"Ces mères d'enfants en situation de handicap rendent nos univers plus humains, plus attentifs à l’altérité, à la différence"
Dans son ouvrage “Paroles de mères-veilleuses”, l’ancienne ministre bruxelloise Céline Fremault fait parler des mamans d’enfant en situation de handicap. Bel hommage à l’occasion de la fête des mères.
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Publié le 14-05-2023 à 08h02
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Alors qu’elles portent à bout de bras souvent tout, sinon beaucoup, les mamans d’enfants en situation de handicap sont la plupart du temps très peu mises en avant. Aussi, à quelques jours de la fête des mères, c’est à elles, en particulier, que Céline Fremault, ancienne ministre bruxelloise en charge des personnes en situation de handicap, a voulu dédier son livre “Paroles de mères-veilleuses”, qui vient de sortir (*).
”À travers cet ouvrage, je voulais principalement visibiliser les parcours des mamans d’enfant et d’adulte en situation de handicap”, nous a-t-elle expliqué, une problématique dans laquelle celle qui va sous peu se retirer de la vie politique s’est fortement investie depuis de nombreuses années, au départ sans doute aussi influencée ou sensibilisée par son histoire personnelle.
”Je m’étais projetée dans cette situation”
”J’ai eu un premier petit garçon, à qui on a détecté des malformations très graves durant la grossesse à 22 semaines, nous a-t-elle confié. Je m’étais dit que s’il était viable et même fortement handicapé, je souhaitais le garder. Je m’étais donc projetée dans le fait d’être mère d’un enfant handicapé. Mais il n’avait pas la moindre chance de viabilité et la grossesse a donc dû être interrompue. Quant à mon dernier fils, il a fait une méningite foudroyante à l’âge de 2 ans et demi. Sorti miraculeusement des soins intensifs, il avait complètement perdu l’équilibre et on ignorait s’il remarcherait un jour. La question de la surdité était interrogée de la même manière. Heureusement, il n’a finalement gardé aucune séquelle. Il y avait donc chez moi, depuis des années, un intérêt très personnel pour cette problématique du handicap.”
Ministre bruxelloise en charge de ce secteur de 2014 à 2019, “j’allais 'chercher mon air' dans le secteur du handicap. Chaque semaine, je visitais des centres de jour, d’hébergement, des initiatives emploi ou culturelles liées au handicap. Et cela me ramenait toujours en l’essentiel : à la question de l’altérité”.

”Les parcours de vie m’ont toujours terriblement touchée”
Un recueil de témoignages de mamans en telle situation est apparu comme une évidence. “Les parcours de vie des familles m’ont toujours terriblement touchée, poursuit Céline Fremault. Les mères s’avéraient très centrales parce qu’elles étaient extrêmement présentes sur le front associatif. J’ai rencontré plus d’une douzaine de mamans d’enfant en situation de handicap. Mon souhait était de montrer des parcours de femmes tous différents, qui avaient en commun le fait d’être mère d’un enfant en situation de handicap, que ce soit à la naissance ou suite à un accident survenu en cours de vie”.
D’autres points communs existent entre toutes ces femmes, des constantes, comme nous le détaille l’auteur de “Paroles de mères-veilleuses”. “Il y a chez elles un amour inconditionnel de l’enfant différent, une certaine fierté aussi de porter à bout de bras la destinée de cet enfant différent. Il y a également, je pense, une grande part de douleur qui peut être liée au regard des autres. Elles le soulignent de façon récurrente. Mais elles ont aussi énormément de force. Ce sont des femmes qui mettent toute leur énergie, du matin au soir, pour permettre à leur enfant ou adulte différent de trouver sa place dans une société qui n’est pas encore l’exemple absolu de l’inclusion au quotidien. Elles ont également en commun la question très prégnante de 'l’après elles'. À savoir : si je décède, qu’est-ce qui se passera demain ? Elles sont aussi très éprouvées, extrêmement bousculées dans leur réalité personnelle par rapport à la question de leur santé, le stress, leur bien-être mental… Le taux de dépression est d’ailleurs beaucoup plus important chez ces femmes et elles ne détournent pas la question lors des interviews. Plusieurs soulignent être passées par un burn-out”.

”Cet enfant est un cadeau du ciel”
Malgré tous ces parcours, souvent très lourds, certaines de ces mamans considèrent-elles le fait d’avoir cet enfant handicapé comme un cadeau ? “Oui. Fatima dit à plusieurs reprises que 'c’est un cadeau du ciel', illustre Céline Fremault. Comme si son fils lui avait été envoyé pour tester sa détermination, son courage et sa force. Quant à Sandrine, elle dit : 'je pense que Lior nous a fait grandir, nous a permis d’être des gens bien'”.
Quelles qu'elles soient, “elles m’ont toutes touchée, chaque fois de manière très différente, poursuit l’auteur. Elles ont été extraordinaires quant à la vérité qu’elles ont livrée. Il n’y a pas eu de faux-semblant, de contournement de questions. Elles ont vraiment assumé leur réalité avec beaucoup de courage, en s’exposant. Elles ont chacune livré des parcelles de leur vie.”
Il y a ainsi la question de l’adoption d’un enfant différent à travers l’histoire de Christine, le handicap qui s’invite brutalement suite à un accident chez Isabelle, ou encore l’accompagnement sans faille de Patricia, véritable coach sportif pour sa fille Eléonor, malvoyante.

”Je pense que la société leur doit beaucoup”
”Il était important de les interroger sur leur parcours de mère mais aussi de femme. J’espère que ce livre permettra de se rendre compte qu’il y a des quotidiens qui sont parfois très lourds. La question du handicap est très présente dans la société même si elle est encore fortement ignorée. Une famille sur quatre en Belgique sera touchée de près ou de loin par le handicap. Tout le monde est donc potentiellement un aidant proche d’une personne en situation de handicap un jour dans sa vie”.
À toutes ces mères-veilleuses, qui prennent constamment soin de leur enfant différent, le message qu’adresse Céline Fremault à l’occasion de la fête des mères est : “Je voudrais leur dire toute l’admiration qui est la mienne pour les combats qu’elles mènent majoritairement en silence. Je pense que la société leur doit beaucoup. Elles rendent nos univers plus humains, plus attentifs à l’altérité, à la différence”.

(*) Paroles de mères-veilleuses, Céline Fremault, Renaissance du livre, 22 €. Tous les bénéfices sont versés à Cap 48
Paroles de mères-veilleuses
"Je crois que quand on est parent d'un enfant handicapé, on n'a jamais vraiment acquis le droit de mourir"
Cinzia Agoni, 63 ans, fondatrice d'Inforautisme, maman de 3 enfants dont Giuliano, 37 ans, autiste.
"Ce n'est pas moi qui voulais qu'il vive, c'était lui qui voulait être vivant. Donc je me sentais assez libre à ses côtés de le soutenir".
Isabelle Bastin, 59 ans, institutrice primaire, maman de 4 enfants dont Jonas, 37 ans, qui a fait face à un terrible accident de la route à l'âge de 24 ans.
"Quand mon mari est revenu, il m'a dit: Tu sais, la trisomie de Tom ne va pas le définir et on ira de l'avant". (…) "Tom, c'est un guerrier. Et une sacrée leçon de vie".
Laurence Gourgues, 49 ans, éducatrice spécialisée et fondatrice de Happycurien, maman de 2 enfants, dont Tom, 13 ans, porteur de trisomie 21.
"Quand on a un enfant différent, il est dans une école différente, on rencontre d'autres parents et ça a été une ouverture incroyable sur un monde qu'on ne connaissait pas".
Christine Schuiten, 78 ans, pensionnée, maman de 5 enfants dont Marie, 35 ans, adoptée en Inde à l'âge de 2 ans, en situation de handicap.
"La vie, c'est l'inclusion permanente. On doit prouver au monde que nos enfants différents ont leur place".
Anjali Winandy, 45 ans, assistante sociale, maman de 4 enfants, dont Julien, 15 ans, autiste Asperger.