Des bébés déjà en manque de nicotine
Le tabagisme maternel pendant la grossesse a de multiples conséquences. Le nouveau-né exposé développe un syndrome de manque. Entre autres. Dossier: Santé - Bien-être
- Publié le 29-05-2010 à 04h15
- Mis à jour le 29-05-2010 à 10h18
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Entretien A quelques jours de la Journée mondiale sans tabac, commémorée ce lundi 31 mai, chacun y va de son initiative : des hôpitaux qui organisent des portes ouvertes, une firme pharmaceutique qui publie un guide de vacances "agrémenté" de conseils pour arrêter de fumer, un hôtel qui propose des séjours bien-être avec conférence d’un tabacologue, test de motivation du candidat au sevrage tabagique et petit massage en guise de récompense.
Dans le cadre de cette journée, les Clinique universitaires Saint-Luc ont présenté les principales et plus récentes avancées dans la recherche sur le tabac à l’UCL. Parmi ces études, les travaux du Dr Véronique Godding, du service de cardiologie pédiatrique, interpellent. Il en ressort que les nouveau-nés exposés à un important tabagisme maternel durant la grossesse développent un syndrome de manque durant les premiers jours de vie. Pour en arriver à cette conclusion, le Dr Godding a recruté 17 femmes enceintes fumant plus de 10 cigarettes par jour et 16 femmes enceintes non fumeuses et non exposées à la fumée de tabac.
Que savait-on au préalable ?
Nous savions que si la maman fume, pendant la vie intra-utérine, on trouve 15 % de nicotine en plus par rapport à la circulation de la maman dans le compartiment fœtal, c’est-à-dire dans la circulation du fœtus et dans le liquide amniotique. On sait également que les récepteurs à la nicotine apparaissent dès le deuxième mois de vie, ce qui signifie que, déjà chez l’embryon, la nicotine peut réagir avec des récepteurs.
Quel était l’objectif de cette étude ?
L’équipe s’est posé la question de savoir si les bébés de mère ayant fumé pendant la grossesse faisaient, ou non, comme les adultes, un syndrome de manque à la nicotine lors du sevrage.
Comment avez-vous procédé ?
Pour répondre à cette question, nous avons étudié rétrospectivement, pendant les cinq premiers jours de vie des nouveau-nés, deux groupes de bébés; l’un de mères fumeuses, l’autre de mères non fumeuses. Nous avons mesuré dans le sang de cordon, dans les urines des bébés et des mères, des concentrations de cotinine, qui est le principal métabolite de la nicotine. Il a une durée de vie de 48 heures au moins contre 2 heures pour la nicotine, ce qui permettait d’avoir des dosages plus fiables et plus précis.
Nous avons aussi suivi chez ces nouveau-nés, aux 1er, 2e et 5e jours de vie, un examen neurologique détaillé par un pédiatre qui n’était pas au courant du statut tabagique des mères. Il a par ailleurs été demandé aux infirmières et aux mamans de mesurer toutes les trois heures des paramètres d’un score de sevrage.
Qu’avez-vous observé ?
Nous avons pu voir que, dans leurs 48 premières heures de vie, les bébés de mères fumeuses ont exactement les mêmes concentrations de cotinine dans les urines que leur maman, ce qui confirme bien qu’ils ont été exposés de la même façon. Aux 1er, 2e et 5e jours de vie, ces bébés présentaient également un examen neurologique un peu moins bon que les bébés de mères non fumeuses. Il était cependant intéressant de voir que cet examen neurologique s’avérait meilleur au 5e jour de vie. Quant aux scores de sevrage, ils étaient plus élevés chez les nouveau-nés de mères fumeuses.
Qu’en avez-vous conclu ?
Qu’il existait une corrélation statistiquement très significative entre l’exposition à la nicotine du bébé et l’examen neurologique. Plus importante avait été l’exposition, moins bon était l’examen et plus le score de sevrage était élevé.
Le tabagisme pendant la grossesse reste-t-il un gros problème ?
C’est effectivement un très gros problème. L’Organisation mondiale de la santé considère d’ailleurs que cela constitue l’une des principales causes d’inégalité de santé et d’espérance de vie qui persiste dans les pays favorisés. En Belgique, on considère que 18 % des grossesses vont être compliquées par le tabagisme soit pendant une partie soit pendant toute la grossesse. Et, derrière ces chiffres, il y a une réelle fracture sociale puisque, pour les jeunes femmes de milieux vraiment favorisés, on a 7 % de grossesses tabagiques contre 35 % dans les milieux socio-économiques défavorisés.
Quels sont les autres conséquences chez l’enfant puis chez l’adulte, dûs au tabagisme de la mère pendant la grossesse ?
Trois études ont montré les adolescents qui ont été exposés au tabagisme de la mère, tous autres facteurs étant corrigés, ont un risque nettement plus important de devenir rapidement des fumeurs dépendants lors de leur première rencontre avec le tabac. Par ailleurs, n’oublions pas que le tabagisme chez la mère entraîne un risque plus de prématurité, de fausse couche, d’hématome rétroplacentaire (une complication grave de la grossesse), de pathologies et de mort périnatales, de maladies respiratoires pendant les premières années de vie, de mort subite du nourrisson Plus tard, on sait que cela augmente le risque d’hypertension artérielle ou encore diabète de type 2 chez l’adulte.
Que peut-on dire des aides au sevrage pendant la grossesse ?
Il faut qu’il y ait une aide au sevrage tabagique qui soit disponible dans toutes les maternités et dans toutes les structures de la santé où il y a un suivi de la grossesse. Il faut aussi dire que, si la maman peut être plus motivée pour arrêter de fumer pendant la grossesse, cela reste aussi un moment particulièrement difficile parce que le métabolisme de la nicotine est accéléré pendant cette période où l’on ne peut, en outre, pas utiliser d’aide médicamenteuse. On va seulement, dans certains cas et avec beaucoup de prudence pouvoir travailler avec une aide de substitution nicotinique. Il y a donc un grand travail d’ordre psychologique complémentaire.