Après le cancer, on croit que c’est "Champagne !"
L’annonce du diagnostic et les traitements ne sont pas forcément les périodes les plus difficiles à vivre. Le contrecoup, qui peut survenir après la maladie, doit aussi être bien géré. L’entourage aurait parfois tendance à l’oublier.
- Publié le 15-10-2014 à 19h44
- Mis à jour le 15-10-2014 à 21h16
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L’annonce du diagnostic et les traitements ne sont pas forcément les périodes les plus difficiles à vivre. Le contrecoup, qui peut survenir après la maladie, doit aussi être bien géré. L’entourage aurait parfois tendance à l’oublier.
Et c’est alors que le psychisme reprend plus de place
P our beaucoup, lorsq ue les traitements anti-cancéreux s’arrêtent et que les cheveux repoussent, c’est ‘Champagne, tout va bien !’ Or, pour la patiente, souvent, cela ne va pas du tout ", nous dit Françoise Daune, psychothérapeute psychanalytique, spécialisée en oncologie. Depuis 15 ans, elle travaille à l’Institut Bordet à Bruxelles, dans la prise en charge de patients atteints de cancer, et plus particulièrement de cancer du sein.
" Pour nous, psy, il y a différents temps dans la maladie : il y a l’annonce du diagnostic, le traitement et un moment très important qui est l’après-traitement. Ce moment où l’on annonce à la patiente qu’elle va continuer seule. Ce sont des moments de grandes angoisses pour certaines femmes, qui ont l’impression d’être lâchées alors qu’elles avaient un suivi très intense jusque-là. Devoir continuer ‘seule’, sans traitement, c’est aussi craindre que la maladie revienne. Car même si les traitements peuvent être lourds, au moins, ils protègent. Ne plus avoir de traitement peut donc angoisser ."
Ensuite, viennent les hormonothérapies. " Il ne s’agit pas que d’un petit comprimé à prendre par jour. Il y a des effets très importants. Comme la ménopause induite, notamment chez des femmes jeunes, qui ne se retrouvent plus dans leur corps, qui ne le reconnaissent plus. Il y a déjà eu les interventions, la perte des cheveux… tout cela vient perturber leur image. En plus, il peut y avoir la survenue d’une stérilité, même provisoire.
La famille ne réalise pas toujours très bien l’impact de ces traitements. Alors que la chimiothérapie entraîne la perte des cheveux, la ménopause ou la fatigue qui peuvent découler de l’hormonothérapie ne sont pas aussi visibles pour l’entourage. Mais bien vécus par la patiente. "
Un lieu où déposer ses souffrances, sa tristesse…
" Ce n’est bien souvent qu’une fois les traitements terminés que les patientes se demandent : mais qu’est-ce qui m’est arrivé ? C’est souvent dans cet après-coup que le psychisme reprend beaucoup plus de place, à un moment où l’on met un peu le corps de côté, parce qu’il y a moins de soins à donner, de traitements à suivre… "
Comment fait-on pour continuer seule, retrouver ses repères physiques alors que, quelque part, un corps a trahi ? Comment fait-on tout simplement pour vivre sachant qu’il y a eu tout cela ?
Le cancer du sein est parfois un moment où les patientes vont formuler une demande de suivi à un psychologue ou un psychothérapeute. Certaines vont parler à leur compagnon, la famille, l’entourage, le médecin traitant, dans des groupes, rencontrer d’autres femmes… D’autres encore vont s’en sortir toutes seules. " Certaines peuvent aussi donner l’impression qu’elles s’en sortent seules et puis, parfois des mois voire une année plus tard, elles s’effondrent psychiquement, note la psychothérapeute. Ici, chez un psy, c’est un lieu où elles peuvent venir déposer leurs souffrances, leur tristesse, leurs angoisses, leurs questionnements, le stress du retour au travail… C’est aussi parler de la mort, parfois, un sujet qu’elles n’osent pas forcément aborder avec leur conjoint ou les enfants, par peur de les effrayer. Nous faisons des suivis plus ou moins longs en fonction de la demande, en fonction de la détresse ".
Cette période "après-traitement" peut-elle s’avérer plus difficile à vivre pour certaines femmes que le moment de l’annonce ou celui du traitement ? " Plus ou moins, je ne sais pas, mais c’est différent et cela surprend , nous dit Françoise Daune. Elles peuvent avoir un moment de repli sur elles-mêmes. Un sentiment de ne pas être comprises. Alors que l’entourage se montre compréhensif quand il y a des effets physiques, somatiques ; dès qu’il n’y en a plus, les gens oublient ou pensent que tout va bien. Or, ce n’est pas forcément le cas. Il peut alors y avoir un moment de rupture de communication avec cet entourage.
L’après-maladie est aussi parfois le moment de faire le point avec soi-même ; de se replier un peu sur soi pour repartir vers les autres ensuite".
Pour Caro, un regard compatissant, oui, mais pas trop…
A 48 ans, Caroline, qui ne fume pas, ne boit pas, fait du sport, n’a pas d’antécédent familial de cancer… apprend qu’il va falloir lui retirer le sein droit. C’était en juin 2012.
La culpabilité . " Ce qui est terrible, quand on vous annonce ce diagnostic, c’est que l’on n’ose pas en parler à ses enfants. On pense que l’on est fautif. J’ai un père médecin sénologue. Je faisais des contrôles réguliers. Je menais une vie saine. Pas un jour de congé maladie. Quand on m’a annoncé le diagnostic, j’ai dit : ‘C’est une erreur. Il y a une autre Caroline D. ?’ J’étais dans le déni complet. Après, on passe par toutes les phases… "
Les psychologues . " Avant l’intervention, on m’a demandé si je voulais voir une psy. J’ai répondu que tout allait bien, que j’avais toute ma tête. On me l’a fortement conseillé. Je me suis dit : ‘Sois un peu humble et accepte d’aller voir quelqu’un’. Il faut reconnaître qu’il y a une équipe formidable à Saint-Luc. Une personne m’a ainsi suivie pendant deux ans, deux fois par semaine. On m’a expliqué, notamment, comment annoncer la nouvelle à mes enfants ."
Physiquement. " Quand on me voit, rien n’y paraît. C’est comme un immeuble nickel de l’extérieur qui serait ravagé à l’intérieur. C’est ça qui est dur. Les gens ne peuvent pas mesurer notre détresse. Dans la vie intime, c’est très difficile ; c’est une véritable mutilation, qui vous déstabilise quand vous vous regardez dans le miroir. Il faut du temps pour affronter cela ."
Reconstruction. "A près la reconstruction physique, il y a une phase de reconstruction psychologique. La psychologue a fait en sorte que je sois déculpabilisée, que je retrouve une certaine image de moi-même ."
Le contrecoup. " Oui, je l’ai eu parce que, pendant ces deux années, j’ai été sous les feux de la rampe. J’ai été très soutenue. Puis, une fois que l’on voit que vous allez mieux, la vie reprend le dessus, les gens ont oublié. Je me dis : c’est sympa, ils n’en parlent pas. D’un autre côté, cela me vexe. On ne veut pas être plainte ; on veut un regard compatissant, mais pas trop. Pas de pitié, surtout. C’est très complexe comme sentiment ."
Pour Véro, l’essentiel : bien s’entourer et avoir des projets
n cancer du sein en 2006 puis une récidive en 2013 : à 51 ans, Véronique voit la vie autrement.
L’entourage positif. S’était-elle dit, à la fin du traitement, le pire est derrière moi ? " Non, je me suis dit : la vie continue. Et je vais m’entourer de gens qui sont positifs ; essayer de faire de ma vie des expériences positives. Si le traitement s’est arrêté, il reste la famille et les amis qui étaient et sont toujours là. Pour moi, c’est une continuité. Je n’ai pas été exclue de la vie ; j’y suis restée avec cet espoir que je continue à vivre et que j’allais me battre. Il y a un instinct de survie et l’on cherche à être entouré de gens qui vous apportent certaines choses ."
L’après-cancer. " Ce que j’ai beaucoup aimé dans mon ‘après-cancer’, c’est que cette histoire m’a fait rencontrer des gens qui avaient partagé les mêmes choses que moi et qui donc me comprenaient mieux. C’est essentiel. A ce propos, le programme Raviva est fantastique. En marchant, on cultive à la fois son corps et son esprit. On avance. Cela dit, entre nous, on essaie d’éviter de parler du cancer. Je préfère parler de projets positifs ."
Une femme normale. " J’aime que l’on me considère comme une femme normale, pas comme une malade. J’ai horreur du mot ‘cancéreux’. Je ne veux pas de pathos. "
Les psychologues. " Oui, j’ai été en voir quelques fois, mais la psychologie, c’est un temps. Ce n’est pas ça, la vraie vie. La vraie vie, elle est avec les gens qui vous entourent. Ma psychothérapie, cela a été de m’entourer de gens positifs qui cherchent le bonheur. C’est aussi la marche nordique, mes séances d’aquagym… "
Le traitement hormonal . " Il faut être honnête : cela entraîne une forte fatigue et cela renforce la sensibilité, je pense ."
L’essentiel dans son combat. " Sentir que le corps médical nous entoure et nous soutient est crucial ."
Son deuxième cancer . Véronique estime l’avoir vécu " beaucoup mieux que le premier alors qu’il était pourtant bien plus grave. Sentir ici aussi que mon entourage croyait en ma guérison était très important pour moi ; cela m’a aidée à me battre . S’entourer des bonnes personnes est fondamental "
A savoir
Octobre rose. Chaque année, le mois d’octobre est, dans tous les pays, un mois consacré à la sensibilisation au cancer du sein.
En Belgique. Chaque jour, 26 femmes apprennent qu’elles sont atteintes d’un cancer du sein.
Reconstruction. Avec le soutien de la Fondation contre le cancer, la Société royale belge de chirurgie plastique, reconstructrice et esthétique a lancé la 3e édition belge du "Breast Reconstruction Awareness Day" : 34 hôpitaux et cliniques du pays proposent durant toute cette semaine des sessions d’information sur la reconstruction mammaire. Rens. : www.rbsps.org