Solar Impulse: Une aventure multidisciplinaire
Les deux pères du “Solar Impulse” racontent comment ce projet fou est devenu réalité. Le fruit de la mise en commun de talents multiples. Une alchimie humaine stimulante.
Publié le 24-05-2011 à 04h15 - Mis à jour le 24-05-2011 à 08h29
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Comment est née l’aventure du “Solar Impulse” ?
André Borschberg (A. B.) : Quand Bertrand Piccard et Brian Jones ont fait leur tour du monde en ballon, en 1999, ils avaient décollé avec 4 tonnes de propane et atterri avec 40 kilos. On peut imaginer la tension qui régnait dans la cabine. Bertrand s’était posé la question suivante à l’époque : n’est-il pas possible de faire un tel tour de monde sans carburant, en volant jour et nuit, en toute liberté ? Nous en avons parlé à plusieurs personnes, dont des membres de l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne. C’était en 2003. L’école venait de sortir d’une belle expérience de recherche multidisciplinaire avec la mise au point du bateau Alinghi, qui venait de remporter l’America’s Cup. Pour Solar Impulse, elle a immédiatement décidé de faire une étude de faisabilité.
Bertrand Piccard (B. P.) : Il existait 18 laboratoires appelés à collaborer ensemble. L’école est allée chercher quelqu’un de l’extérieur qui pourrait coordonner le travail et le concrétiser. C’est ainsi qu’ils ont choisi André, c’est comme cela que je l’ai rencontré, lui qui possède toutes les licences de pilote professionnel. On a immédiatement développé une synergie parfaite. Au moment où nous avons lancé le projet, nous n’avions pas de partenaire, pas d’équipe, pas d’argent en poche. Les gens nous ont fait confiance, particulièrement le groupe Solvay.
A. B. : Bertrand a compris très tôt que la question de l’énergie allait devenir centrale. Il a ajouté une dimension supplémentaire à l’aspect aéronautique du projet. Moi-même, en tant qu’ingénieur, j’étais intéressé par les énergies renouvelables. Mais ce qui me frappait, c’est qu’en vingt ans, les choses avaient peu évolué. On traitait beaucoup des technologies mais on ne parlait guère d’applications concrètes. La réflexion marché-production ne se faisait pas.
L’école polytechnique de Lausanne est considérée comme une institution de pointe, créant ou aidant à développer des projets innovants.
B. P. : Elle a connu un virage important au début 2000 avec l’arrivée d’un nouveau responsable qui a compris qu’il fallait fédérer des disciplines différentes et faire travailler ensemble des départements disparates. Solar Impulse s’intégrait parfaitement dans cette vision unificatrice. L’étude de faisabilité a impliqué 17 instituts différents. Mettre ces gens ensemble a été un facteur important. Solar Impulse, ce n’est pas simplement poser des cellules solaires sur un avion, c’est développer un concept qui est né de la mise en commun de nombreuses disciplines. Solar Impulse a drainé des gens qui répondaient "oui" quand on leur proposait de faire des choses impossibles. On a réussi à les intéresser à ce projet, avant que l’avion existe et vole, des ingénieurs, des journalistes, des politiques qui nous ont aidés à démarrer.
Votre grand-père et votre père ont signé des grandes premières. Y a-t-il une hérédité Piccard ?
B. P. : Je suis content que vous parliez de "première" et pas de "record". Prendre un terrain vierge, devoir développer des stratégies et des tactiques nouvelles pour résoudre des problèmes nouveaux, ça, c’est intéressant. La stratosphère, c’était ça. Mon grand-père a développé une cabine pressurisée à une époque où on croyait qu’on ne pouvait pas survivre au-dessus de 5 000 mètres. Le bathyscaphe, c’était la même chose. Le tour du monde en ballon aussi, même si la dimension scientifique était moins importante. Solar Impulse constitue une première technique, scientifique, technologique, mais c’est aussi un défi d’un autre ordre. Les gens croient que notre monde ne peut fonctionner qu’avec du pétrole, du gaz, du charbon et présentent une terrible résistance au changement. Solar Impulse, c’est une manière de changer les états d’esprit, de convaincre qu’on peut concevoir, grâce aux nouvelles technologies, un monde libéré du pétrole. Ce n’est pas parce qu’on n’a jamais fait quelque chose que celle-ci est impossible. Quand on lance un projet aussi difficile, les gens s’enthousiasment, on voit arriver des entrepreneurs, des créateurs, qui se remettent en question et cela crée une équipe formidable.
Bertrand Piccard et André Boschberg sont nos "rédacteurs en chef d'un jour"