A 13 ans, Shiloh est morte d’une pathologie si rare que les médecins n’ont pas pu la déceler à temps: "J'aurais dû l'écouter dès le début"
A 13 ans, Shiloh est morte d’une pathologie si rare que les médecins n’ont pas su la déceler à temps. Une analyse de ses cheveux révèle la présence de métaux, renforçant chez ses parents la conviction que sa maladie a été causée par une contamination.
- Publié le 10-09-2023 à 09h53
- Mis à jour le 10-09-2023 à 12h25
:focal(1547x1041:1557x1031)/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/ZDKNZFFR5NENJMOY7ITUIUQ47Q.jpg)
"Vous voulez du café ? Des macarons que j’ai achetés à Paris ?" Diane bouge dans tous les sens. Elle fait les cent pas dans la cuisine de son appartement de Franconville, dans le Val-d’Oise. Modibo, lui, s’installe sur sa chaise, ne dit rien. Sur la table du salon, de la paperasse qui s’accumule et des photos de Shiloh, leur fille décédée en décembre 2021. Elle avait 13 ans. Son sourire s’affiche partout. "Je n’ai pas commencé à faire mon deuil. Je ne peux pas. J’ai besoin de connaître la vérité", reprend Diane, en souriant nerveusement. La députée européenne écologiste, Marie Toussaint, est présente. Elle suit la famille qu’elle a découverte en lisant un article du Parisien. Shiloh a été victime d’une maladie rare. Un angiosarcome mammaire de grade II. On en recense seulement huit en France en quatre décennies, chez des femmes de plus de 32 ans qui, pour la plupart, avaient été exposées à de la radiothérapie pour traiter un cancer du sein. Ce qui n’était pas le cas de Shiloh.
Pourquoi la fille de Modibo et de Diane a-t-elle été atteinte par cette maladie ? Une interrogation restée sans réponse qui réveille ses parents au milieu des nuits. Ils ont tout de même une piste : les polluants. La petite famille a vécu dans une ancienne zone industrielle. Il y a aussi l’école maternelle de Shiloh : dans la cour, un arbre, un séquoia malade, a récemment été abattu. Etait-il contaminé par les sols ?
"La directrice ne voulait rien entendre"
Tout commence le 17 janvier 2005. Diane se rend chez Leroy Merlin, à Gennevilliers, dans les Hauts-de-Seine. Elle se balade dans les rayons, croise Modibo, un vendeur de l’enseigne. 11 heures et 51 minutes, coup de foudre chez Leroy Merlin. Diane est déjà mariée. Originaire des Vosges, elle a grandi dans l’exploitation agricole familiale. Une vie normale de la classe moyenne. Modibo, travailleur sans papiers, a une quinzaine d’années de moins qu’elle. Il a quitté le Mali et Bamako au début du siècle pour la France. Diane bouleverse les codes et sa vie. Elle plaque tout pour Modibo. "C’est très dur de quitter quelqu’un qu’on aime, mais je n’avais pas le choix. On s’est regardés avec Modibo et on ne pouvait plus se vivre l’un sans l’autre", dit-elle. Le début des complications. La famille de Diane coupe les ponts, Modibo rompt avec ses amis. "J’avais du mal à assumer les critiques. Ils me disaient que la différence d’âge était trop grande et beaucoup pensaient que j’étais avec elle par intérêt. C’était difficile."
Le couple se retrouve seul à Franconville. Ils veulent un enfant. Diane fait de nombreuses fausses couches, ne travaille plus. Modibo turbine pour deux. Petit salaire et grands rêves. Shiloh ouvre les yeux en juin 2008. Diane montre des images de sa naissance, les premiers jours, les premiers mois, les premiers pas. "C’était une enfant désirée. J’ai toujours rêvé d’avoir une fille. Petite, elle était impressionnante, pétillante." Le temps passe. Modibo et Diane rompent deux ans après la naissance de leur gamine. Une séparation dans le calme. Il emménage à quelques kilomètres et passe presque tous les jours voir Shiloh. "On s’est séparés comme des milliers de couples, mais nous sommes liés pour toujours, explique Diane, 58 ans. Depuis notre rupture, il a refait sa vie, il a trois enfants merveilleux, mais ça ne change rien. Nous restons proches." Posé à sa droite, Modibo acquiesce.
En septembre 2011, Shiloh entre à la maternelle. Elle tombe souvent malade. Les parents mettent ça sur le dos des microbes que les gamins se refilent. Au fil des semaines, la petite fille est épuisée, dort à l’heure du déjeuner, rentre exténuée à l’heure du goûter. Diane est persuadée que le mal vient de l’école. Elle en parle à la directrice. "Je lui ai dit que quelque chose incommodait ma fille dans l’établissement. Elle avait la bouche ouverte, restait essoufflée alors que tout allait bien durant les vacances et les week-ends. La directrice ne voulait rien entendre." Diane cherche des réponses chez les médecins. On lui refile des antibiotiques. Shiloh se trouve de plus en plus épuisée. Les trois années de maternelle sont un "calvaire". Bis repetita en primaire. Shiloh demeure fatiguée et prend du retard dans les cours. Diane galope encore et toujours chez le médecin. On diagnostique d’abord une sinusite chronique. Des médicaments par poignées n’y changent rien. La mère décide de retirer sa fille de l’école au CM1 pour lui faire suivre des cours à domicile.
"Le cancer du sein, ça n’existe pas chez les enfants"
Modibo, 43 ans, reste les bras croisés. Il écoute en hochant la tête. Par moments, il grimace, regarde ses chaussures. Il peine à donner son avis. Diane en profite pour montrer des photos de sa fille. Elle en parle au présent et répète en boucle des mots inachevés, "joyeuse, pétillante, injuste". Les vidéos joyeuses et tristes, les ordonnances, les comptes rendus des médecins, tout. Modibo sort de sa torpeur. Il parle lentement, à voix basse. "Il y a une différence entre Diane et moi. Elle se bat pour réclamer la vérité et je la soutiens dans toutes les démarches. Nous ne sommes pourtant pas dans le même état d’esprit. Je vis avec la culpabilité." Nouveau silence.
– La culpabilité ?
– Au début, lorsque sa maman me disait que notre fille était malade, j’étais avec elle. Après, un peu moins. Je suis allé voir seul les médecins, la directrice et les professeurs pour savoir de quoi souffrait notre fille. Ils m’ont tous dit qu’elle allait très bien, qu’elle n’aimait pas l’école et qu’elle était trop collée à sa mère. Ils nous ont divisés.
– Vous avez fait quoi après ?
– Je me suis énervé. J’ai dit à Diane d’arrêter ses conneries et de laisser notre fille aller à sa scolarité. Je m’en veux beaucoup. Je suis allé du côté des autres au lieu de soutenir ma fille. J’aurais dû l’écouter dès le premier jour. Peut-être qu’elle serait encore en vie…
Les saisons, les anniversaires et les Noëls défilent. Rien ne change. Shiloh est épuisée. Après la sinusite, les médecins évoquent le pollen, voire l’asthme. Eté 2020. En rentrant de vacances de Marseille, où elle a fait un malaise, Shiloh demande à son médecin de l’aide. Elle lui affirme qu’elle est "une loque". Quelques mois plus tard, Diane remarque une grosse rougeur, survenue "du jour au lendemain", sur le sein gauche de sa fille. Le médecin traitant prescrit alors une échographie. Avant le rendez-vous, programmé trois semaines plus loin, la mère fait ses propres recherches. Elle en est persuadée : sa fille souffre d’un cancer du sein. Diane en parle lors de l’échographie, mais aussi au médecin traitant. On lui sert partout la même réponse : "Le cancer du sein, ça n’existe pas chez les enfants." Ils parlent d’une inflammation. De nouveaux antibiotiques à avaler. Un labyrinthe sans issue de secours. La famille est absente et les amis trop rares.
La mère ne lâche pas. Elle frappe avec sa gamine à toutes les portes. Elles se rendent chez d’autres spécialistes, dermatologues et gynécologues. Même réponse catégorique : "Le cancer du sein, ça n’existe pas chez les enfants." Ils se retrouvent aux urgences de l’hôpital d’Eaubonne puis d’Argenteuil, où elle sera hospitalisée pendant une semaine. La mère reçoit la visite dans la chambre d’une psychologue et d’une assistante sociale. "J’ai subi un interrogatoire en règle. Ma fille était là, sous nos yeux, mais c’était moi le sujet. Ils voulaient savoir si je m’occupais bien d’elle. Il y avait une forme de mépris. Parce qu’on a la CMU, nous n’avons jamais été pris au sérieux. J’ai souvent eu honte. Après la découverte de la tache, Modibo était enfin à nos côtés." Un médecin finit par lâcher au père de Shiloh cette phrase qui résonne sans cesse dans sa tête : "Le cancer du sein, ça n’existe pas chez les enfants. Vous comprenez le français ?"
Exposition à l’étain et au titane
Shiloh quitte l’hôpital avec un nouveau diagnostic : un staphylocoque "sans trace" de ladite bactérie. Elle rentre à la maison faiblarde avec une nouvelle boîte d’antibiotiques. Nous avons contacté un professeur de l’hôpital Tenon, à Paris (XXe arrondissement). Il divise son argumentaire en deux catégories. "Les médecins rencontrent souvent des parents qui viennent avec leur propre diagnostic et se baladent avec leurs enfants de médecin en spécialiste en espérant avoir une réponse qui leur convienne. Notre rôle consiste alors à faire venir des psychologues et des assistances sociales pour s’assurer que tout va bien, que l’enfant n’est pas victime de maltraitance", dit-il dans un premier temps. Avant de poursuivre : "Cette fille a eu une maladie extrêmement rare. On ne peut pas incriminer les médecins de ne pas avoir trouvé le bon diagnostic. On peut leur reprocher l’accueil et les mots, mais pas le résultat."
"Guerre judiciaire"
Dans les colonnes du Parisien, Jacky Bonnemains, le directeur de l’association Robin des Bois, qui publie de nombreux dossiers sur les problèmes d’écologie et de pollution, donne le diagnostic qui avait été réalisé à l’école Gare-René Watrelot, où était scolarisée Shiloh. Dans ce document, il est noté qu’à 25 mètres de l’école il y avait eu, entre 1966 et 1999, une activité de chaudronnerie, de traitement et de revêtement des métaux, de garage et d’atelier mécanique utilisant des solvants et des peintures. Les parents de Shiloh se concentrent également sur cet arbre, le séquoia de l’école, un emblème pour la ville. L’Office national des forêts a un jour constaté que l’arbre était très malade. Il a donc été coupé. Etait-il contaminé par les sols ? La famille en est persuadée. Il restait juste un bout de tronc. Les enfants lui ont confectionné un chapeau pointu. Cet été, le maire de la ville a fait enlever la souche. La décision a fait craquer Diane.
Le maire de Franconville, Xavier Melki (Les Républicains), qui n’a toujours pas pris contact avec la famille de Shiloh, évite de répondre à la presse sur le sujet. Une élue que nous avons réussi à joindre glisse anonymement : "Nous ne voulons pas effrayer les habitants ou bien en faire une lutte dans les journaux. Aujourd’hui, cette jeune fille est le seul cas. C’est très malheureux pour elle et sa famille, nous pouvons comprendre la douleur et leur détresse, j’espère que les parents pourront faire leur deuil." En mai 2023, après la parution du premier article dans le Parisien, une réunion a eu lieu entre les élus et l’association indépendante de parents d’élèves franconvillois. Nous avons pu nous procurer le compte rendu. Le séquoia malade ? "L’expertise de l’Office national des forêts indique que cet arbre, suite à la modification des sols (goudron), s’est dégradé, a répondu l’édile. Il n’a pu se développer correctement, il a donc fallu le couper. Aucune pathologie n’a été relevée." Quels risques pour les élèves ? "Il n’y a pas de risque avéré puisque l’ensemble des sols est recouvert (bétonné) donc cela forme une protection. […] Il n’y a pas d’informations qui seraient de nature à pousser à faire de nouvelles études."
Des mots qui ne suffisent pas. Posée derrière la table, la mère de Shiloh promet de "mener une guerre judiciaire" à tous les coupables. Elle ne vit plus que pour ça. Elle avait déjà porté plainte contre X pour "mise en danger de la vie d’autrui, homicide involontaire et blessures involontaires" après la mort de sa fille. Elle en a ajouté une deuxième contre le maire pour "modification des lieux d’un crime ou d’un délit. Elle espérait que le tronc donne des réponses. Une autre plainte est prévue en septembre, cette fois contre les différents médecins. "Tous ceux qui m’ont fait passer pour une folle pendant dix ans", lâche la mère. Elle se lève. Elle propose une nouvelle fois du café et des macarons, refait les cent pas dans sa cuisine et raconte encore sa fille qui "aimait se promener aux Galeries Lafayette et faire des balades avec son amie Sabrina". Les clichés de Shiloh sont partout, dans toutes les pièces, en grands et en petits. Modibo le silencieux reste assis, tranquillement. Puis, en décroisant les bras : "Nous n’avons pas réussi à maintenir notre fille en vie, on peut au moins lui accorder justice. On lui doit ça."
Après une nouvelle nuit aux urgences, Shiloh se retrouve à l’hôpital Saint-Louis, à Paris, qui la transfère à l’institut Pasteur. Nous sommes en 2021. Six mois avant sa mort. Diane sort des nouvelles images. Ce ne sont plus les sourires et les bons souvenirs, mais son sein gonflé avec des brûlures et des taches jaunes. Diane reproche les non-dits. "On ne savait pas quels étaient les traitements et de quoi souffrait notre fille. On l’a su sur la fin, quelques semaines avant sa mort. Nous n’étions pas préparés à son départ." La mère de Shiloh en veut au reste du monde, notamment à l’institut Pasteur qu’elle accuse d’avoir fait des essais cliniques sur sa fille. L’écolo Marie Toussaint intervient en prenant le temps de choisir ses mots : "Ils ont peut-être essayé différents traitements parce que c’est une maladie rare chez les enfants, mais ils ont essayé de la sauver. C’est leur mission. C’est pour cette raison que l’hôpital Saint-Louis a transféré Shiloh à Pasteur." Silence.
Pourquoi Shiloh est-elle morte d’une maladie extrêmement rare, un angiosarcome mammaire de grade II ? Les parents mènent l’enquête. Diane avait conservé une mèche de cheveux de sa gamine après un passage chez le coiffeur en 2011. Elle avait 3 ans. Diane a demandé une analyse au laboratoire ToxSeek, à Ennery (Val-d’Oise), spécialisé dans le dépistage de polluants. Les résultats, que nous avons pu consulter, sont arrivés en août 2022. On retrouvait déjà des métaux dans son organisme. Shiloh avait été exposée de manière trop élevée à du bismuth et de l’étain. "C’est pour ça qu’elle était épuisée en maternelle", glisse la mère. Une autre mèche de cheveux, coupée à 13 ans, quelques semaines avant son décès, a également été analysée. On y retrouve encore du bismuth, plus d’étain, et de l’antimoine et du titane désormais. Qu’est-ce qui a pu contaminer Shiloh ?