Frank De Winne : "L’homme ira sur Mars dans le courant de ce siècle"
L’astronaute belge Frank De Winne est devenu, en 2009, le premier commandant de bord de la station spatiale internationale (ISS) à ne pas être originaire des Etats-Unis ou de Russie. Entretien
Publié le 02-10-2013 à 05h44 - Mis à jour le 16-10-2013 à 15h31
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L’astronaute belge Frank De Winne est devenu, en 2009, le premier commandant de bord de la station spatiale internationale (ISS) à ne pas être originaire des Etats-Unis ou de Russie. A présent, il est directeur du Centre d’astronautes européens. Il donnera une conférence, ce vendredi 4 octobre, sur l’exploration martienne.
Un vol habité vers Mars c’est, à ce stade, encore de la science-fiction ?
Un voyage avec des êtres humains vers Mars, ce n’est pas encore pour tout de suite. Je suis certain que l’homme ira sur Mars durant ce siècle, mais je ne donnerai pas un moment plus précis que cela. Toutes les agences spatiales du monde sont d’accord que le voyage vers Mars, c’est vraiment le défi pour ce siècle. Mais pour réaliser cela, on n’a pas encore de plans concrets. Car on a besoin de beaucoup de ressources, de technologie, de connaissances… Que nous n’avons pas encore. Et puis, il faut une décision politique, globalement, par tous les chefs d’Etat de toutes les sociétés qui voudraient participer à un tel voyage. Pour un tel voyage, il faudra un très grand nombre d’Etats qui travaillent tous ensemble. Des Etats qui coopèrent sur l’ISS, mais aussi d’autres comme l’Inde, la Chine, le Brésil, les Etats qui développent des capacités spatiales… Et ce n’est pas encore le cas. Il y a déjà des groupes de travail avec beaucoup d’agences spatiales. Ils font des roadmap pour une exploration humaine future de Mars. Mais il n’y a pas de décisions.
Pourquoi Mars est-elle un but à atteindre ?
Tout d’abord, pour l’ESA (Agence spatiale européenne), l’exploration, c’est très important. C’est en faisant de l’exploration que l’on développe de nouvelles technologies, qu’on pousse les domaines de connaissances. C’est important de continuer à investir dans l’exploration. Une société qui arrête d’explorer ne progresse plus ! L’Europe s’articule sur trois destinations : l’orbite basse de la Terre, la Lune et Mars. Pourquoi Mars est-elle l’objectif ultime ? Mars est une planète sœur de la Terre : il y a de l’atmosphère, de l’eau. Peut-être qu’il y a eu, un jour, de la vie. On pourrait y trouver des traces de vie. Ce serait la plus grande découverte de ce siècle ! C’est la question principale que beaucoup de scientifiques se posent : est-ce qu’on est seuls dans l’Univers ? En allant vers Mars, on espère pouvoir trouver cette réponse. Il y a d’autres questions : en essayant de comprendre le passé de Mars, et comment elle a évolué, cela pourrait nous aider à comprendre le futur de notre Terre.
Les difficultés sont légion. Quelles en sont les principales pour une mission habitée ?
Tout d’abord, ce serait un voyage très long. Il durerait trois ans. Cela demandera énormément de ressources. Alimentaires, en eau, en oxygène… Ainsi qu’en termes de propulsion. Cela implique aussi de maintenir l’équipage en vie pendant trois ans. D’où l’importance de la sûreté des systèmes. Dans l’ISS, on peut vivre avec un ou deux systèmes. Si le système tombe en panne, on a toujours le Soyouz pour revenir sur Terre. De la Lune, on peut être de retour en deux, trois jours. Vers Mars, une fois parti, on est parti pour trois ans !
On parle aussi beaucoup des radiations (rayons cosmiques, particules solaires…) néfastes à l’homme…
Aujourd’hui, avec l’ISS, on vole pendant six mois, et on est protégé par la magnétosphère (NdlR : partie de l’atmosphère de la Terre) . Une fois qu’on sort de la magnétosphère, l’environnement de radiation devient tout à fait différent. Il faut encore accumuler des connaissances sur ce que ça va faire à l’être humain. C’est une exposition à la radiation pas très élevée, mais qui durerait trois ans. Il y a des recherches sur les radiations, sur le "support de vie" (NdlR : l’autonomie alimentaire, par exemple) ou encore sur la propulsion. Si on peut développer de nouvelles technologies de propulsion, on pourrait voyager en six mois, peut-être. Ça devient alors tout autre chose. Pas mal d’universités réfléchissent à la propulsion nucléaire.
Il faudrait aussi une sorte de camp de base pour la vie sur place. Un autre défi !
Tout à fait. Il y a différents concepts. Soit rester en orbite très longtemps et faire une excursion sur Mars pendant deux semaines. On peut se dire : "Est-ce que ça vaut vraiment la peine d’y aller pour deux semaines ?" L’autre possibilité, c’est de rester plus longtemps. Alors, le défi, c’est de survivre à la surface si longtemps.
Pour les astronautes, c’est dangereux. Est-ce acceptable de risquer des vies ?
L’exploration a toujours été dangereuse. Pour Christophe Colomb, c’était très dangereux ! Dans ce domaine, chaque fois qu’une société a pris des risques - mesurés - ça a amené énormément de bénéfices pour l’humanité. Bien sûr, il faut minimiser ces risques. C’est pour cela que cela va prendre encore beaucoup de temps. L’exploration de l’espace est très jeune. On vient de commencer. Je sais qu’on est dans une société où il faut des résultats de suite ! Mais il ne faut pas être très pressé : le tout est d’avancer et de travailler ensemble. Explorer a toujours pris du temps.
Que pensez-vous de ces firmes privées qui proposent au grand public des "allers simples" pour la planète Mars ?
Il faut voir si c’est réalisable, et je ne connais pas assez les projets pour le dire. Mais si on fait un voyage vers Mars, je pense que ce sera une coopération globale. Ce sera un voyage avec des humains, pour l’humanité. Ce n’est pas très sain de faire un voyage unique et de ne pas offrir la possibilité de retour. Les études des agences spatiales se font toujours avec le respect de l’humain et en étant certain qu’on peut ramener ces êtres humains en bonne santé sur Terre. S’il y a une certaine certitude de revenir, si cela se fait dans des conditions de sûreté, je serais prêt à être du voyage.
Mais je serai trop vieux ! Mais est-ce nécessaire d’envoyer des humains ?
La robotique est en plein essor… Il y aura beaucoup de missions robotiques - il y en a déjà -, avant les missions humaines. Mais être en contact avec un robot, ça ne sera jamais la même chose. L’être humain a son rôle à jouer, quand ce sera "safe" d’y aller. La première question que les gens me posent le plus c’est : "C’était comment l’espace ?" Un robot ne pourrait pas répondre à cette question. L’humain peut, lui, percevoir, ressentir, et revenir pour parler de ses sentiments.
On pourrait, un jour, imaginer Mars comme "planète d’appoint" pour les Terriens ?
De toute façon, dans cinq milliards d’années, le soleil sera tellement grand qu’il englobera notre Terre. A très, très, très long terme, il n’y a pas de futur pour l’humanité sur notre Terre. C’est physique ! Donc, si on veut survivre comme humanité, il faudra trouver d’autres endroits pour vivre. Cela peut être, d’abord Mars; puis, peut-être plus loin, après. A nouveau, l’exploration, ça a toujours bénéficié à l’humanité et je pense que ça va continuer à l’être.