Le GPS intérieur qui nous fait retrouver notre maison
Le Prix Nobel de médecine prime les travaux de trois neuroscientifiques. Ils ont découvert comment notre cerveau nous aide à nous positionner dans l’espace. Il a une sorte de GPS interne, pourvu de cellules spéciales qui collectent les infos, et doté de multiples fonctionnalités.
Publié le 06-10-2014 à 20h24 - Mis à jour le 07-10-2014 à 17h08
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Le prix Nobel de médecine 2014 a récompensé lundi un Américano-Britannique, John O’Keefe, et un couple de Norvégiens, May-Britt et Edvard Moser, pour leur recherches sur le "GPS interne" du cerveau. Le jury a indiqué avoir couronné M. O’Keefe d’un côté, et le couple Moser de l’autre, "pour leurs découvertes de cellules qui constituent un système de positionnement" . Le pionnier est M. O’Keefe, né en 1939, chercheur à l’Institut de neuroscience cognitive de l’University College de Londres (UCL).
En 2005, ces recherches étaient complétées par M. et Mme Moser, nés respectivement en 1962 et 1963, chercheurs à l’Université de Trondheim. Les recherches sur le GPS interne ont commencé sur les rats. Mais des investigations récentes à l’aide de la neuroimagerie et des études sur des patients ayant subi des opérations de neurochirurgie ont mis en évidence que les cellules de placement, découvertes par O’Keefe, et les cellules de grilles, découvertes par les Moser, existent aussi chez les humains, explique le comité Nobel. May-Britt Moser est la onzième femme à recevoir le prix de médecine depuis sa création en 1901. Les Moser sont le cinquième couple à recevoir un Nobel. Ils n’étaient pas ensemble pour apprendre la nouvelle puisque Edvard Moser prenait l’avion, et n’avait pas encore atterri. "Je suis toujours sous le choc, c’est tellement fantastique ! ", a déclaré sa femme.
Maladie d’Alzheimer
Le couple norvégien obtient avec le prix Nobel la moitié des 881 000 euros associés au prix, et M. O’Keefe l’autre moitié. Au nivau thérapeutique, ces recherches - le thème fait toujours l’objet de nombreuses publications - pourraient aider à mieux comprendre les processus derrière les maladies d’Alzheimer, en particulier la perte de mémoire spatiale qui affecte souvent ces malades. Cela pourrait aussi aider à étudier d’autres processus cognitifs comme la mémoire, la pensée ou la planification. Le prix de médecine est le premier de la saison des Nobel 2014. Il doit être suivi de ceux de physique ce mardi, de chimie mercredi, de littérature jeudi, de la paix vendredi et d’économie lundi. (D’après Belga)
Ils ont découvert notre GPS interne
Comment savons-nous où nous sommes ? Comment réussissons-nous à trouver le chemin d’un lieu à un autre ? Et comment stockons-nous cette information ? C’est en découvrant notre "GPS interne" que les lauréats du Nobel ont permis de répondre à ces questions.
1. Le lieu où trouver notre GPS. Notre GPS interne se trouve dans notre cerveau. Plus précisément dans l’hippocampe et ses environs. Une région extrêmement fragile où se déclarent souvent les premiers symptômes de la maladie d’Alzheimer. Dans l’hippocampe du rat, en enregistrant ses neurones de façon isolée, John O’Keefe a découvert des neurones qui réagissaient lorsque le rat était dans une position donnée dans sa cage, mais pas dans une autre position. A un endroit de la cage, le neurone s’activait mais pas dans un autre. "C’était le début des recherches sur les cellules de placement , note le neuroscientifique Guy Chéron (ULB). Dans la vie de tous les jours, cela signifie que lorsque vous vous levez le matin, quand vous êtes dans votre salle de bain, vous avez des cellules qui s’activent, puis lorsque vous arrivez dans la chambre, ce sont des autres, et encore des autres pour la salle à manger. On pourrait dire que chaque endroit ‘code’ pour des cellules qui s’activeront."
2. Les informations collectées dans notre GPS . Outre ces cellules de placements, qui sont le "cœur" du GPS, d’autres informations y sont intégrées, afin de le faire fonctionner. Les Moser ont ainsi découvert les "cellules de grilles" qui se trouvent elles dans le cortex entorhinal, à l’entrée de l’hippocampe. "Les informations des cellules de placement sont construites à partir de celles des cellules de grille, qui font un travail extraordinaire en quadrillant littéralement notre environnement en hexagone" , note Guy Chéron. Imaginons-nous être le centre d’un hexagone tout en nous déplaçant : à chaque coin de l’hexagone, la cellule augmentera son intensité d’activation (sa fréquence de décharge pour être précis). D’autres informations sont importantes pour créer ce GPS : les cellules d’orientation de la tête (si on regarde en haut, en bas) qui alimenteront les cellules de placement. Même chose pour les cellules visuelles. Ainsi que les cellules de locomotion et de la marche. Celles-ci mesurent la vitesse de déplacement, afin d’aider le cerveau à déterminer sa position. "On active d’autant mieux nos cellules de placement si l’on est actif. Dans une voiture, si on est passager, les cellules de placement marchent moins bien que si on est actif." Il est en effet plus difficile de retrouver un chemin si on l’a déjà fait uniquement comme passager…
3. Les fonctionnalités de notre GPS . Il sert à nous positionner. " A reconnaître quand on rentre dans notre bureau, qu’il est bien notre bureau, que notre rue est bien notre rue, notre maison, notre maison. Un malade d’Alzheimer peut ne plus y arriver. Si nous n’avons pas besoin d’un ‘vrai’ GPS quand nous sortons de chez nous, c’est bien parce que nous avons ces cellules-là. En absence de cellule de placement et de grilles, nous serions complètement perdus. C’est une mémoire active de ‘où nous sommes’. Sans ça, on ne peut pas mener une vie correcte." Mais ce GPS ne marche pas seulement pour les endroits où on a déjà été. "C’est un système extrêmement souple, avec probablement des catégories d’endroits. Si on va dans un lieu pour la première fois, les cellules ne savent pas le reconnaître mais on va tomber dans des catégories : y a-t-il des bords, est-ce désertique… ? Des cellules de grilles vont alors apparaître, et seront rapportées à d’autres endroits visités. Si vous avez été au Louvre et que vous allez au Bozar, on rentrera probablement dans les catégories des ‘place-cells’ de musée !" La mémoire joue un rôle dans ce GPS. "Souvent, lorsqu’on fait une erreur dans un itinéraire, on refera la même lorsqu’on repassera !" Et comme le cerveau est aussi une structure prédictive, il peut nous guider. Si l’on décide de se rendre au restau, une série de "place-cells" déterminera la trajectoire. Mentalement, on s’imaginera le trajet.
4. La spécificité de notre GPS . "La grande différence avec le vrai GPS, qui reçoit les infos des satellites, c’est que, chez nous, ce n’est pas un système qui tombe du ciel. C’est la nature même des neurones qui élabore cette construction. C’est un tissu organisé qui porte l’info et qui génère la connaissance." Et cela montre aussi - vaste question philosophique - que c’est le cerveau qui construit notre réalité extérieure…