En quête du deuxième souffle

La Lune ? Mars ? Un astéroïde ? L’exploration spatiale donne aujourd’hui le sentiment de tourner en rond. L’avis d’Isabelle Sourbès-Verger, chercheuse au CNRS et spécialiste en géopolitique spatiale.

ENTRETIEN GILLES TOUSSAINT
En quête du deuxième souffle
©Nasa

La Lune ? Mars ? Un astéroïde ? L’exploration spatiale donne aujourd’hui le sentiment de tourner en rond. L’avis d’Isabelle Sourbès-Verger, chercheuse au CNRS et spécialiste en géopolitique spatiale.

Quelles sont les perspectives ? On a le sentiment qu’il n’y a plus un grand objectif qui rallie les opinions et justifie que les gouvernements engagent les fonds nécessaires…

Dans l’exploration spatiale, on n’a pas beaucoup d’objectifs possibles. Logiquement, la Lune reste un objectif scientifique et technique expérimental assez incontournable avant de se lancer dans une exploration plus lointaine. Le suivant, c’est Mars. Là aussi, tout le monde se rejoint sur cette idée. Mais les problèmes techniques posés à la fois par le voyage et un éventuel atterrissage, pour y passer un temps même limité, seront d’un ordre complètement différent. Si bien qu’une exploration lunaire habitée n’a pas forcément de sens.

Le président Obama a renoncé à cette option avec des arguments très forts portés par des experts de la communauté spatiale dans le “rapport Augustine”. Ceux-ci ont estimé qu’en termes de R&D, un tel voyage ne nous apprendrait pas ce que nous aurions besoin de savoir pour la suite. Et finalement que ce programme coûterait beaucoup trop cher par rapport aux bénéfices qu’on en retirerait. Ce rapport fait un peu réfléchir tout le monde, y compris les Chinois. En résumé, l’exploration plus lointaine pose des problèmes auxquels nous n’avons actuellement pas moyen de répondre, pas même une vision complète de tous les éléments à résoudre. Fondamentalement, les lanceurs d’aujourd’hui, même s’ils sont plus performants, sont les mêmes sur le plan technique que ceux de 1957. On n’a pas découvert de nouveau mode de propulsion, c’est cela qui bloque la conquête spatiale.

La vraie destination serait donc Mars ?

Ou un astéroïde, on n’en sait rien. L’introduction du rapport Augustine mentionne les vraies question à se poser : Pourquoi va-t-on dans l’espace ? Que va-t-on y faire ? Comment peut-on le faire? On n’a pas encore les réponses, mais personnellement je suis relativement optimiste devant cette remise à plat des objectifs. Je dirais que c’est de cette manière que l’exploration peut retrouver un deuxième souffle.

Quelles pourraient être les échéances ? On a un temps évoqué Mars en 2030…

Fixer une échéance, c’est lire dans le marc de café. C’est vrai que 2030 paraît raisonnable, mais cela peut très bien être repoussé selon l’activité en R&D et ses résultats. En même temps, on a connu des surprises dans le passé et on a assisté en 20 ans au déploiement de programmes auxquels on ne songeait pas du tout comme la navigation par satellites...

Est-il plausible qu’une mission vers une destination lointaine se fasse dans le cadre d’une coopération internationale élargie ?

Je crois que tout le monde est d’accord sur le fait que ce genre d’exploration se fera en coopération, mais celle-ci ne sera pas évidente. L’ISS (la station spatiale internationale) a montré que pour avoir une coopération internationale réussie, il faut que chacun puisse apporter quelque chose qu’il est le seul à maîtriser. S’il n’y a pas une forme d’interdépendance, on a des partenaires qui sont privilégiés et d’autres qui ont les restes.

La Chine paraît encore être dans une phase d’affirmation de soi…

En réalité, ils sont très demandeurs d’une coopération internationale, à ce détail près que les capacités dont ils disposent ne sont pas à la hauteur des capacités américaines, européennes ou japonaises. Ils sont en train de tester des choses que les autres ont réalisées il y a 40 ou 50 ans. Dans ce contexte, ils ont intérêt à acquérir de l’expérience sur des programmes autonomes. Sur le plan politique et médiatique, cela leur permet de capitaliser sur la fierté nationale. Ils verront ensuite s’ils peuvent participer à des programmes en coopération de manière lisible et qui leur rapportent quelque chose.

On peut à peu près décalquer cette logique pour l’Inde, à la différence que ce pays n’est pas dans une logique d’affichage politique aussi forte et que le spatial indien se justifie déjà par ses retombées économiques et dans le développement du pays, avec de la télématique et du télé-enseignement.

Les Russes semblent décidés à réinvestir dans le spatial, vous confirmez ?

A côté du rajeunissement des cadres et du matériel, les Russes sont vraiment en train de restructurer leur industrie spatiale depuis 5 ou 6 ans. C’est quelque chose que l’on regarde peu et c’est une erreur, même si cela se fait lentement. Ils n’ont pas l’intention de capitaliser sur un quelconque orgueil national, et d’aller faire des choses en solitaires. Pour eux cela ne présente plus aucun intérêt. Ce qu’ils veulent c’est une présence à part entière dans une coopération internationale. Et pas, comme c’est le cas dans l’ISS, se retrouver dans une position quasiment de sous-traitants.

De leur côté, les Européens ont gagné en crédibilité ces dernières années…

Absolument. L’Europe est cohérente et, d’une certaine manière, le flou qui règne aux Etats-Unis lui permet de se positionner et de s’interroger sur ce qu’elle veut. Je pense qu’elle va rester sur ce qui constitue la base de son programme d’exploration, c’est-à-dire la coopération. Elle réfléchit à ce qu’elle serait capable de faire dans ce cadre ou éventuellement de façon autonome de manière à ne pas être dépendante d’un partenariat qui, pour une raison ou une autre, n’arriverait pas à son terme. Je pense que c’est une nouvelle preuve de maturité. A partir de là, les objectifs qu’elle peut se fixer sont à peu près ceux de tout le monde. Le projet de mission de retour d’échantillons martiens est aujourd’hui celui qui fait le plus l’unanimité. Pour ce qui est d’un vaisseau européen habité, par contre, on ne peut pas dire que cela retient un soutien politique énorme. Il ne faut pas non plus perdre de vue le Japon qui est la seule puissance spatiale à avoir rapporté des échantillons d’astéroïdes. Ce pays a des points communs avec l’Europe. Leur spatial ne peut se construire sur une affirmation de l’identité nationale ou de prestige politique.

L’ISS va se poursuivre jusqu’en 2020, voire au-delà comme le souhaitent les Européens ?

Vu qu’elle est à peine achevée, la tendance va être de continuer à l’utiliser le plus longtemps possible, sans doute au moins jusqu’en 2020, voire 2025. D’autant plus qu’il faudra la désorbiter et que cela va coûter de l’argent, donc au plus tard on peut repousser ces dépenses et la rentabiliser, au mieux c’est. Et comme on voit bien un glissement dans le temps des autres objectifs potentiels, cela permettra de maintenir l’intérêt du public. Mais si des problèmes exigeant des réparations coûteuses se présentent, les choses peuvent changer très vite.

© La Libre Belgique 2011


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