Voyagez dans un trou de ver, comme si vous y étiez
Le film "Interstellar", qui sort en salles ce mercredi, envoie des astronautes sur de lointaines planètes, via un "trou de ver". Une sorte de raccourci dans l’espace, dont l’existence est une hypothèse issue des calculs d’Einstein.
- Publié le 05-11-2014 à 05h38
- Mis à jour le 02-12-2014 à 20h53
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Dans le film "Interstellar", des astronautes partent à la recherche de planètes ultra-lointaines. Un voyage rendu possible par la découverte d’un trou de ver, un "tunnel" qui constitue une sorte de raccourci dans l’Univers. A quoi ressemblerait un trajet dans un tel trou de ver ? Voici la réponse.
L’arrivée
Perdue dans le noir piqueté d’étoiles de l’Univers, une immense bulle brille devant vos yeux. Dans votre vaisseau, vous êtes les premiers dans l’humanité à vous apprêter à franchir un trou de ver. Voici que se présente à votre équipage comme une sorte de région sphérique dans laquelle on pourrait entrer de toutes les directions de l’espace. Pas de membrane pour cette étrange sphère, comparable à une sorte de fenêtre vers une autre région de l’Univers. Depuis Einstein et sa relativité générale, l’existence des trous de ver est une hypothèse, qui pousse la théorie de la relativité dans ses limites. C’est en quelque sorte une prédiction, ou une conséquence des équations du génial physicien, même si on n’en a jamais eu d’indications expérimentales, encore moins de preuves théoriques solides.
Jusqu’ici, très peu de physiciens auraient parié sur leur existence, mais vous, vous venez de trouver l’un de ces fameux trous de ver. Un trou de ver est en fait une perturbation de l’espace-temps. Si cet espace-temps était un tissu élastique, tendu, y mettre de la matière et de l’énergie - poser une boule dessus, par exemple - créerait une dépression, une courbure de l’espace et du temps. Si la densité de matière augmente, le tissu se creuse davantage. Et si cette densité augmente vraiment trop, le tissu se trouera carrément ! Le trou peut ne mener nulle part : c’est le trou noir. Le trou de ver est lui aussi un trou dans l’espace-temps, dans ce tissu élastique, mais qui conduit à un autre endroit de l’espace.
L’entrée
Surprenant : à l’approche du trou de ver, vous remarquez que les rayons lumineux qui passent à proximité suivent des trajectoires courbes. L’espace et temps sont fortement courbés aux alentours d’un trou de ver, et la lumière suit cette courbure de l’espace-temps. Et devant vos yeux, des images sont dédoublées, d’autres déformées… Ces effets visuels curieux sont une série de "mirages gravitationnels", qui déforment l’aspect de l’Univers tout autour du trou de ver et qui agissent comme une lentille un peu bizarre.
Ça y est, vous avez pénétré dans le trou devant vous : l’entrée du trou de ver, qu’on appelle "la bouche". Dans votre vaisseau, vous êtes secoués comme dans un shaker. C’est le moment de faire face aux effets de marées, présents dans les trous de vers. Il est à espérer que ces effets soient suffisamment faibles, sans quoi votre voyage pourrait s’arrêter ici. Définitivement.
Les effets de marées apparaissent lorsque la gravité varie très rapidement sur de courtes distances. Des parties du corps peuvent alors subir des forces différentes, certaines être comprimées, d’autres étirées. Cela existe aussi sur Terre, entre notre tête et nos pieds, mais à très faibles doses ! Il faut ici que le trou de ver soit assez grand pour que les forces de marées ne gênent pas trop les voyageurs. Et même si votre vaisseau était bâti pour résister aux effets de marées intenses, les hommes à l’intérieur, eux, y succomberaient. Autre inconvénient : d’après les équations, dès que le trou de ver se forme, il n’a qu’une seule envie, s’effondrer sur lui-même. Il doit être stabilisé. Il a donc fallu introduire à l’intérieur du trou de ver de la matière appelée "exotique". Une matière dotée d’une masse négative. En 2014, les physiciens n’ont encore aucune indication qu’une telle matière existe, en tout cas au niveau macroscopique…
A l’intérieur
Hors du vaisseau, sur les côtés, c’est un kaléidoscope d’images et de lumière. Des impressions se superposent, des images se dédoublent. Ici, apparaît la nébuleuse jaunâtre d’une galaxie, en double. Dans cette "gorge" - le "centre" du trou de ver - par laquelle les deux bouches du trou de ver se connectent, vous apercevez à la fois la partie de l’Univers en aval du trou de ver, et la partie de l’Univers en amont.
Tout cela se chevauche, dans un maelström d’images. En fait, vous êtes en train d’expérimenter une géométrie spatio-temporelle inédite : l’espace sur les "côtés" à l’intérieur du trou de ver n’a pas de paroi. Si vous faites marche arrière, vous ressortirez du trou de ver, mais si vous faites tourner votre vaisseau à angle droit dans n’importe quelle direction, vous voyageriez jusqu’à revenir à votre point de départ… Etrange… Et quasi inaccessible à une visualisation par l’esprit humain, seulement accessible via les équations mathématiques.
La sortie
Cette "fenêtre sphérique" sur un autre endroit de l’Univers, voilà que vous venez de la franchir. A priori, pour vous, rien n’a changé. Le temps ne s’est pas écoulé différemment. Vous voilà à nouveau face à une calme immensité noire parsemée d’étoiles, mais à un autre endroit de l’Univers. En quelques heures, vous avez franchi une porte de communication entre deux points très distants dans l’espace. Très éloignés dans l’espace "normal", ces deux points à travers le trou de ver, dans la gorge, sont devenus voisins. Comme si l’espace-temps avait été plié tel une feuille de papier, les deux pans se trouvant collés l’un à l’autre en un point. Un très pratique raccourci ! Car les voyages interstellaires étaient jusqu’ici impossibles. Les distances entre les étoiles sont gigantesques et se mesurent en dizaines, centaines, voire milliers d’années-lumière. Or, rien a priori ne peut voyager plus vite que la lumière dans l’Univers. Les étoiles se trouvent donc à des dizaines ou des milliers d’années de voyage.
Grâce à votre équipage, il n’y a donc pas eu besoin de développer des vaisseaux qui iraient presque aussi vite que la lumière - irréalisable en 2014 - et qui même à cette vitesse auraient garanti des voyages très longs. Il vous reste à présent à trouver cette "exoplanète" habitable - c’est-à-dire une planète semblable à la Terre, mais hors de notre système solaire - parmi celles que les astrophysiciens repèrent depuis des années au télescope. Les critères : une planète d’une taille ni trop petite, ni trop grosse, avec une masse comparable à la terre, située à la bonne distance de son étoile (son propre soleil) afin d’avoir une bonne température et de l’eau liquide. Bonne chance…
Un beau jouet de cinéaste… et de physicien
Possibilité. Le film "Interstellar", qui sort aujourd’hui en salles (lire "La Libre Culture"), emmène un groupe d’explorateurs à la recherche de planètes habitables au fin fond de l’Univers. Ce qui rend ce voyage possible, c’est l’existence, près de Saturne, d’un trou de ver. Une sorte de fenêtre sphérique qui permet de raccourcir les distances entre deux points très éloignés de l’espace. Le physicien Kip Thorne, spécialiste mondial de la gravité, a conseillé le réalisateur, Christopher Nolan, dans le traitement des questions d’astrophysique. Soyons réalistes, pratiquement, il y a très peu de chances que ces trous de vers existent. Même si rien, dans la physique actuelle, ne nous interdit de rêver. "La théorie de la relativité d’Einstein, très bien vérifiée expérimentalement, n’interdit pas explicitement l’existence des trous de vers" , précise le physicien Claude Semay (Université de Mons). "Cela arrive comme une solution possible des équations d’Albert Einstein, comme une possibilité." Un trou de ver serait donc, dans l’Univers, un trou dans une surface à quatre dimensions (trois d’espace et une de temps), qui vous conduit d’un endroit à un autre endroit, mais en dehors de l’espace-temps "normal". Créés de manière naturelle au moment du Big Bang, ils sont susceptibles de se trouver à n’importe quel endroit de l’Univers.
Conditions pratiques. Cela dit , "les conditions physiques qui permettraient l’existence réelle de ces trous de ver ne semblent pas pouvoir être réunies dans notre Univers. On ignore par exemple si, en pratique, l’Univers serait capable de supporter cette sorte de "tunnel" dans sa structure. Il y a aussi le fait que les calculs montrent que les trous de ver ont tendance à s’effondrer sur eux-mêmes, et qu’il faut une masse négative pour les stabiliser" , continue Claude Semay, chargé de cours à l’UMons. C’est une "belle solution théorique" , mais qui pratiquement pourrait se révéler inatteignable physiquement. "Mais les physiciens ne ferment pas complètement la porte à cela, car la nature nous a déjà réservé de belles surprises. Cela permettrait de voyager dans l’espace et d’atteindre les étoiles dans des délais très courts."
Bon test. Et cela constitue un beau jouet théorique pour tester les théories de l’espace et du temps. "Les scientifiques n’étudient pas les trous de vers réellement dans l’espoir que cela puisse exister, ou d’en fabriquer (ce qui n’est vraiment pas à notre portée, il faudrait manipuler l’espace-temps), mais pour mieux comprendre les théories qui nous permettent de décrire l’espace et le temps. On pousse les théories dans leurs limites de validité, et en s’aventurant dans des domaines un peu extrêmes, on espère trouver des informations nouvelles sur ce que peut être la nature profonde de l’espace et du temps."
Merci à Claude Semay, chargé de cours à l’UMons, pour ses explications.