Sang, salive, urines, selles : comment prédire les risques de maladie par une analyse approfondie des prélèvements de nos liquides organiques
”L’idée de cette consultation est de veiller à ce que tous les paramètres censés être des indicateurs de bonne santé – et non de maladie – soient au vert”, explique le Pr Castronovo. Reportage dans un laboratoire spécialisé en biologie d’investigation préventive.
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- Publié le 16-09-2023 à 21h00
- Mis à jour le 16-09-2023 à 21h04
Beaucoup de curiosité et, avouons-le, un peu d’appréhension quand même, comme on peut imaginer avant de recevoir un bulletin… de santé : c’est animé de ces sentiments mitigés que l’on entre dans les impressionnants bâtiments du laboratoire d’analyses médicales Lims, qui a récemment installé ses quartiers dans le zoning du China Belgium Technology Center à Louvain-la-Neuve. Spécialisé en biologie d’investigation préventive, ce labo propose en effet des bilans de santé détaillés, destinés à repérer les éventuels déséquilibres présents dans l’organisme et susceptibles de représenter, à terme, un risque pour la santé.
Pour pouvoir établir ce bilan destiné in fine à optimiser sa santé, via une alimentation plus adaptée et, le cas échéant, une complémentation alimentaire, il a fallu remplir de nos liquides organiques quelques menus tubes. Différents prélèvements ont ainsi été réalisés en amont : prise de sang, échantillons de salive, d’urines et de selles, tout y est passé. De quoi fournir le matériel nécessaire au Pr Vincenzo Castronovo, qui, derrière son bureau, exposera dans le détail les résultats des analyses avant de livrer de précieux conseils nutritionnels et prescrire, en cas de nécessité, les compléments alimentaires visant à combler les carences et autres déséquilibres mis en évidence.

Docteur en sciences biomédicales, gynécologue obstétricien, sénologue et professeur ordinaire honoraire à l’Université de Liège, le médecin passe aujourd’hui le plus clair de son temps à recevoir des patients dans sa consultation de médecine préventive fonctionnelle et nutritionnelle. “Après avoir pris conscience que la santé était notre plus grande valeur, les patients peuvent venir – certains une fois par an – pour un bilan de santé à titre préventif, nous dit-il. Ceux-là se présentent à la consultation alors qu’ils n’ont a priori aucune plainte mais d’autres viennent aussi parce qu’ils ont malheureusement un problème de santé, comme un cancer, une maladie auto-immune, une dépression… et qu’ils aimeraient bien augmenter les capacités d’autoguérison du corps basées sur une alimentation équilibrée.”
La ligne de vie
Le spécialiste définit la biologie d’investigation préventive comme “un ensemble d’analyses qui permettent de vérifier si le patient a tous les éléments présents dans l’alimentation en qualité et en quantité suffisantes pour garantir le fonctionnement optimal de l’organisme”.
Pour le savoir, il faudra se plonger dans les pages de résultats très détaillés des analyses, lesquelles se basent sur la mesure précise par des techniques sophistiquées de tous ces paramètres dans les liquides biologiques, que ce soit le sang, le sérum, le plasma, la salive, les urines ou encore les selles. “Ces bilans de santé se basent sur des données scientifiques et sur l’expérience clinique”, précise le Pr Castronovo.
Nous voilà partis pour près de deux heures d’une consultation qui débute par un questionnaire fouillé retraçant notre “ligne de vie”. Pourquoi cette ligne de vie ? Parce que, “dans une médecine que je définis de la santé par rapport à la médecine de la maladie, ma conviction profonde est que l’on ne traite pas une maladie mais on traite un malade. On ne traite pas un cancer du sein, mais on traite une patiente qui souffre d’un cancer du sein. L’idée est de pouvoir identifier, dans toutes les étapes de sa vie quels sont les éléments qui auraient pu faire que la maladie ait éclos et compromette la santé du patient. Parfois, des personnes traînent des casseroles psychoaffectives qui ont toujours un impact. Dans ce cas, je conseille au patient d’aller consulter un psychologue”.

À la vitesse VV', le Pr Castronovo enchaîne les questions, notant sur notre ligne de vie, les éléments les plus pertinents : “date de naissance ? ; état civil ? ; des enfants ? ; combien de grossesses ? ; des frères et sœurs ? ; motif de la consultation ? ; êtes-vous née à terme ? ; par le bas ? ; votre maman vous a-t-elle allaitée ? ; avez-vous eu un père ou un papa – la nuance est très importante, cela peut avoir un impact majeur ? ; à quel âge sont apparues vos premières règles ? ; et les dernières ? ; des opérations de 0 à 6 ans ? ; pas d’antibiotiques à profusion ? ; étiez-vous une petite fille épanouie ? ; quid à l’adolescence ?”… Et aujourd’hui : “des coups de pompe pendant la journée ? ; des moments de déprime ? ; des idées suicidaires ? ; des envies de sucre ? ; rêvez-vous pendant la nuit ? ; sur une échelle de 1 à 10, combien mettriez-vous pour la qualité du sommeil ? ; et pour l’énergie ? ; la libido ? ; et au niveau amour de vous ? ; moral ? ; confiance en vous ?”.
Le verdict des résultats
Le questionnaire terminé, on passe à l’analyse des résultats. Ta-daaam… “Il y a des choses bien, et d’autres beaucoup moins bien, nous assène sans détour le médecin, qui a déjà parcouru les données ressorties des analyses. Je vais mettre sur papier tout ce qui n’est pas normal et qui mérite d’être renforcé”.
La curiosité est à son comble : “Hématologie tout à fait normale, tout va bien de ce côté-là”, poursuit-il. Premier ouf de soulagement. Alors qu’a priori, on ne manifeste aucune plainte particulière, la suite n’est pas nécessairement toujours aussi rassurante. “Ici, il y a une carence fonctionnelle en fer. Là, on voit une petite résistance à l’insuline, un syndrome métabolique qui pourrait être corrigé. Par contre, les reins fonctionnent bien… Magnésium, ok. Zinc un peu trop bas. Il est intéressant d’en prendre régulièrement”, détaille le médecin qui note un besoin de plus de vitamines B9, B2, B12. Et identifie “un peu d’anticorps contre le blanc d’œuf, une petite suractivité du foie”, avant de vous décerner un bon point : “Niveau graisses, vous mangez très sainement, pas beaucoup de graisses industrielles ou pro-inflammatoires. Bravo !” Mais ce moment de modeste fierté s’avère de courte durée : “Il faudrait manger plus de poissons gras”.
Implacable, l’analyse du microbiote “vraiment pas top”, révèle de précieuses données. “Dans l’intestin, on a 2 kg de bactéries vivantes qui contrôlent tout : vos émotions, vos fonctions cardiaques… On dit souvent, et Hippocrate le premier, que toutes les maladies commencent dans l’intestin, souligne le Pr Castronovo. Moi, je rajoute parce que les gens utilisent le plus souvent leur tube digestif comme la poubelle de leurs émotions non exprimées. Le citoyen lambda a d’ailleurs transformé ces émotions par des expressions comme : 'je ne l’ai pas digéré'; 'ça m’est resté en travers de la gorge'; 'je l’ai encore sur l’estomac'; 'je me fais de la bile'; 'ça me fait chier'; 'j’en ai plein le cul'; 'ça me gonfle'… Le tube digestif est l’organe le plus vulnérable de notre corps parce que c’est l’endroit de tous les dangers. C’est par là que rentrent tous les ennemis”. En l’occurrence, un champignon nommé candida en bien trop grande quantité, signe de dysbiose définissant l’altération qualitative ou quantitative du microbiote intestinal. “Ici, la diversité est bonne mais elle doit être faite de 'gentilles' bactéries, fait remarquer le spécialiste. Or ça, par exemple, c’est une mauvaise bactérie qui est associée aux risques de développer des polypes et un cancer du côlon”. Ou comment déceler un risque majoré de développer une tumeur de ce côté…

Les précieux conseils
”Qu’il s’agisse de cancer, de maladies cardiovasculaires, de diabète, de pathologies auto-immunes, on parle bien de risque, insiste le Pr Castronovo. Vous allez bien mais vous devez faire attention pour aller mieux”. Comment ? En tentant de suivre les conseils nutritionnels, à la fois généraux et personnalisés, et en prenant une supplémentation en vitamines et autres compléments alimentaires.
Pour ce qui est du “régime alimentaire”, on n’échappe pas au petit rappel de ce qui devrait être connu de tous : “Voici ce que je conseille à tous mes patients, ce que l’Homo sapiens devrait manger sur une journée : 50 % de légumes (de toutes les couleurs) et fruits (mais trois fois plus de légumes que de fruits), de saison et de proximité. À consommer avec du gras pour qu’ils soient bien absorbés, 25 % de féculents complets et 25 % de produits d’origine animale. Le tout, si possible bio, sans verser dans l’extrémisme. Il est important de prendre le temps de manger et bien mastiquer ; c’est fondamental. Savez-vous qu’il existe un lien entre défaut de mastication, maladie d’Alzheimer et perte de mémoire ? Il faut privilégier les longues cuissons à basse température. Si vous voulez snacker une viande ou un poisson, choisissez une graisse saturée, huile de coco ou de palme rouge. Les fritures, cela doit rester exceptionnel”.
À ces quelques rappels d’ordre plus général, s’ajoutent les conseils sur mesure : “Évitez le blanc d’œuf, mangez moins et diminuez l’apport en protéines animales. Évitez aussi les sucres rapides, surtout pour les champignons qui adorent ça”.
Côté prescription, “il faut améliorer les bonnes bactéries pour qu’elles fonctionnent bien, avec des prébiotiques dont le topinambour est le roi. La prise de vitamine D est aussi nécessaire”, complète le médecin avant d’ajouter : “et avec ça, tout ira bien”. Rendez-vous dans six mois pour refaire une analyse du microbiote.
La médecine de la santé : l’avenir ?
”L’idée de cette consultation qui, selon moi, devrait être (comme en France) remboursée une fois par an dans la population à partir de 40 ans est de veiller à ce que tous les paramètres censés être des indicateurs de bonne santé – et non de maladie – soient au vert, dans la mesure du possible, explique encore le professeur. Ces bilans s’adressent à tout qui valorise sa santé et encore plus à tout qui est malade et qui n’a jamais eu d’optimisation de son terrain. Ce bilan va permettre de corriger les carences et les déséquilibres. L’idée est d’évoluer vers un système de santé où la prévention est la priorité. En tant que médecin, je veux valoriser la santé et pas la non-maladie. J’espère qu’un jour les bilans préventifs et la médecine préventive personnalisée seront non seulement remboursés mais aussi conseillés et promus. Lorsqu’elle était en poste, la ministre de la Santé, Maggie De Block avait déclaré qu’un euro investi en prévention épargnait 4 euros en traitements”.
Alors, cette médecine préventive personnalisée, est-ce l’avenir ? “Oui, je pense que la médecine de la santé par rapport à la médecine de la maladie – même si celle-ci aura toujours sa place en raison des vulnérabilités génétiques, des accidents, … –, c’est l’avenir. La médecine préventive et prédictive personnalisée vise à maîtriser tous les facteurs de risque connus aujourd’hui et liés à notre mode de vie. Elle est basée sur le bon sens. Il y a l’alimentation, mais aussi l’activité physique, la gestion du stress. En optimisant les paramètres fonctionnels, on va nécessairement réduire les risques”, et contribuer à améliorer la qualité de vie et l’espérance de vie en bonne santé.
Reste que, si l’on dit que la santé n’a pas de prix, cette approche aussi séduisante soit-elle, a cependant un coût certain. Outre celui de la consultation (environ 150 €), il faut en effet compter pour les analyses, un montant allant de 150 à 500 euros, voire davantage, plusieurs examens, nécessitant des techniques et des appareils très sophistiqués, n’étant pas remboursés.
