Et vous, où préférez-vous accoucher?
Mercredi matin, à Bruxelles, était lancée la campagne de sensibilisation à la mortalité maternelle de l’ONG Memisa. En reconstituant deux salles d’accouchement, l’organisation montre les disparités entre le Nord et le Sud. Chaque année, un million d’enfants perdent leur mère suite à la grossesse ou à l’accouchement. Reportage.
Publié le 08-10-2014 à 20h56 - Mis à jour le 09-10-2014 à 22h46
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Mercredi matin, à Bruxelles, était lancée la campagne de sensibilisation à la mortalité maternelle de l’ONG Memisa. En reconstituant deux salles d’accouchement, l’organisation montre les disparités entre le Nord et le Sud. Chaque année, un million d’enfants perdent leur mère suite à la grossesse ou à l’accouchement.
"Nous avons manqué de matériel médical stérile, de sang..."
Prostré sur sa chaise, Ben, Africain bon teint, enveloppe précieusement de ses bras un nouveau-né. Une poupée, en réalité. Sur une table, sont posées une bassine rouge et une cruche jaune en plastique. Par terre, une casserole fait mine de chauffer sur des morceaux de bois. Plus loin, un pèse-bébé d’un autre temps. Pour donner un peu de chaleur au décor, quelques bouts de tissus colorés, façon boubous africains, tapissent le fond de la tente. Et au milieu du décor, lui aussi comme sorti d’une époque révolue, une table d’accouchement en fer, peinte en blanc. Rudimentaire. Mais surtout, vide.
La mère du bébé ? Elle est décédée, en couches.
Ben n’est pas le père du nourrisson. Il est l’infirmier qui "malgré toute sa bonne volonté et ses compétences" , nous assure-t-il, n’a pas réussi à sauver la mère. "Les microbes volaient dans l’air. Nous avons manqué de matériel stérile, de médicaments, de sang pour lui faire une transfusion…"
Il est à fond dans son rôle, l’espace de quelques heures sous cette tente blanche plantée face à la gare Centrale de Bruxelles. Lui, le Togolais qui est né dans ces circonstances, nous dit-il. Il joue le jeu - si l’on peut dire - et nous aussi. Quel est le prénom du bébé ? "On le lui donnera dans une semaine. C’est comme ça, en Afrique. Quand une mère meurt en couches, on donne un nom particulier à l’enfant : Espérance, Dieu est grand, ou Lumière qui se dit Kekeli (NdlR : chez lui). Parce que, dans toute la tristesse de l’événement, l’enfant a survécu. Il apporte l’espoir, la lumière." Le petit orphelin sera replacé dans la famille, nous précise-t-il, si le père ne peut pas s’en occuper.
Curieux, criant et cruel contraste
Dans la tente d’à côté, sous un drap plus blanc que blanc, couché sur un lit médical high-tech, il y a une mère, Blanche quant à elle, souriante, comblée, qui serre dans ses bras un bébé en bonne santé, dont le petit lit garni de peluches nous apprend que la poupée se prénomme Lise. Guirlandes colorées, ballons roses signalant qu’"It’s a girl"… Tout est là pour accueillir le nouveau-né. Et surtout, une infirmière et deux médecins. Equipés jusqu’aux dents.
Contraste à la fois criant et cruel de ces deux mises en scène, installées pour quelques heures, mercredi à l’aube, devant la gare Centrale à Bruxelles. Les navetteurs sont interpellés et les représentants de l’ONG Memisa (voir par ailleurs) en profitent pour leur tendre un feuillet. C’est ainsi qu’a été lancée sous le slogan "Maman, tu me manques", la campagne annuelle de sensibilisation à la mortalité maternelle.
"Où préférez-vous accoucher ?", leur est-il alors simplement demandé. Pour marquer leur préférence, les passants sont invités à épingler un carton sur un panneau divisé en deux colonnes, dont l’une se remplit à vue d’œil alors que l’autre reste désespérément vide, ou presque. C’est flagrant, on préfère un accouchement peut-être trop médicalisé à celui qui se fait sur une table rouillée, à la lueur d’une lampe à pétrole.
Ce sont des morts évitables. C’est inacceptable
C’est ainsi que l’ONG a voulu illustrer ces deux réalités, de façon un peu caricaturale, concède-t-elle. Quoique. "C’est comme ça , intervient Ben, qui est installé depuis vingt-deux ans en Belgique. Là-bas, il faut survivre. Ici, il faut vivre."
"En Afrique, les femmes enceintes ont un pied dans la tombe , renchérit la marraine de Memisa, Lieve Blancquaert, photographe, journaliste et réalisatrice d’émissions de télévision, célèbre en Flandre. Elles doivent bien souvent accoucher sans l’aide d’un médecin, dans l’obscurité, sans eau potable. Ce sont des morts évitables. C’est inacceptable." Surtout quand on sait qu’un don de 40 € (le prix d’une césarienne) peut sauver la vie d’une mère , alors que 25 € représentent des consultations prénatales pour cinq femmes; 142 €, le prix du matériel médical pour une maternité et 805 €, celui d’une table d’accouchement. Dans les zones de santé où Memisa est active en RD du Congo, les accouchements assistés par un professionnel sont passés de 71 % en 1978 à 79 % en 2013. On estime que, chaque jour, dans le monde, en moyenne 800 femmes - dont 99 % dans les pays en développement - meurent en couches ou pendant leur grossesse, suite à des complications.
L’ONG Memisa travaille à améliorer les soins de santé de base
"La grossesse ne doit pas finir en drame familial", clame Elies Van Belle, conseillère médicale et coordinatrice du service projets chez Memisa, ONG médicale spécialisée dans le domaine des soins de santé primaires. "L’assistance médicale fait alors la différence entre la vie et la mort. Les femmes enceintes ne sont pas malades; elles veulent juste donner la vie. Les décès liés à la grossesse et à l’accouchement sont souvent évitables. Ces morts sont inacceptables."
Manque de structures et d’équipement médical, de médicaments, de personnel soignant, de transports pour les cas d’urgence… sont autant de facteurs qui rendent la grossesse et l’accouchement nettement plus risqués dans bon nombre de régions d’Afrique.
En tant qu’organisation de coopération médicale, Memisa travaille à améliorer les soins de santé de base. Dans les pays du sud, cette ONG équipe les centres de santé et les hôpitaux de matériel médical de base, de tables d’accouchement, de panneaux solaires pour l’éclairage de nuit… Elle fournit également des médicaments essentiels et soutient, de manière permanente, la formation des infirmiers/infirmières et des sages-femmes, via une supervision régulière dans les centres de santé et les hôpitaux. Pour mener à bien ses projets, l’organisation travaille toujours en collaboration avec les médecins et les infirmiers locaux de même qu’avec la population, via des comités de santé.
Les hôpitaux belges solidaires
Memisa veille à favoriser les consultations prénatales afin que les futures mamans soient préparées au mieux à leur grossesse et à leur accouchement. La participation à la rénovation d’anciennes maternités et à la construction de nouvelles fait aussi partie des actions de Memisa.
En Belgique et plus globalement en Europe, l’ONG tente de sensibiliser la population et les responsables politiques à cette grande disparité entre les soins de santé des pays du nord et ceux du sud. Plus de 150 maternités, sages-femmes et maisons médicales en Belgique ont accepté de diffuser la campagne de sensibilisation, dans le cadre du projet "Hôpital pour hôpital".
-> Plus d’infos : www.memisa.be/mortalitematernelle