Qui l'emportera contre Ebola?
Dans le courant du mois de décembre, trois essais cliniques seront menés dans 3 centres de traitement de Médecins sans frontières. L'Institut de médecine tropicale d'Anvers y participera. Rencontre avec le Dr Bertrand Draguez (MSF Belgique), qui y voit "une étape clé dans l'épidémie".
Publié le 13-11-2014 à 20h11 - Mis à jour le 17-11-2014 à 14h43
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Dans le courant du mois de décembre, trois essais cliniques seront menés dans 3 centres de traitement de Médecins sans frontières. L'Institut de médecine tropicale d'Anvers y participera.
L’Institut de médecine tropicale mènera l’un des trois essais cliniques
Le moment attendu par beaucoup depuis le début de l’épidémie d’Ebola qui sévit en Afrique de l’Ouest semble enfin venu avec l’annonce, jeudi, par Médecins sans frontières (MSF) du lancement, courant décembre prochain, de trois essais cliniques dans autant de ses centres de traitement de l’organisation humanitaire. Faute de traitement spécifique contre la maladie qui a déjà tué plus de 5 000 personnes, trois études distinctes seront en effet menées par trois différents partenaires de recherche, afin d’identifier aussi vite que possible un traitement efficace. Les premiers résultats de ces études pourraient être disponibles en février 2015.
1. Où, quoi et par qui ? A Guéckédou, en Guinée, l’Institut national (français) de la santé et de la recherche médicale (Inserm) mènera une étude clinique sur l’antiviral favipiravir. Dans un site qui reste encore à déterminer, l’université d’Oxford conduira quant à elle, au nom du Consortium international des infections respiratoires aiguës sévères et émergentes (Isaric), une étude clinique, financée par le Wellcome Trust, sur l’antiviral brincidifovir. Les deux médicaments en question ont été sélectionnés dans la liste des traitements potentiels contre Ebola retenus par l’OMS, après un examen attentif des profils d’innocuité et d’efficacité, de la disponibilité des produits, et de la facilité d’administration aux patients. Enfin, l’Institut de médecine tropicale d’Anvers (IMT) effectuera une étude sur le traitement par plasma ou sang total convalescent dans le centre Ebola de Donka, à Conakry en Guinée. Cette approche a également été mise en avant par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) qui, avec les autorités sanitaires des pays affectés, participe à cet effort collectif.
2. Comment, concrètement ? "Les protocoles de ces essais sont en phase finale de développement et ont été conçus avec un objectif simple de survie à 14 jours et avec de larges critères d’inclusion , précise-t-on chez MSF. Ils s’attelleront à perturber le moins possible les soins aux patients, à respecter les normes éthiques et de bonne pratique médicale internationales, et à faire en sorte que les données scientifiques soient solides et partagées en tant que bien commun. Les principes essentiels et les méthodologies ont été partagés avec les autorités éthiques des pays respectifs ."
3. Quelle est la particularité de l’essai mené par l’IMT ? L’essai clinique sur le traitement par sang total ou plasma convalescent consistera à administrer du sang ou du plasma contenant des anticorps de survivants aux patients infectés. " Le plasma convalescent de patients guéris, qui contient des anticorps contre un agent pathogène, a déjà été utilisé en toute sécurité pour d’autres maladies infectieuses , explique Johan van Griensven, coordinateur de la recherche menée par l’IMT. Nous voulons savoir s’il fonctionne pour l’Ebola, s’il est sûr et s’il serait possible d’élargir son utilisation pour réduire le nombre de décès dans l’épidémie actuelle. Une bonne communication avec les personnes ayant survécu à Ebola, et avec toute la communauté, est cruciale pour le succès de cet essai. Nous espérons que le don de sang par les survivants pour aider les malades aidera à réduire la peur et la stigmatisation auxquels les personnes guéries font face."
4. Quels risques pour les patients ? " Les risques que comporte l’administration d’un nouveau traitement seront expliqués clairement à chaque patient qui consentira à faire partie de l’essai ", assure MSF. " Nous devons garder en mémoire qu’il n’existe pas de garantie que ces thérapies soient des traitements miracles , ajoute le Dr Annick Antierens de MSF. Mais nous devons faire tout ce qui est en notre pouvoir pour essayer les produits disponibles aujourd’hui afin d’augmenter les chances de trouver un traitement efficace contre Ebola ."
5. Et ensuite ? De nouveaux essais dans d’autres centres de prise en charge pourront être envisagés lorsque de nouveaux produits expérimentaux ou d’autres médicaments prometteurs et sûrs seront disponibles. Alors que les essais cliniques sont en cours, MSF demande aussi à ce que les fabricants de médicaments produisent des produits finis abordables et disponibles dans des quantités suffisantes pour lutter contre l’épidémie.
"Il s’agit d’une étape clé dans l’épidémie"
Directeur médical auprès de MSF Belgique, le Dr Bertrand Draguez estime que le lancement de ces trois essais cliniques constitue une étape clé dans l’épidémie d’Ebola.
En quoi cette initiative est-elle vraiment particulière ?
En tant que médecins, nous pensons qu’il n’est pas acceptable, au XXIe siècle, de ne pas disposer de traitement pour des maladies infectieuses comme Ebola. Pour cette raison, nous nous sommes lancés dans ce partenariat assez exceptionnel. Il est en effet très rare de voir ainsi rassemblés plusieurs centres de recherche, gouvernements, consortiums qui travaillent de manière collégiale pour arriver à démontrer l’efficacité et la tolérance de certains produits. Il s’agit donc bien d’une étape clé qui devrait nous permettre de savoir quel traitement sera le plus efficace.
Ce ne sera cependant pas pour tout de suite ?
Non, en effet, le travail est encore assez long, même si les premiers résultats pourraient être attendus pour février. D’autres produits, qui pourraient avoir un plus haut potentiel bénéfique en termes de traitement, doivent en effet encore être testés. Par ailleurs, on réfléchit aussi à l’hypothèse de combiner ces traitements.
Quels sont les espoirs que l’on peut raisonnablement attendre de ces essais ?
C’est extrêmement difficile à dire. Il faut bien se rendre compte qu’à l’heure actuelle, on ne parle pas de médicaments mais de produits expérimentaux qui ont été testés sur des souris et des singes et qui ont été donnés de manière parcimonieuse à certains patients transférés aux Etats-Unis et en Europe. Aujourd’hui, on ne peut pas dire si ces produits auront une efficacité. Nous avons juste quelques informations qui nous laissent croire qu’il y aurait un potentiel thérapeutique bénéfique. Seuls les résultats des études nous diront si oui ou non ces molécules étaient le bon choix.
Subsiste-t-il des risques pour les patients ?
Nous avons fait le choix de prendre avant tout des médicaments disponibles et qui, chez le singe, avaient donné une tolérance correcte, c’est-à-dire pas d’effets secondaires. Ce qui ne signifie pas qu’il n’y en aura pas chez l’être humain. Cela dit, qu’il s’agisse de l’un des deux médicaments à prendre par voie orale ou de la transfusion, il est très important de laisser au patient le choix de prendre ou non ces traitements, en connaissance de cause. Nous avons des critères d’inclusion extrêmement larges pour que les personnes puissent ou non accepter d’être enrôlées dans l’étude. Celles menées avec les traitements oraux devraient inclure environ une centaine de patients chacune.