Les animaux inégaux face à l'intelligence
Ce soir, le musée des Sciences naturelles sera ouvert pour faire découvrir sa nouvelle exposition "A vos cerveaux". Une plongée parmi les neurones de l'homme et ceux des autres animaux. Avec une question en filigrane, qu'est-ce que l'intelligence?
Publié le 02-10-2014 à 16h53
:focal(465x240:475x230)/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/CSROS7DHNFF6LCLUCKQCEILWAY.jpg)
Ce soir, le musée des Sciences naturelles sera ouvert pour faire découvrir sa nouvelle exposition "A vos cerveaux". Une plongée parmi les neurones de l'homme et ceux des autres animaux. Avec une question en filigranne, qu'est-ce que l'intelligence?

Centaines de neurones: le rotifère et ses réflexes
Le toucher, via par exemple les algues; une odeur, le rayonnement lumineux à travers l’eau : voici ce que le cerveau d’un rotifère peut percevoir. Ce minuscule organisme vivant, transparent, qui vit dans les flaques, est constitué de 1 000 cellules et de 200 neurones. "Plus l’animal sera riche en neurones, plus l’animal aura de possibilités, explique Cécile Gerin, ingénieur agronome et muséologue au musée des Sciences naturelles. Ici, l’animal va se comporter en termes de réflexes, par rapport à une odeur - il va fuir ou être attiré par elle… Il se dirigera de manière réflexe vers les zones de lumière, où il trouve sa nourriture, puisqu’il se nourrit de zoo- ou de phytoplancton."Dans ce "monde-réflexe", on trouve aussi l’escargot, qui lui est pourvu de quelques milliers de neurones (moins de 10 000). La lenteur dont on l’accuse (commande motrice…) est causée par son nombre limité de neurones.

Milliers de neurones: L’aplysie et son ébauche de mémoire
Ce mollusque dispose d’un peu plus de neurones que l’escargot, soit quelques milliers. La "limace de mer" vit aussi dans un monde-réflexe, mais possède une petite mémoire. "C’est l’ébauche d’une mémoire, elle arrive à apprendre de petites choses. En laboratoire, on arrive à la faire repasser à travers un parcours qu’elle a déjà vu", note Cécile Gerin, muséologue de l’expo "A vos cerveaux", au musée des Sciences naturelles. Ce monde-réflexe est incapable d’innover. Est-il forcément plus "bête" ? Cela dépend des critères d’intelligence, souligne l’éthologue Vinciane Despret (ULg). "Qu’est-ce que l’intelligence ? Si les critères sont la capacité de s’adapter à des situations nouvelles, à faire preuve d’abstraction… Ce sont des compétences qui sont les nôtres, et des critères qui vont forcément avantager l’homme ! Il faut garder cela en tête. Un extraterrestre qui débarquerait et utiliserait le langage de senteurs nous trouverait bien plus crétins que les fourmis."

Millions de neurones: la guêpe et son programme
Avec la guêpe, la mouche et le crapaud, on passe d’un monde-réflexe à un monde-programme. Ici, les neurones se comptent en centaines de milliers voire en millions (les scientifiques n’arrivent pas encore à compter avec précision les neurones dans le règne animal, et l’étude du cerveau en est encore de manière générale à ses débuts). "La guêpe applique son programme : elle ‘sait’ ce qu’elle doit faire. Lors de la construction du nid, par exemple, chaque guêpe participe à la construction des logettes de manière autonome. Elle est ‘conditionnée’ pour cela, programmée pour faire une tâche simple", précise Cécile Gerin. "Avec davantage de neurones, les animaux ont plus de capacités leur permettant de détecter et d’analyser les choses. Par exemple, le crapaud est doté d’une sorte de système d’analyse d’images dans le cerveau : il est capable de détecter les mouvements de ses proies, mais pas leur forme."

Milliards de neurones: le dauphin et l’apprentissage
Le cerveau du dauphin, lui, est doté de milliards de neurones. Il arrive à apprendre, par imitation et répétition. Exemple : les jeux avec un ballon dans les delphinariums en observant les "soigneurs" humains, mais aussi les leçons données par la mère, qui plaque le petit au fond de l’eau lorsqu’il se comporte mal. La seiche, elle aussi, est capable d’apprendre. Elle peut anticiper les mouvements de sa proie, en en ayant observé d’autres auparavant. Le babouin entre aussi dans cette catégorie. Cet apprentissage complexe nécessite une plasticité des connexions, et des milliards de ces connexions. "Un cerveau, c’est comme un ordinateur, note Jérôme Constant, entomologiste au musée des Sciences naturelles. Plus il y a de connexions entre les neurones, plus ça fonctionne vite. Et plus la réponse est rapide et adaptée." Le nombre de connexions entre les neurones est donc un facteur très important.

Milliards de neurones: la pieuvre et l’innovation
Les singes, en observant des scientifiques, se sont mis à laver les pommes de terre. Mais le singe n’apprend que par imitation. Les corbeaux et les pieuvres, eux, sont capables en outre de résoudre des problèmes inédits, et le garderont en mémoire. Sans qu’on leur ait montré une première fois. Exemple : en laboratoire, la pieuvre réussit à dévisser le bouchon d’un bocal contenant des proies. Le corbeau est capable d’utiliser un bâton pour ouvrir une porte, ou des tiges qu’il réaménage en crochet, en guise d’outil. "Sont-ils plus intelligents que les dauphins ? C’est dangereux de quantifier l’intellig ence, estime la scientifique Cécile Gerin. Disons que leur cerveau est structuré différemment. Chacun a sa spécificité (ainsi, un canari a dans son cerveau des zones consacrées à la reconnaissance du chant, NdlR). Chacun a ses avantages liés au potentiel de connexions. Mais on peut parler en termes de complexité des connexions."

Milliards de neurones: l’homme et le souci de l’avenir
Une particularité du cerveau de l’homme : une vision des couleurs très raffinée et une lente maturation. "Mais on peut se demander quelles différences il y a entre la pieuvre et nous, dit Cécile Gerin. Nous sommes un animal mais un peu différent ! Les stimulus de notre environnement sont beaucoup plus riches et permettent de développer beaucoup de connexions. Et on a le langage, la culture, l’éducation… Par ailleurs, les autres animaux sont dans l’instant présent." Si certains animaux peuvent anticiper l’événement (séismes…) l’homme se préoccupe de l’avenir. Et si l’animal a le sens de l’esthétique (chant, nids…) ou de (l’in) justice (démontré chez les chiens qui jouent entre eux), l’homme lui créera des œuvres, et réfléchit à des règles morales. "Du moins certains !" nuance l’éthologue Vinciane Despret qui refuse de mettre tous les animaux dans un sac. Des différences existent : entre les hommes, entre l’homme et chaque espèce animale et entre les espèces. Le cochon est plus proche de l’homme qu’il ne l’est des abeilles…
Pas si bêtes…
A vos cerveaux. Ce jeudi 2 octobre, de 17 à 22 h, le musée des Sciences naturelles s’ouvrira pour une nocturne afin de faire découvrir sa nouvelle exposition consacrée au cerveau. "A vos cerveaux" s’adresse aux plus de dix ans et permet, via des jeux interactifs ou des vidéos, de décoder notre cerveau, de le tester, de découvrir comment il nous trompe, mais aussi de voyager dans la boîte crânienne d’autres animaux. Pas si bêtes, la seiche, le poulpe ou le canari ! Et le corbeau pourrait bien être l’animal le plus intelligent… Après l’homme ? Une question philosophique qui est aussi abordée indirectement dans l’exposition. So. De.
Lors de la nocturne, l’exposition temporaire du "art&marges musée" sera également accessible. Il s’agit d’œuvres artistiques réalisées par des personnes souffrant d’un handicap mental ou de troubles psychologiques, et inspirées par le cerveau. Rue Vautier, 29 à 1000 Bruxelles. Infos complémentaires : www.sciencesnaturelles.be