Nouveau coin de voile levé sur le cancer
Des chercheurs de l’Université libre de Bruxelles ont découvert un nouveau mécanisme moléculaire impliqué à la fois dans l’initiation tumorale, la croissance des tumeurs et leur progression dans le cancer de la peau. Explications.
Publié le 09-01-2015 à 15h05
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La publication, jeudi, en couverture (s’il vous plaît !) de la revue scientifique "Cell Stem Cell" d’une étude de chercheurs de l’Université libre de Bruxelles laisse penser que la découverte en question n’est pas anodine. Ce qui a valu l’honneur de la Une aux scientifiques belges est le fait d’avoir démontré l’importance du facteur de transcription Twist1 dans l’initiation, la croissance et la progression des cancers cutanés dans le carcinome spinocellulaire de la peau. Ce qui vaut bien quelques explications, délivrées par celui qui a dirigé l’équipe, le Pr Cédric Blanpain, professeur et investigateur du WELBIO au sein de l’Institut interdisciplinaire en recherche humaine et moléculaire (IRIBHM, Faculté de Médecine, ULB).
Le contexte
S’il fallait résumer en quelques mots l’histoire naturelle d’une tumeur, on pourrait dire qu’au départ, il y a l’initiation tumorale, la tumeur acquérant par la suite des propriétés malignes pour ensuite évoluer et éventuellement former des métastases. Les cellules souches cancéreuses constituent une population de cellules cancéreuses, décrites dans de nombreux cancers incluant les carcinomes spinocellulaires de la peau, qui sont à la base de la croissance tumorale et pourraient résister au traitement expliquant la récidive de certains cancers après thérapie. Cependant, les mécanismes régulant l’initiation tumorale et les cellules souches cancéreuses dans ces tumeurs restent fort mal compris.
L’objet de l’étude
Dans cette étude, Benjamin Beck, premier auteur, et ses collègues ont utilisé des modèles de souris génétiquement modifiées pour disséquer le rôle et les mécanismes moléculaires par lesquels Twist1 contrôle l’initiation et la progression des cancers de la peau.
Ce que l’on savait déjà
Avant la découverte des chercheurs de l’ULB, on savait, depuis 2004, que le gène Twist1 jouait un rôle très important dans l’acquisition du caractère malin et la formation des métastases. Jusque-là, on pensait, d’une part, que pour être une cellule souche cancéreuse, il fallait que ce gène Twist1 soit exprimé et, d’autre part, que cela se déroule dans les stades extrêmement tardifs de la cancérogenèse.
Ce qu’a démontré l’équipe de l’ULB
L’équipe sous la direction du Pr Blanpain a découvert - avec surprise - que ce gène que l’on pensait n’agir que dans stades très tardifs joue en réalité un rôle essentiel aux stades les plus initiaux de la tumorigénèse. Les chercheurs ont montré que la même protéine, importante à la fois pour les stades initiaux et tardifs, agit par des mécanismes différents à chacun des stades. "Nous avons pu disséquer les différentes propriétés qu’a ce gène dans la cancérisation, a expliqué le scientifique. Nous avons pu démontrer que différents niveaux de Twist1 sont nécessaires à l’initiation et à la progression tumorale. Des niveaux faibles de Twist1 sont requis pour l’initiation tumorale tandis que des niveaux plus élevés sont nécessaires à la progression tumorale. Nous avons aussi découvert que Twist1 est essentiel à la maintenance des tumeurs et à la régulation des fonctions des cellules souches cancéreuses."
Les retombées thérapeutiques
Un gène comme Twist1 est un facteur de transcription, ce qui signifie qu’il régule l’expression d’autres gènes. Or, on sait depuis longtemps qu’il est très difficile de développer des médicaments contre des facteurs de transcription. Aussi, l’équipe de l’ULB s’est-elle posé la question de savoir quels sont les gènes régulés par ce facteur de transcription. "Nous avons compris comment ce facteur de transcription agit, nous dit encore le Pr Blanpain. En ayant identifié les gènes régulés par ce facteur de transcription, nous pouvons à présent cibler son action en ciblant les gènes cibles. Nous en avons trouvé deux, connus pour être essentiels à la cancérisation. Et pour lesquels on pourrait développer plus facilement des médicaments. En résumé, comprendre d’une manière précise comment ce facteur agit permet d’identifier de nouvelles cibles pharmacologiques potentiellement "inhibables" par des médicaments."
Les étapes suivantes de la recherche
Cela consisterait à voir si les gènes qui ont été identifiés comme étant contrôlés par Twist1 peuvent récapituler l’effet de Twist. En d’autres mots, lorsque l’on enlève ces gènes-là, est-ce comme si l’on retirait Twist1, essentiel à la formation et à la progression des cancers ? Par ailleurs, pourrait-on utiliser des petites molécules développées par l’industrie pharmaceutique pour inhiber la fonction de ces protéines qui agissent en aval de Twist1 et voir si le blocage de ces gènes-là permet d’avoir un effet thérapeutique important à la fois sur l’initiation et la progression du cancer ?
Les implications à terme
On sait que, plus un cancer exprime de Twist1, plus il est "méchant". On pourrait voir si, chez les patients atteints de différents cancers, les mêmes gènes, qui sont régulés dans le cancer étudié par l’équipe de l’ULB, en l’occurrence le carcinome spinocellulaire, sont aussi régulés par Twist1 dans d’autres cancers.
Au-delà des cancers cutanés
Si l’étude porte sur le carcinome spinocellulaire, c’est parce que l’on utilise le cancer de la peau comme modèle, comme un "tube à essai" pour pouvoir étudier des questions de cancérologie générale. Mais ce qui est particulièrement intéressant est le fait que Twist1 semble exprimé dans un très grand nombre de cancers différents. Mais quel que soit le type de cancer, plus il exprime Twist1, plus il semble agressif, c’est une constante.
Le cancer de la peau au centre des recherches
Très intéressant à étudier. Le cancer de la peau fait l’objet de très nombreuses recherches. Pourquoi ? "Parce que l’on s’est rendu compte que le cancer de la peau était de plus en plus, au niveau de la recherche fondamentale, un des cancers extrêmement intéressant à étudier pour plusieurs raisons, nous dit le Pr Cédric Blanpain. D’une part, parce que les modèles génétiques pour le cancer cutané sont très bien développés. On connaît bien les gènes qui sont mutés pour engendrer un cancer de la peau. D’autre part, ce sont des cancers extrêmement fréquents. Et l’incidence ne fera qu’augmenter dans les années à venir."
Il existe trois grandes catégories de cancer de la peau . Les carcinomes basocelullaires sont de loin les plus fréquents chez l’homme. Le plus souvent, ils évoluent lentement et sont rarement métastatiques. On dispose d’un médicament qui s’avère extrêmement efficace contre ces cancers. Les carcinomes spinocellulaires sont le deuxième cancer de la peau le plus fréquent avec plus d’un demi-million de nouveaux patients affectés chaque année dans le monde. Enfin, il y a les mélanomes, qui sont moins fréquents mais beaucoup plus méchants. Pour ceux-là, l’immunothérapie a fait des progrès considérables. L’un des traitements est à base de molécules qui stimulent le système immunitaire. "On peut avoir là des effets prodigieux, nous affirme Cédric Blanpain. Des patients que l’on pensait perdus par le passé, se trouvent en rémission complète. Cette molécule d’immunothérapie a d’ailleurs été décrétée molécule de l’année par le magazine "Science", l’an dernier."