Jusqu’où faut-il se mouiller pour soutenir la lutte contre une maladie ?
Le défi du seau d’eau glacée, geste de soutien envers les patients atteints de sclérose latérale amoyotrophique, est un buzz sans précédent. D’autres associations de patients expriment leur avis sur cette pratique.
Publié le 21-08-2014 à 14h09 - Mis à jour le 21-08-2014 à 14h11
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Le défi du seau d’eau glacée déversé sur la tête, un geste de soutien à l’association américaine ALS, qui lutte contre la sclérose latérale amyotrophique (SLA), une maladie neurodégénérative incurable, est un buzz à côté duquel nul n’a pu passer. A fortiori pas un spécialiste en éducation aux médias comme Thierry De Smedt, professeur à l’Ecole de communication à l’UCL. " Sans se prononcer sur le contenu, on se trouve dans une pratique qui est typiquement un produit de réseaux sociaux où des gens se renvoient une nouvelle idée originale , nous dit-il. C’est un geste symbolique qui se répand de façon un peu virale, dans ce cas-ci avec une connotation plutôt ‘générosité’. Du genre : je me mouille pour cette maladie. Ce qui va compter, c’est la vitesse à laquelle cela va se propager et le nombre de gens qui vont adhérer au mouvement en faisant la même chose. Ici, il y a non seulement l’engagement de quelqu’un pour une cause, mais on a en plus le symbole de quelqu’un qui se met en scène faisant quelque chose. Ce qui est aussi typique des réseaux sociaux puisque chacun se photographie, sortant de l’avion ou déguisé à une fête de famille. "
Quant à expliquer cet engouement universel et massif, " il est vrai que des tas de tentatives avortent. Le battement d’ailes d’un papillon peut provoquer un cyclone, mais ce n’est pas toujours le cas. Cela peut simplement être dû au fait que ce n’est pas le bon moment, fait remarquer le spécialiste. Le fait que quelques personnalités ‘bien placées’ aient réalisé le défi force d’autres à le faire; c’est le phénomène des enchères. "
Pourquoi des Bill Gates, Justin Bieber, Mark Zuckerberg ou encore Bart De Wever se sont-ils pris au jeu ? " Je pense qu’un certain profil de célébrités, mais pas tous, a comme caractéristique de leur personnage le fait d’être toujours là où ça bouge. Ce sont ceux-là qui vont relever le défi. Je pense que le dalaï-lama ne le fera probablement pas ." Quant à se prononcer sur la sincérité de leur acte et de leur mobilisation, " sans lire dans leurs pensées, je crois que ce n’est pas ça qui compte. S’ils étaient véritablement motivés par une cause, ou s’ils se sentaient vraiment concernés par la lutte qu’ils incarnent, ils s’y prendraient autrement, avec des moyens beaucoup plus efficaces. Je pense que ces personnes le font avec une vision qui est plus attentive au statut qu’ils vont avoir aux yeux du public en relevant ce défi qu’à l’avancée de la cause proprement dite."
Les associations généralement enthousiastes
Et que pense-t-on de cette action, du côté des associations de patients ? " C’est très amusant et ça semble efficace pour les ligues ALS partout dans le monde", nous répond Ingrid Jageneau, secrétaire de Debra Belgium ASBL, association d’entraide pour l’épidermolyse bulleuse, une maladie rare. "Mais j’ai quand même quelques réserves. Il est impossible pour des petites organisations de toujours être créatif et trouver de nouveaux défis. Et beaucoup de célébrités participent juste pour leur propre image de marque. Cela dit, c’est bien trouvé; impossible pour eux de ne pas participer ! Je me demande cependant si tout le monde paie vraiment. Je crains aussi qu’on évolue vers le système anglo-saxon où la ‘charité’ a tout à fait une autre place dans la société que chez nous. Et que celui qui crie le plus et trouve le plus de ressources gagne… Il faudra veiller à la solidarité et l’égalité (toutes les maladies !), assurer la survie de toutes les associations. […] Enfin, je me demande si c’est bien une tâche pour les organisations de patients de récolter des fonds pour la recherche. Personnellement. je préfère m’occuper de mes membres, qu’il s’agisse d’entraide, d’information, de soins spécialisés… "
A quand la mutilation en ligne pour capter l’attention ?
Pour Céline Danhier, directrice de SIDA’sos, qui sensibilise les jeunes aux IST, et qui, depuis 2012, organise un marathon coiffure "Hairdressers against AIDS" ainsi que, depuis 2011, un marché mode et solidaire "Les jeunes créateurs se mobilisent contre le Sida" , le défi lancé par ALS est "une façon très créative et plus qu’originale de faire connaître une maladie malheureusement peu connue, d’impliquer un maximum de personnes peu sensibilisées au départ et de toucher même des personnalités.
C’est un peu ce que nous faisons également à travers nos différents événements, comme ‘Sport Against AIDS’ où nous avons sensibilisé le monde sportif dont Anthony Van den Borre et Sacha Massot à la lutte contre le Sida ou encore Elvis Pompilio. Bravo donc ! "
Nettement moins enthousiaste, la présidente de la Ligue nationale Alzheimer Liga Sabine Henry préfère, en matière de récoltes de fonds, " justement un travail de fond qui finit par s’amplifier au fil des années plutôt qu’un feu de paille. Ce genre d’événement original attire tous les regards un moment mais l’attention peut aussi rapidement retomber. De plus, l’originalité de l’événement et son succès finissent parfois par éclipser la cause. C’est pourquoi il est important d’avoir une proximité entre la manifestation proposée et la cause défendue.
Il existe de nombreuses manières de collecter de l’argent pour une cause et il n’y a pas toujours besoin d’organiser de grandes choses. " Ainsi, sur le plan international, de nombreuses initiatives sont mises en place par les associations homologues comme la vente d’objets arborant le myosotis, symbole de l’association irlandaise, mais aussi des marches, marathons, etc., le tout dans le cadre plus particulier du mois mondial de lutte contre la maladie d’Alzheimer, en septembre.
Quant à Didier Vander Steichel, directeur médical et scientifique de la Fondation contre le cancer, il estime que " toute action de sensibilisation autour d’une maladie peu connue est en principe une bonne chose ". Mais il s’interroge aussi : " après s’être aspergé d’eau glacée, faudra-t-il s’autoflageller ou se mutiler en ligne pour capter l’attention de nos contemporains déjà saturés d’images et d’informations ? "
Phénomène
Le défi du seau d’eau glacée
Le défi. Le défi du seau d’eau glacée, ou "ALS Ice Bucket Challenge", est la dernière prouesse à réaliser pour une bonne cause, susciter les dons en faveur de l’association ALS, qui lutte contre la maladie de Charcot. Des dizaines de milliers de personnes, connues ou inconnues, se sont jeté depuis juillet et continuent à le faire, devant une caméra, un seau d’eau glacée sur la tête, en défiant d’autres de faire de même contre un don de 100 dollars. Toutes ces images circulent sur les réseaux sociaux.
La maladie. La maladie de Charcot - ou maladie de Lou Gehrig, ou sclérose latérale amyotrophique (SLA) - est une maladie neurodégénérative, qui détruit progressivement les cellules nerveuses contrôlant les muscles moteurs, engendrant affaiblissement et paralysie graduelle.
Le buzz. Selon Facebook, du 1er juin au 17 août, plus de 28 millions d’individus ont évoqué le défi " qui a touché à peu près tous les pays du monde ", et 2,4 millions de vidéos ont été postées.
Défi relevé par...
De Lady Gaga à Bart De Wever
De nombreuses vedettes du show-business n’ont pas hésité à se mouiller : Justin Bieber, Lady Gaga, Britney Spears, Justin Timberlake, Taylor Swift, James Franco, Ben Affleck, Lena Dunham, Oprah Winfrey, Robert Downey Jr, Jennifer Lopez ou Bon Jovi, entre autres.
Des politiques, des sportifs, des patrons s’y sont mis aussi : le gouverneur du New Jersey Chris Christie, la star du basket LeBron James, la directrice de Facebook Sheryl Sandberg ou le footballeur David Beckham, qui a défié Magic Johnson, Michael Jordan et Leonardo Di Caprio. Mais aussi le médiatique patron du groupe japonais de télécommunications SoftBank, Masayoshi Son, et le milliardaire M. Son.
Chez nous , le roi Philippe a été nominé et a réussi à participer sans se mouiller. Bart De Wever, lui, a convoqué les caméras pour se faire mouiller tout en gardant sa cravate.
QUELQUES CHIFFRES
22,9 millions de dollars pour la SLA.
Mardi, l’association ALS se félicitait de “ l’incroyable afflux de soutien ”, dont celui de Bart De Wever. A ce jour, 22,9 millions de dollars ont été collectés contre 1,9 en 2013 pour la même période, du 29/07 au 19/08.
30 000 € pour courir contre le cancer du sein
Organisée par l’association Think Pink de lutte contre le cancer du sein, Race for the Cure est une marche de 3 km ou une course de 6 km en vue de soutenir les victorieuses (anciennes ou actuelles patientes du cancer du sein).
15 000 € à la mer pour une maladie rare
Plus de 20 nageurs étaient présents le 5 janvier 2013 à la plage d’Ostende pour le traditionnel “plongeon” du Nouvel An, organisé par l’association Debra Belgium, d’entraide pour l’épidermolyse bulleuse.
8 500 € marathon coiffure contre le sida
En 2013, Sida’sos organisait un marathon coiffure pour récolter des fonds dans la lutte contre le sida. Des coiffeurs belges se relayaient de midi à minuit, à l’Académie L’Oréal à Bruxelles : 25 € la coupe.
9 027 731 € pour le Télévie
Depuis 27 ans, le Télévie récolte des fonds pour lutter contre le cancer et financer les recherches du Fonds national de la recherche scientifique belge. L’an dernier, il a rapporté 9 027 731 euros.
0 euro pour Ebola
Qui trouvera la bonne idée pour sensibiliser le grand public à soutenir la recherche en vue de combattre cette fièvre dévastatrice ?