Plus de neuf Européens sur dix exposés au bisphénol A: "Les effets sont plutôt liés à la fertilité"

Selon un rapport de l'Agence européenne pour l'Environnement publié ce jeudi 14 septembre, les Européens auraient trop de bisphénol A dans le corps. Des traces de cette substance toxique ont été retrouvées dans l'urine de 92% des participants à une étude de biosurveillance. Plus inquiétant encore, la totalité des personnes testées positives serait exposée à des niveaux dépassant le seuil de sécurité sanitaire européen.

Caroline Vandenabeele
CHARLEROI, BELGIUM - AUGUST 2023 : Single-use plastic caps. Pictured on August 14, 2023 in Charleroi, Belgium - 14/08/2023 ( Photo by Christophe Vandercam / Photo News
© Christophe Vandercam/Vandercam/Photo News
La totalité des participants à l'étude seraient exposés à des niveaux dépassant le seuil de sécurité sanitaire européen. ©Photographie Vandercam

"Le bisphénol A pose un risque bien plus répandu pour notre santé que ce que l'on pensait. Nous devons prendre les résultats de cette étude au sérieux et décider de plus d'actions au niveau européen pour limiter l'exposition aux substances chimiques qui posent un risque pour la santé des Européens", a déclaré Leena Ylä-Mononen, directrice générale de l'Agence européenne pour l'Environnement (EEA). Le bisphénol A, connu aussi sous l'acronyme BPA, est un plastifiant, une substance qui permet de créer des plastiques rigides. Il se retrouve principalement dans des conteneurs alimentaires et objets de la vie quotidienne comme les canettes, boîtes de conserve, gourdes, encres, textiles, peintures, canalisations d'eau, produits cosmétiques et autres jouets en plastique. Le BPA étant couramment utilisé par les industriels, l'EAA estime que la quasi totalité, si pas l'entièreté des Européens y est régulièrement exposée.

Un large éventail de risques

Fait inquiétant, le bisphénol A est classifié comme substance chimique nocive depuis de nombreuses années. Ce composé est en effet considéré comme un perturbateur endocrinien, c'est-à-dire qu'il est responsable de dérèglements du système hormonal. "On sait déjà depuis un moment qu'il a un effet sur les récepteurs aux œstrogènes, hormones féminines, et dans une moindre mesure aux androgènes, hormones masculines", explique Véronique Mathieu, professeure en pharmaco-toxicologie à l'Université Libre de Bruxelles (ULB). "Globalement, le problème de ce genre de substances, c'est qu'elles agissent sur notre propre système endocrinien. La particularité de tous ces perturbateurs, c'est qu'ils fonctionnent différemment des autres substances toxiques avec lesquelles, plus on augmente la dose, plus la toxicité augmente. Ici, il n'y a pas de linéarité de l'effet : à des petites doses on a certains effets, alors qu'à de grandes doses, on en a d'autres. C'est pour ça qu'on a souvent de nouvelles réévaluations des législations sur les doses journalières admissibles des perturbateurs endocriniens." Véronique Mathieu ajoute : "on a donc des effets qui sont plutôt liés à la fertilité, mais aussi des risques qui sont associés à nos autres systèmes endocriniens, comme celui des hormones thyroïdiennes ou celui de l'insuline, qui régule le métabolisme énergétique, donc le risque d'obésité et de diabète. On sait aussi qu'il y a toute une série de cancers qui sont liés au système endocrinien, plus particulièrement le cancer du sein et le cancer de la prostate, qui sont les deux plus fréquents."

Selon l'Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA), le BPA pourrait également entraîner d'autres conséquences à long terme sur la santé. Au-delà d'une baisse de la fertilité, une faible dose suffirait notamment à endommager le système immunitaire. Cette substance provoquerait aussi des réactions allergiques cutanées et des irritations des voies respiratoires. Pour toutes ces raisons, ce composé chimique est sujet, depuis 2015, à différentes mesures de régulation. Le seuil de dose journalière tolérable a même été récemment mis à jour par l'Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA), principalement à cause de ses effets néfastes sur le système immunitaire.

La professeure en pharmaco-toxicologie se veut malgré tout rassurante. "On est de plus en plus prudents avec ce genre de substances et on continue à les interdire. Il y a de moins en moins de produits qui en contiennent à l'heure actuelle. De plus, même si l'étude de l'Agence européenne pour l'Environnement est publiée maintenant, il ne faut pas oublier qu'elle a été réalisée au long court, sur des individus qui n'ont pas encore bénéficié de la nouvelle revue à la baisse des normes. La dernière régulation date d'avril 2023, on y a réduit l'apport quotidien admissible en le faisant passer de 4 microgrammes à 0.2 nanogrammes par kilo de poids de la personne, ce qui représente un seuil 20 000 fois plus bas qu'avant."

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Corinne Charlier, professeure en toxicologie à l'ULiège, donne quant à elle quelques conseils pour limiter l'exposition au BPA. "Le consommateur doit se renseigner pour savoir s'il y a du bisphénol A dans les cosmétiques, les canettes, les gourdes qu'il achète, par exemple. Il peut évidemment aussi trouver des alternatives, des produits qui sont étiquetés sans BPA. Pour éviter le contact des aliments avec la résine époxy que l'on retrouve dans les boîtes en aluminium, il faut rincer les légumes quand on ouvre la conserve, comme ça on élimine la substance qui s'est répandue dans la solution."

L'étude s'est déroulée de janvier 2017 à juin 2022 sur un échantillon de 2 756 adultes issus de 11 pays représentant les différentes régions cardinales d'Europe : la Croatie, la République Tchèque, le Danemark, la France, la Finlande, l'Allemagne, l'Islande, le Luxembourg, la Pologne, le Portugal et la Suisse.

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