"Je m’en veux de ne pas avoir su écouter mon corps quand il me disait qu’il était fatigué"
Femme super (trop ?) active, joviale, enthousiaste, cette mère de famille s’est un jour effondrée, terrassée par un accident vasculaire cérébral qui, après une semaine de coma, l’a rendue hémiplégique gauche. Depuis, elle se reconstruit… Cette rencontre s'inscrit dans notre nouvelle série "Mots pour maux".
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Publié le 01-05-2023 à 12h02 - Mis à jour le 02-05-2023 à 17h05
”Active, moi ? Oui. Je ne tiens pas en place”, nous lance comme une évidence, le regard pétillant, Elena (”parce que je suis née à Rome”) Matundu Luzolo (”de parents congolais”). Avant d’enchaîner – les yeux cette fois baissés et le ton plus modéré – “peut-être trop active, même…“, persuadée que c’est en partie cette énergie débordante qui lui a valu, un jour d’automne dernier, son accident vasculaire cérébral (AVC).
Bloquée, comme aspirée par le sol
Ce 17 octobre 2022, la journée avait pourtant bien commencé. En tout cas, tout à fait “normalement” pour cette assistante de direction de 55 ans qui, une fois sa voiture déposée au garage pour un entretien, s’en va faire quelques courses avant de regagner à pied son domicile pour une réunion en visioconférence avec une collègue. Prise par l’envie d’un café, elle se lève, ressent un vertige et… s’effondre. “Pas moyen de me relever, nous dit-elle. Bloquée, j’étais comme aspirée par le sol”.
Agacé par la sonnerie insistante de la collègue à laquelle sa mère semble ne pas vouloir répondre, l’un des deux fils d’Elena dévale les escaliers et trouve sa maman allongée à terre. “Heureusement, il a fait le secourisme et, après quelques tests, m’a aussitôt annoncé : maman, tu as fait un AVC”. En réponse, il reçoit un “Mais non, c’est pas vrai, arrête tes conneries !”. Son fils appelle alors les secours, puis, “plus rien. J’ai perdu connaissance”.
Le réveil aux soins intensifs
Quand Elena se réveille aux soins intensifs, après une semaine de coma, elle pense qu’elle venait de tomber. “Je me suis énervée parce que je ne sentais pas mes jambes, se souvient-elle. Tout le monde me disait de me calmer et m’assurait que 'ça allait revenir'. Je n’arrivais pas à bien articuler. Et comme je suis une pipelette…”.
À la mi-cinquantaine, la voilà à présent hémiplégique gauche, avec des troubles du langage. Il faudra réapprendre à parler correctement, à marcher, à prendre des objets en main… tout cela au Service de médecine physique et réadaptation des Cliniques universitaires Saint-Luc où elle se rend à présent trois fois par semaine pour des séances de kinésithérapie, d’ergothérapie et de neuropsychologie. “La prise en charge, très lourde, a été extraordinaire”.

Plus de 4 mois d’hospitalisation
Mais avant ces soins aujourd’hui suivis en ambulatoire, Elena a passé “quatre mois et trois semaines, ça, je m’en souviens”, hospitalisée aux Cliniques St-Luc. “Au bout de deux mois, j’ai recommencé à me lever et marcher. Tout le monde était surpris que ce soit si tôt. Mais moi, je savais que j’y arriverais, et vite, à force de volonté, de kiné… Je me donnais à fond. Un de mes premiers objectifs était de me lever et marcher. Je m’étais lancé le “défi Beyonce”. C’est aussi le regard de pitié des gens qui m’a poussée à me surpasser. Petit à petit, j’y suis arrivée, même si je me déplace encore avec l’aide d’une béquille et si la main gauche a toujours beaucoup de mal. Je n’arrive pas encore à attraper des choses, tenir une fourchette par exemple, 'faire la pince' comme on dit. Mon prochain défi est de recommencer à conduire ma voiture. Je pense que j’en suis aux trois quarts du parcours.”
Aucun signe précurseur
Des signes précurseurs, Elena n’en a eu aucun. “Ou alors, je n’ai pas su les détecter”, ajoute-t-elle. Rien qui aurait pu annoncer la survenue d’un AVC. “C’est ça qui fait peur. J’étais active, sportive, sans antécédent d’AVC dans la famille et je me suis sentie très bien jusqu’au moment de l’AVC”, nous avoue-t-elle.
Ce qui ne l’a pas empêchée de chercher un pourquoi à cet AVC. “J’ai commencé à culpabiliser sur mon excès d’activités et mon alimentation, poursuit-elle. Je me suis dit qu’il fallait changer certaines choses : moins de sel, moins de graisses. Lever le pied. Je m’en voulais de ne pas avoir su écouter mon corps quand il me disait qu’il était fatigué. De ne pas avoir su dire non quand on me proposait un projet, une activité. De trop me tracasser aussi.”

Changements de vie
Depuis l’accident, Elena a donc changé beaucoup de choses dans sa vie : “La nourriture, bien sûr : j’avais perdu 10 kilos en sortant de l’hôpital. Et quand je reprendrai mes activités professionnelles et autres, je laisserai davantage faire les autres. Il faut apprendre à déléguer.”
Et en l’occurrence, question changements de vie, il y aura du travail… Présidente de GFAIA, le groupement des femmes africaines inspirantes et actives, une association qui s’occupe de la promotion de la femme africaine ; présidente du Comité de soutien officiel du Dr Denis Mukwege ; chanteuse de gospel dans la chorale “Allégresse” ; membre d’une salle de sport où elle se rendait 4 ou 5 fois par semaine ; maman de deux grands garçons et grand-mère d’une petite fille… Elena est convaincue que “comme je suis sur tous les fronts, comme j’ai besoin de toujours être occupée, oui, je fais un lien avec mon AVC”. Et si “assise sur une chaise à ne rien faire” lui semblait avant “impossible”, aujourd’hui, elle tient un tout autre discours.
Cet accident de la vie lui a inspiré de nombreuses réflexions. “Lors de mon séjour à l’hôpital, j’ai vu des patientes beaucoup plus jeunes que moi, victimes elles aussi d’un AVC. Cela m’a attristée et alertée. J’ai avant tout envie de dire, encore et encore, qu’il faut vraiment apprendre à écouter son corps.”

La crainte d’une récidive ?
Craint-elle une récidive ? “J’ai bien sûr posé la question du risque de récidive. Les médecins m’ont répondu que, plus on s’éloignait de la date de l’AVC, plus le risque diminuait. Et ça, c’est rassurant, même si, je ne vais pas me mentir, j’ai quand même encore peur de refaire un AVC. Surtout quand je suis seule, ce que j’évite. Mon entourage et mes proches eux aussi ont peur.”
Aujourd’hui en bonne voie de retour vers une “vie normale”, Elena nous a dit tout son besoin de témoigner. Pourquoi ? “Parce que je suis chrétienne et, franchement, c’est la prière qui m’a beaucoup aidée. Je me suis posé énormément de questions, dont : pourquoi moi ? Est-ce parce que Dieu ne m’aime pas ? Puis, j’ai arrêté de me poser des questions. Je me suis dit : si tu es passée par là, c’est peut-être qu’il y a une raison, c’est sans doute que tu as une mission, celle de témoigner, et un message à faire passer. À savoir que la santé, c’est vraiment très important, qu’il faut prendre soin de soi et savoir s’écouter. Mais aussi se battre et rester optimiste.”
Mots pour maux
A travers "Mots pour maux", La Libre a choisi de donner la parole à des personnes affectées par des maladies diverses, tant physiques que mentales, courantes ou rares. Des rencontres qui ont pour objectifs de comprendre leur quotidien, leurs difficultés et espoirs, de partager leur regard sur l'existence. Une manière aussi de rappeler que nul n'est à l'abri de ces accidents de la vie. Cette série est à retrouver un lundi sur deux sur notre site.
