Un fœtus atteint d’une malformation vasculaire traité in utero: la prouesse d’une équipe belge
Pour la première fois au monde, une malformation lymphatique a été traitée in utero via un médicament, le Sirolimus, directement administré à la maman pendant sa grossesse. Aujourd’hui âgé de 6 ans, l’enfant se porte bien.
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- Publié le 05-06-2023 à 17h04
- Mis à jour le 05-06-2023 à 17h05
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Six ans, c’est le recul que l’équipe de l’UCLouvain a estimé nécessaire pour pouvoir affirmer que le traitement administré in utero à un fœtus s’avérait à la fois sûr et efficace. Ce lundi, ont en effet été publiés dans Nature Cardiovascular Research les travaux de cette équipe pluridisciplinaire composée du Centre de malformations vasculaires, du Service d’obstétrique (équipe pluridisciplinaire du diagnostic anténatal) et du laboratoire de génétique moléculaire humaine de l’Institut de Duve à l’UCLouvain.
Six ans, c’est précisément l’âge de l’enfant qui, aujourd’hui, selon ces médecins, “se porte bien et poursuit une croissance normale”. Face à ce cas compliqué, une première équipe médicale d’un autre hôpital avait pourtant suggéré une interruption volontaire de grossesse, chose à l’époque non souhaitable pour les parents.
La situation clinique
“En 2015, cette maman est arrivée enceinte chez nous pour un deuxième avis, se souvient le Pr Laurence Boon, chirurgienne plasticienne, coordinatrice du Centre des malformations vasculaires des Cliniques universitaires Saint-Luc. Son bébé présentait une importante malformation lymphatique au niveau de la région cervicale. Il avait des vaisseaux anormaux qui formaient des kystes au niveau du cou et du bas du visage, entraînant une compression potentielle des voies respiratoires”. Considérées comme des maladies rares, les malformations lymphatiques sont des lésions composées de vaisseaux lymphatiques anormaux. Les patients atteints par ces malformations souffrent de déformations, de douleurs importantes, d’impotences fonctionnelles, de faiblesses musculaires et de saignements. Leur qualité de vie est considérablement dégradée.
“Avec le service d’obstétrique, nous avons donc suivi l’enfant. Les échographies in utero ont permis de montrer une augmentation assez importante de la malformation avec un risque majeur au niveau respiratoire, en tout cas à la naissance et des compressions des structures importantes pour la viabilité du fœtus. À ce stade-là, la chirurgie ou tout autre traitement in utero restent très compliqués avec des risques majeurs, et pour le fœtus et pour la maman”.
Raison pour laquelle, il fallait envisager une autre voie thérapeutique.
L’importance de la recherche
“Si tout cela a été possible, c’est grâce à la recherche fondamentale menée depuis une trentaine d’années à l’Institut de Duve, intervient le Pr Miikka Vikkula, professeur de génétique humaine à l’Institut de Duve de l’UCLouvain, directeur du laboratoire et investigateur au WEL Research Institute. Au cours des trente dernières années, nous avons mené de nombreuses études précliniques permettant d’évaluer et de confirmer l’efficacité du Sirolimus. Nous avons ainsi beaucoup mieux compris pourquoi ces lésions se formaient et quelle en était la cause. On sait à présent que, dans la plupart des cas, il s’agit d’une mutation somatique, c’est-à-dire non héréditaire. C’est le changement dans l’ADN de ces cellules qui crée ces malformations. Ces mutations entraînent une activation excessive des voies de signalisation à l’intérieur de ces cellules. Un peu comme si un robinet était ouvert en permanence et qu’il fallait trouver une solution pour empêcher cet écoulement intempestif”.
C’est précisément ce que certains médicaments, déjà développés de longue date et utilisés dans les domaines de la transplantation et du cancer, sont capables de faire. “Une fois que l’on avait compris les mécanismes sous-jacents, on savait ce que l’on devait cibler avec ces médicaments”, poursuit le chercheur.
Un médicament extrait d’une algue
Déjà utilisés chez les adultes et les enfants, ces agents immunosuppresseurs ont donc, pour la première fois, été utilisés in utero, pour soigner le fœtus. “Nous avons effectivement utilisé le Sirolimus, qui est un médicament extrait d’une algue découverte sur l’île de Pâques, la rapamune, précise pour sa part le Dr Emmanuel Seront, du Service d’oncologie médicale. Rapidement, on s’est rendu compte que ce médicament recelait de nombreuses propriétés thérapeutiques. En oncologie, il est en effet utilisé pour ralentir la prolifération des cellules cancéreuses”. Les recherches de l’équipe de l’UCLouvain ont permis de découvrir que les protéines responsables des malformations vasculaires étaient trop activées. Or, ce médicament permet précisément de ralentir l’activité de ces protéines.

Forts d’une dizaine d’années d’étude de ce médicament dans les malformations vasculaires, et vu la bonne tolérance du médicament dans les essais cliniques réalisés chez les adultes et les enfants, les chercheurs belges ont donc décidé de traiter ce fœtus, dès la 23e semaine, dans le ventre de la maman qui a reçu un comprimé de Sirolimus. “Le médicament ingéré a traversé la barrière placentaire, nous explique l’oncologue. Il a non seulement ralenti mais en plus fait reculer la progression de cette malformation vasculaire lymphatique, entre la 29e et la 34e semaine de grossesse. Cela a permis un accouchement sans complication, ce qui n’aurait pas été le cas sans l’administration de ce médicament”. Outre une sclérothérapie (injection d’un médicament dans les vaisseaux anormaux pour les assécher) à 11 mois puis une opération à 15 mois, le traitement s’est poursuivi chez l’enfant pendant quelques années.
L’avenir des prises en charge in utero
“Via des ponctions du cordon fœtal lors du traitement, l’équipe a pu mettre en évidence une correspondance entre les prises du Sirolimus chez la maman et le dosage de ce médicament dans le sang fœtal, expliquent les Cliniques Saint-Luc, soulignant le fait qu’il s’agit d’une avancée majeure pour la prise en charge de fœtus souffrant de malformations vasculaires lymphatiques importantes. Cette prouesse médicale ouvre de nombreuses réflexions dans d’autres disciplines sur la possibilité d’entreprendre des traitements le plus tôt possible”.
Depuis ce cas, d’autres demandes de traitement de ce type sont parvenues via le service d’obstétrique. Si certaines ne répondaient pas aux indications fonctionnelles, un autre fœtus a depuis lors été également traité de cette manière. Dans le monde, d’autres centres ont commencé à administrer ce même traitement, suite à l’expérience menée aux Cliniques Saint-Luc. “Les conditions à réunir pour mener ce traitement sont d’avoir un centre expert en obstétrique spécialisé dans les pathologies fœtales, un centre spécialisé dans les malformations vasculaires et un laboratoire de génétique moléculaire qui connaît bien ce type médicament”, insiste le Dr Emmanuel Seront.