Yves Van Laethem : "Un variant redoutable du Covid pourrait frapper la Belgique et créer une nouvelle crise"
L'infectiologue appelle à "ne pas négliger le Covid, qui peut encore nous réserver des problèmes". Il décrit aussi les risques du Candida auris, des "virus zombie" ou du moustique tigre.
/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/TB6RBRRB7ZFTLE2HFN72AKZUV4.png)
/s3.amazonaws.com/arc-authors/ipmgroup/459220c6-2d8f-4e4e-9cb7-598067107ccf.png)
Publié le 13-05-2023 à 11h43 - Mis à jour le 13-05-2023 à 11h45
:focal(1345x905:1355x895)/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/7SE55QBS55F7DK5RJRQGOSQMCY.png)
"Suis-je encore porte-parole interfédéral ? Je ne sais pas, personne ne m'a fait savoir que je ne l'étais plus", sourit Yves Van Laethem, avant d'entamer ses consultations au CHU Saint-Pierre. "Vous savez, on est en Belgique, ce genre de fonction n'a pas vraiment de reconnaissance. On vous la donne puis ça tombe dans les limbes. Mais on n'est plus en phase interfédérale donc, logiquement, je ne dois plus l'être", poursuit l'infectiologue, le regard malicieux. Si c'était à refaire, Yves Van Laethem n'hésite pas une seule seconde. "C'est oui ! C'était passionnant. Cette fonction permet de rencontrer un tas de gens, d'avoir l'impression de jouer un rôle utile." Mais sommes-nous tout à fait à l'abri aujourd'hui d'une nouvelle crise sanitaire ? Interview.
Le Covid s’est rappelé à nos mauvais souvenirs avec le Giro, lors duquel des cyclistes testés positifs ont dû déclarer forfait. En Belgique, le Covid est-il encore une source d’inquiétude ?
Non. On doit d'ailleurs se demander jusqu'à quand on va chasser le Covid comme ils le font dans le monde sportif. Une explication donnée est physiologique : lorsqu'on a un Covid, on peut avoir des complications cardiaques lors d'un effort important. J'ignore si cela est prouvé actuellement. Mais faut-il pour autant écarter des sportifs d'une compétition ? La question mérite d'être posée...
L’abandon de toutes les mesures est-il cohérent ?
Oui, même l'OMS est allé dans le sens de cette décision. Ne négligeons cependant pas le Covid. Ce n'est pas un virus comme un autre, il peut encore nous réserver des problèmes. Il cause encore des morts tous les jours alors qu'on ne meurt pas de la grippe à cette époque-ci de l'année. Mais il n'y a plus de raisons de poser des problèmes sociétaux en optant pour des mesures contraignantes. On demande désormais aux seules personnes plus à risques de faire leurs vaccins, de mettre des masques...
Un nouveau variant d’Omicron a fait son apparition : "Arcturus” (XBB.1.16). Est-ce surprenant ou normal ?
C'est tout à fait normal, ce n'est qu'un petit-cousin d'Omicron. On ne s'attend pas à des complications particulières quand il arrivera de manière plus systématique en Belgique. Mais il faut continuer à suivre ces évolutions pour repérer à temps un variant qui serait très différent et occasionnerait des problèmes plus significatifs.
On pourrait imaginer un variant ultra-contagieux et dangereux ?
Evidemment. Ce n'est pas parce que tous ces variants sont pour l'instant plutôt gentils qu'on est à l'abri d'un différent, plus redoutable. Un jour, peut apparaître une mutation - par un mélange d'un virus animal et humain ou par des virus humains qui se réassortissent entre eux - qui redonne une pathologie, y compris chez des gens qui seraient immunisés.
Au point de nous replonger dans une crise sanitaire ?
Oui, on revient à la notion des pandémies grippales. Si c'est un nouveau virus, les gens n'ont pas d’immunité et cela peut causer de nombreux décès. Même si ça reste un Sars-Cov-2, le virus peut être suffisamment différent pour qu'il repose des problèmes. Mais on suit désormais bien plus attentivement l'évolution des coronas.
A-t-on tiré les bonnes conclusions et a-t-on pris les bonnes mesures pour éviter qu'un nouveau virus qui se répand sur un marché chinois ne se propage partout dans le monde ?
Pas tout à fait. Les conditions de base n'ont pas changé donc il y a même plus de risques d'avoir des zoonoses. Tout d'abord, on est de plus en plus nombreux sur Terre et on marche de plus en plus sur les plates-bandes des animaux. En outre, les marchés avec des animaux existent un peu partout. Et puis les voyages qui permettent d'envoyer un virus à l'autre bout du monde en moins de 24 heures ne font que s'accélérer. Il faut que les clignotants d'alarme soient plus rapides et plus efficaces.
Et en Belgique, où en est-on dans l'anticipation d'une crise ?
Je me pose la question... Je sais que le fameux Gems (groupe d'experts) va être pérennisé, que des think tanks seront mis sur pied, mais tout avance assez lentement. On avait parlé de plans de préparation pour anticiper une nouvelle crise sanitaire. Personnellement, je ne sais pas ce qui est fait. Il serait bon qu'on nous informe sur plusieurs aspects importants, comme les stocks de masques "roulants" (qui ne périment pas, qui sont employés à temps dans les hôpitaux), comme la manière dont les services d'urgence doivent fonctionner, comme la manière dont le Parlement (qui a disparu en période Covid) doit fonctionner... Y a-t-il un document qui synthétise ce qui s'est dit en commission parlementaire et qui liste les mesures à prendre ? Je ne pense pas...

Le Covid long n'a pas encore livré tous ses secrets. Le Sars-Cov-2 peut-il encore être présent dans l’organisme des personnes contaminées ?
Il n'y a pas encore de consensus pour affirmer que le virus reste présent. On a trouvé des fragments, mais cela ne signifie pas forcément qu'il s'agit de virus actif. La question est de savoir s'il n'y a pas une sorte de réaction immunologique anormale. Cette question se pose aussi au sujet de la maladie de Lyme : on n'a plus de microbes mais on continue à avoir des symptômes. Il est possible que le Covid entraîne aussi une persistance de symptômes car le système immunitaire réagit anormalement.
Le Covid long toucherait environ 15% des adultes qui ont contracté le Covid-19. Le confirmez-vous ?
Non, même la fréquence du Covid long pose question. On l'évalue aujourd'hui plutôt à 5 ou 10 %. Ce qui est clair, c'est qu'avec Omicron, c'est moins répandu qu'avec les autres souches. Les symptômes vont d'un brouillard intellectuel à des douleurs diffuses, en passant par une grosse fatigue, des troubles respiratoires, neurologiques, de concentration...
Existe-t-il un traitement ?
Non, puisqu'on ne sait pas exactement quel est le problème. Des traitements symptomatiques avec des antalgiques ou des neuroleptiques, mais aussi du yoga ou de la kiné permettent de diminuer les douleurs.
Une personne peut-elle être atteinte du Covid long sans le savoir ?
Elle le peut si elle a des symptômes a minima : elle est plus vasouillarde, moins en forme... Mais on n'est jamais sûr que c'est le Covid long puisqu'aucun test ne permet de l'affirmer. Le critère qu'on prend, c'est toute personne qui a fait le Covid plus de trois mois auparavant et qui garde certains des symptômes répertoriés. Mais on n'utilise pas les mêmes critères partout dans le monde...
Depuis 2020, le nombre d’infections dues au Candida auris, un super-champignon multirésistant, a drastiquement augmenté dans les établissements hospitaliers américains. Faut-il s’en méfier en Belgique ?
La première découverte du Candida auris date de 2009, au Japon. En Belgique, le premier cas a été importé du Koweït en 2018. Parmi les infections nosocomiales, c'est-à-dire liées quasi toujours à un séjour dans un service de soins de santé, ce champignon est complexe à identifier. En laboratoire, il faut utiliser des techniques spéciales, sinon on ignore qu'il s'agit d'un auris. En plus, il persiste plus longtemps dans le milieu et sur l'individu : il colle plus aux gens, comme s'il portait une visière pare-balles faisant que les médicaments ou les moyens de défense ne fonctionnent pas bien pour l'éliminer. Même sur des milieux inertes, comme dans une chambre d'hôpital, on parvient difficilement à désinfecter convenablement.
S'il se répandait dans nos hôpitaux, pourrait-il faire des ravages ?
Oui, il a un très bon potentiel à être un agent d'infection nosocomiale sévère causant une mortalité importante. En Belgique, les cas sont peu nombreux, mais rien n'empêche qu'ils se multiplient. Puisque sa détermination par les techniques habituelles n'est pas évidente, il peut se transmettre à plusieurs personnes avant qu'on se rende compte que c'est un Candida auris. Cela peut mener à des épidémies qui obligent à fermer des unités - plutôt lourdes, comme les soins intensifs - pour les désinfecter. Aux Etats-Unis, il s'est surtout développé dans les grands centres urbains et les grandes structures de santé des deux côtes.
Comment expliquer sa dangerosité ?
On n'empêchera jamais toutes les infections à ces champignons du genre Candida car nous en avons dans notre tube digestif, ils font partie de notre flore. La difficulté, c'est que lorsque vous prenez un antibiotique, vous allez avoir moins de microbes, moins de bactéries dans l'intestin, mais vous allez avoir plus de candida. Il y en a donc un tas et, parmi eux, il y a l'auris. Le gros problème survient en cas de fongémie, c'est-à-dire quand ce champignon passe dans le sang. La mortalité est alors très importante. Pourquoi ? Car comme il est résistant à la plupart des médicaments antifongiques que l'on donne en premier lieu, il faut deux à trois jours avant de se rendre compte qu'on est face à l'auris. Cela laisse du temps pour faire de la casse. Et si on ne prend pas le risque de donner directement les médicaments qui conviennent contre l'auris, c'est parce qu'ils sont plus chers, plus complexes et aussi plus toxiques.
Jean-Michel Claverie, professeur émérite de médecine et de génomique à la faculté de médecine de l’université d’Aix-Marseille, a dégelé des échantillons de terre prélevés dans le permafrost sibérien. Il y a trouvé des "virus zombie", des particules virales qui sont encore infectieuses après avoir passé 50.000 ans gelées dans le permafrost. Est-ce surprenant ?
Non. A l'instar des gros animaux et autres vieux mammouths que l'on a pu déterrer avec des tissus en bon état, il n'est pas surprenant de retrouver des bactéries ou virus qui sont bien conservés. On en a d'ailleurs un exemple récent avec la guerre en Ukraine: en creusant des tranchées, les soldats des deux camps ont fait ressortir des microbes responsables de la maladie du charbon. Il s'agit de bactéries qui dataient probablement de plusieurs décennies.
Le réchauffement climatique va-t-il nous amener des virus face auxquels nos défenses immunitaires ne sont pas suffisantes ?
Oui, c'est bien cela le risque. Si on n'est pas étonné de voir resurgir d'anciens virus, un grand point d'interrogation demeure: quel peut être leur impact potentiel sur l'homme ou l'animal d'aujourd'hui ? La fonte des neiges et des glaces un peu partout sur la planète pourrait nous réserver des surprises potentiellement désagréables. Je pense par ailleurs que le danger vient principalement des zones vastes qui ont été par le passé davantage habitées, comme la Sibérie. La fonte des glaciers en Suisse est inquiétante mais il devait s'y trouver moins d'habitants et donc moins de virus ou bactéries.
Y a-t-il d'autres grandes menaces virologiques qui pèsent sur les humains ou les animaux en ce moment ?
Il y a une inquiétude qui émane du fait que les vecteurs de contamination sont en train de s'acclimater dans des zones dans lesquelles ils ne l'étaient pas auparavant. On peut citer l'exemple du moustique tigre asiatique qui est en train de faire une percée en Europe. Le danger, c'est que même si ces microbes sont connus, ils peuvent générer des maladies qui n'existaient pas chez nous et devenir éventuellement des problèmes de santé publique. Le réchauffement climatique est bien sûr en cause mais, comme je le disais, notre mode de vie actuel joue également un rôle.
L'OMS évoque aussi le danger lié à la résistance aux antibiotiques...
En effet, c'est un problème majeur qui sera probablement, selon l'OMS, une des causes principales de mortalité en 2050. On parle de centaines de milliers de morts dans nos pays occidentaux et de plusieurs millions en Afrique.
Parce qu'on donne trop d'antibiotiques aujourd'hui ?
On en donne trop dans le monde entier. Mais en Afrique en particulier, on a une gabegie d'antibiotiques. Là-bas, si vous avez un simple mal de tête à l'hôpital, on va vous donner une perfusion avec quelque chose que l'on vous donnerait en Europe pour soigner une méningite. Je connais des gens en Afrique qui reçoivent, pour un pet de travers, des antibiotiques qui me font frémir. Je donne moi-même des cours en Afrique mais je me pose des questions: de quel droit je m'autorise à conseiller ou interdire tel ou tel antibiotique sachant qu'il n y a en réalité aucune étude claire sur le sujet. Je ne sais pas comment leurs microbes résistent - ou non - aux antibiotiques. Eux-mêmes l'ignorent.
Cette consommation excessive d'antibiotiques est-elle également un problème en Belgique ?
Oui, mais chez nous, même si on en consomme trop, on a tout de même fait des efforts pour diminuer leur emploi ou mieux les utiliser. On constate donc que l'évolution des résistances aux antibiotiques ne fait plus de boom, on est sur une sorte de plateau. Mais, de manière générale, cela reste un problème majeur qui pèse sur l'humanité et on n'en fait pas assez. Comme pour le climat, on sait ce qu'il se passe, mais on n'agit pas suffisamment. On préfère acheter des chars pour l'armée plutôt que d'interdire la vente d'antibiotiques ou bien d'investir dans une bonne éducation des médecins, dans un bon système de surveillance.