lendemain, dès le moment où j’ai appris que mes deux enfants étaient négatifs. Cela a été une épée de Damoclès longtemps suspendue au-dessus de ma tête qui a été retirée quand, le jour de leurs 18 ans, mon fils et ma fille ont pu faire le test et qu’il s’est révélé négatif. Comme ils ne sont pas porteurs du gène, mes petits-enfants sont aussi sains. De mon côté donc, la branche de la maladie s’arrête.”
En revanche, du côté de son frère, décédé à l’âge de 38 ans d’une embolie pulmonaire, des cinq enfants, seuls deux ont souhaité faire le test (qui s’est avéré négatif), les autres ayant jusqu’ici préféré vivre sans savoir si, oui ou non, ils étaient porteurs du gène défectueux. “C’est leur choix, commente sobrement Thierry, sans le moindre jugement. Il n’y a pas de bon ou de mauvais choix.”
Les premiers symptômes
Monteur soudeur à l’époque, il est ensuite devenu informaticien suite à un accident. “Quand mon cerveau a commencé à ne plus pouvoir suivre… (il cherche ses mots et demande de l’aide à Denise) les mises à jour, nous dit-il en s’excusant presque des défaillances de sa mémoire courte, j’ai dû arrêter de travailler.”
Puis, il se reprend : “En fait, Huntington, c’est un peu un mélange d’Alzheimer, de Parkinson avec un aspect un peu plus psychiatrique, comme la schizophrénie… Le premier symptôme qui est apparu est la dépression, mais est-ce la maladie ? Ou dû au fait d’avoir appris le diagnostic ? Puis, il y a eu des problèmes de mémoire courte, d’orientation, d’équilibre… J’ai aussi eu des moments de folie, des obnubilations. Je me suis retrouvé à minuit sur mon toit pour remettre en place une tuile qui me dérangeait…” Travailler devient impossible. La salle de musculation qu’il aimait fréquenter, ce n’est plus pour lui. Les deuils commencent…
Ce qu’il appréhende le plus aujourd’hui ? “J’ai terriblement peur du moment où l’amaigrissement vient frapper. C’est soit un fort amaigrissement soit une forte prise de poids, parce que le système digestif aussi se met à déconner… Le cerveau ne dit plus comment manger, comment boire. On a des fausses routes qui provoquent des pneumonies. Et c’est souvent de ça que l’on meurt : des complications pulmonaires. L’espérance de vie avec la maladie se situe entre 15 et 25 ans. J’ai calculé que j’en étais à la moitié…”

Je ne passe pas à côté de ma vie
L’euthanasie. Oui, “j’ai déjà fait les démarches nécessaires. Ma femme sait à peu près quand ce sera le moment. Le moment où je cesserai d’avoir le respect de mon corps, l’autonomie… Faire dans un lange, ça, je ne veux pas.”
Ce qui fait tenir Thierry jusque-là se résume en un mot : famille. “J’ai énormément de chance d’avoir une famille très soudée. Autour de nous, il y a un noyau dur, très solide. Mes proches sont conscients que je suis malade, mais ils agissent comme si je ne l’étais pas. Ils ne me traitent pas en impotent. Je profite de ces moments-là, avec mes petits-enfants dès que je peux. Car je suis aussi fort fatigué, de par la maladie et les médicaments qu’il faut prendre (antidépresseurs, somnifères…) J’ai quand même en moi une bête extrêmement agressive qu’il faut calmer et qui profite de chaque moment de faiblesse.”
Alors aujourd’hui, lui, il profite comme il peut, mais à fond de la vie. “Mes vœux sont très simples : ils se résument à bien profiter de ma famille. Voir mes enfants, mes petits-enfants : il n’y a rien qui soit au-dessus. Si j’ai envie de faire quelque chose, je le fais tout de suite, sans remettre à demain. Le bon côté de la maladie, c’est que moi, je ne passe pas à côté de ma vie. J’ai accepté ma maladie. Il y a beaucoup de gens en bonne santé qui sont en train de passer à côté de leur vie parce qu’ils vont peut-être se rendre compte à 80 ans qu’ils avaient envie de sauter en parachute et qu’ils ne l’ont pas fait. Et moi, tout comme aller en Égypte, c’est un rêve que je compte bien réaliser.”
La maladie de Huntington
La maladie de Huntington (MH) – auparavant appelée Chorée de Huntington – est une maladie neurologique à évolution progressive. Cette maladie génétique orpheline, à profond retentissement familial, fait partie des maladies rares les plus fréquemment rencontrées. Elle affecte plus de 900 familles en Belgique francophone, d’après la Ligue Huntington francophone belge. (www.huntington.be)
L’apparition de la maladie est souvent insidieuse et progressive. Statistiquement, les symptômes apparaissent le plus souvent entre 35 et 50 ans mais peuvent aussi se manifester chez des sujets plus jeunes (forme juvénile) ou plus âgés (forme tardive). Ils varient d’une personne à l’autre et sont également fonction du stade de la maladie.
Généralement, on voit apparaître progressivement et à un rythme variable des déficits à 3 niveaux :
- au niveau moteur : mouvements saccadés et involontaires, difficulté de contrôler les mouvements, déficit de la marche, perte d’équilibre, alimentation et déglutition difficiles…
- au niveau cognitif : troubles du langage, compréhension ralentie, difficulté de concentration, troubles de la mémoire, difficulté de prendre des décisions, d’initier, d’organiser ou de séquencer des activités…
- au niveau émotionnel : modifications de la personnalité, repli sur soi, sautes d’humeur brusques, irritabilité ou dépression…
La maladie de Huntington est une maladie génétique autosomique dominante ce qui signifie qu’elle se transmet avec un risque de 50 % à chaque enfant, qu’il soit fille ou garçon. C’est ce caractère génétique qui en fait une maladie familiale particulièrement angoissante pour chacun des membres des familles concernées. Le diagnostic relève d’un neurologue, parfois d’un psychiatre, et est actuellement posé sans risque d’erreur puisque depuis 1993 également, les symptômes cliniques peuvent être confirmés par une analyse d’ADN (appelé test génétique symptomatique).
Mots pour maux
A travers "Mots pour maux", La Libre a choisi de donner la parole à des personnes affectées par des maladies diverses, tant physiques que mentales, courantes ou rares. Des rencontres qui ont pour objectifs de comprendre leur quotidien, leurs difficultés et espoirs, de partager leur regard sur l'existence. Une manière aussi de rappeler que nul n'est à l'abri de ces accidents de la vie. Cette série est à retrouver un lundi sur deux sur notre site.
