Cancer: Vers un traitement qui empêche la formation des métastases
Des chercheurs de l’UCL ont fait une découverte de taille dans la lutte contre le cancer. Ils ont découvert que le métabolisme des cellules cancéreuses contrôle les métastases et ont identifié des molécules capables d’empêcher leur apparition. Les tests cliniques sur l’homme pourraient commencer dans deux ou trois ans. Enthousiasme mais aussi prudence pour cette première mondiale.
Publié le 24-07-2014 à 16h12 - Mis à jour le 04-12-2017 à 10h54
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Il n’a pas peur de le dire et d’ailleurs, il nous le répétera à plusieurs reprises au cours de l’entretien : “ C’est un pas de géant pour la recherche scientifique en oncologie que notre équipe vient de faire ”. Chercheur qualifié au FNRS, le P r Pierre Sonveaux du pôle de Pharmacologie et de thérapeutique de l’Institut de recherche expérimentale et clinique (IREC) de l’UCL ne cache pas son enthousiasme. Il aurait tort de le faire.
Aboutissement de cinq années de recherche intensive, la découverte qui est publiée ce jeudi dans la prestigieuse revue “Cell Reports” est de taille : les chercheurs de l’UCL ont en effet identifié un traitement qui prévient les métastases tumorales. “ Nous pouvons aujourd’hui clamer haut et fort que nous sommes les premiers à avoir identifié un traitement capable d’empêcher la survenue des métastases ”, nous dit le chercheur.
Le contexte
Chaque année en Belgique, quelque 27 000 personnes décèdent du cancer, dont environ 24 000 à cause des métastases. Lorsqu’une personne développe un cancer, il s’agit d’une tumeur d’origine dans un organe bien particulier (sein, foie, poumon, pancréas, prostate…) Les métastases sont des petites tumeurs secondaires, des tumeurs “filles” qui se forment à différents endroits dans l’organisme, ce qui pose un problème de traitement. Lorsque le cancer est bien localisé, comme c’est le cas avec la tumeur d’origine, il est plus facile de le traiter par chirurgie, par radiothérapie… Alors que quand les tumeurs sont disséminées dans tout le corps, cela devient beaucoup plus compliqué à gérer. “ Les métastases sont donc un réel fléau qu’il faut tenter d’enrayer , souligne le P r Sonveaux. Elles sont responsables de 90 % des décès dus au cancer. D’où l’intérêt de la communauté scientifique internationale pour tenter de comprendre le mode de fonctionnement de ces métastases; l’objectif final étant de trouver des traitements qui permettent d’empêcher le développement de celles-ci . Dans ce domaine où la compétition internationale est particulièrement rude, nous sommes donc très fiers de pouvoir annoncer cette première mondiale .”
La recherche
“ Notre stratégie est tout à fait originale et nous avions une longueur d’avance , nous affirme le chercheur. La démonstration a été faite chez l’animal, dans des modèles de mélanome (un cancer de la peau très agressif) et de cancer du sein humain injecté chez la souris. A ce stade, il s’agit donc bien de modèles expérimentaux chez l’animal. Nous n’avons pas encore fait de tests sur l’Homme. La première mondiale consiste à avoir identifié une famille de composés pharmaceutiques dont l’action empêche la survenue de métastases tumorales. Cette stratégie thérapeutique, un traitement encore expérimental, permettra d’offrir un espoir certain aux patients et d’ainsi sauver un grand nombre de vies dans le futur .”
Le mécanisme
Pour en arriver à cette découverte, “ nous nous sommes intéressés aux cellules cancéreuses à l’intérieur desquelles on trouve des entités appelées mitochondries. On pourrait dire que ce sont des centrales thermiques qui permettent à la cellule de produire son énergie, nécessaire à sa survie et à sa prolifération. Les cellules tumorales ont besoin de beaucoup d’énergie. Nous avons utilisé la stratégie du ‘super-antihéros’. En d’autres mots, pour comprendre pourquoi les cellules cancéreuses sont métastatiques, nous les avons rendues ‘supermétastatiques’; nous avons en quelque sorte forcé leur agressivité. Puis, nous avons essayé de comprendre ce qui s’était passé lorsqu’elles sont devenues superagressives.
Nos chercheurs se sont intéressés aux mitochondries des cellules tumorales après avoir observé que ces organites avaient une forme, une structure complètement aberrante dans les cellules cancéreuses capables de faire des métastases. Ce faisant, nous avons découvert que ces mitochondries produisent un déchet tout à fait inattendu qui s’appelle le superoxyde. Notre équipe a montré que c’est cette surproduction de superoxyde qui entraîne la formation de métastases et par conséquent la progression tumorale.”
La stratégie
Sachant que la mitochondrie fabrique du superoxyde dans les cellules cancéreuses capables de faire des métastases, l’idée est venue d’inactiver le superoxyde, de le bloquer pour empêcher la formation des métastase s . “C’est précisément ce que nous sommes parvenus à réaliser, poursuit le P r Sonveaux . Pour cela, nous avons utilisé une famille de molécules qui existaient déjà, à savoir des inactivateurs de superoxyde qui agissent au niveau de la mitochondrie. Nous avons en l’occurrence utilisé le mitoTempo et le mitoQ, ce dernier étant utilisé en test clinique pour d’autres maladies que le cancer, et plus précisément la maladie de Parkinson et l’hépatite C.”
Les résultats
Dans les modèles de mélanome et de cancer du sein humain injecté chez la souris, l’équipe de l’UCL est arrivée à contrer le développement des métastases. “ de manière très impressionnante, et même totale dans certains modèles ”. Pour cette recherche, il y avait un groupe placebo de rongeurs et un autre traité avec l’inactivateur de superoxyde. “ Dans le premier groupe, nous avons observé de nombreuses métastases pulmonaires et dans le second, zéro, nada, rien du tout… Si on traite la tumeur d’origine, ces souris sont donc amenées à survivre ”, conclut le P r Pierre Sonveaux.
Les perspectives “Nous sommes très enthousiastes, car c’est un pas de géant et cela place l’UCL au centre de l’échiquier mondial , nous dit encore le chercheur, mais d’un autre côté, il faut savoir raison garder. Nous sommes des académiques et nous aimons bien progresser de manière prudente. Cela signifie que des tests complémentaires sont nécessaires chez l’animal. S’il est sûr que la preuve de principe est établie, nous aimerions étendre l’expérience à d’autres types de cancer, comme ceux du poumon, du côlon, de la prostate… tous types de cancer métastatique. En théorie, notre stratégie devrait aussi fonctionner dans ces cancers.”
“Sur base de ces observations, nous aimerions aussi, le plus vite possible, susciter l’initiation d’études cliniques. Si les tests de confirmation s’avèrent concluants, d’ici deux ou trois ans, des essais cliniques sur l’Homme devraient pouvoir commencer. La toute prochaine étape n’est plus vraiment entre nos mains. Il faudra voir si les firmes pharmaceutiques qui possèdent ces molécules – dont on sait qu’elles sont non toxiques puisqu’elles sont en phase II – et qui les testent actuellement dans la maladie de Parkinson et l’hépatite veulent investir sur base de nos résultats dans études cliniques pour prévenir les métastases cancéreuses. Le moment venu, ce traitement devrait alors en principe être pris à vie par les patients.” Et de conclure : “Notre étude constitue une réelle avancée dans la compréhension du cancer. Elle ouvre la voie à la validation d’un traitement spécifique qui bloque les métastases cancéreuses. Et il n’y en a toujours pas aujourd'hui".
Un financement d’1,5 million d’euros
En résumé. Paolo E. Porporato, postdoctorant, et d’autres jeunes chercheurs au sein de l’équipe du Pr Pierre Sonveaux se sont penchés sur les mécanismes moléculaires responsables de la capacité des mitochondries à promouvoir les métastases. Ils ont réussi à démontrer que, dans certaines conditions, les mitochondries produisent davantage de radicaux libres appelés ions superoxyde (O2.-). C’est cette surproduction de superoxyde qui entraîne la formation de métastases et par conséquent la progression tumorale.
Ces recherches ont été menées dans la cadre de projets financés notamment grâce à une bourse européenne ERC Starting Grant que Pierre Sonveaux a obtenue en 2009 et grâce au soutien du F.R.S.-FNRS, du Télévie, et de la Fondation contre le Cancer, soit un montant d’1,5 million d’euros. La découverte d’un traitement capable de bloquer le mécanisme responsable de la formation des métastases et l’existence d’une famille de composés prometteurs encourage leur évaluation prochaine dans une étude clinique en vue de valider un traitement préventif contre les métastases tumorales.