Cancer du sein et choix douloureux
Savoir - ou pas ? - que l’on a une prédisposition à un cancer du sein ? Opter - ou non ? - pour une ablation des deux seins à titre préventif ? Ce sont là des décisions fort difficiles et très personnelles à prendre. Deux rapports du KCE se sont penchés sur les tests et les liens génétiques.
Publié le 12-01-2015 à 23h01 - Mis à jour le 13-01-2015 à 15h06
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En médiatisant son histoire personnelle de prédisposition familiale à un cancer du sein et des ovaires ainsi que, dans la foulée, son choix de subir une ablation des deux seins à titre préventif, la star américaine Angelina Jolie aurait touché plus de femmes que n’importe quelle campagne de sensibilisation. C’est en tout cas ce qu’affirme le Centre fédéral d’expertise des soins de santé (KCE), qui publie ce mardi deux rapports sur les liens entre gènes et cancer du sein. (Voir par ailleurs)
" Le nombre de femmes alarmées venant consulter les services de génétique a soudainement augmenté de façon exponentielle , selon le KCE. Cette vague d’inquiétude aura certainement permis de sauver nombre d’entre elles, qui auraient sans cela continué à ignorer qu’elles étaient exposées à un risque plus élevé de cancer du sein, mais aura également permis de rassurer les autres, chez qui une prédisposition génétique aura pu être exclue ."
Si certains services de génétique ont peut-être été fort sollicités en ce sens, dans sa pratique clinique au Service de chirurgie mammaire et pelvienne à l’Institut Bordet à Bruxelles, le Dr Filip De Neubourg, gynécologue oncologue, n’a pas véritablement observé cet "effet Angelina Jolie".
Comment cela se passe-t-il au niveau de votre pratique clinique ?
Nous avons bien sûr un certain nombre de patientes qui sont suivies pour une mutation des gènes BRCA1 ou 2 (NdlR : comme c’est le cas de l’actrice américaine). Mais jusqu’ici, après avoir été informées par nos équipes médicales des différentes attitudes ou possibilités, elles ne sont qu’une minorité (certainement moins de 10 %) à opter pour une mastectomie bilatérale prophylactique (ou ablation des deux seins à titre préventif).
Quels sont les risques de développer un cancer du sein pour les personnes porteuses de ces mutations génétiques ?
Ce risque peut aller jusqu’à 80 %, selon la mutation. Si la patiente estime que le fait d’avoir cette épée de Damoclès au-dessus de la tête est trop pesant, elle optera pour l’ablation préventive.
Mais certaines femmes tiennent par-dessus tout à conserver leur poitrine…
Oui, il ne faut pas croire que la reconstruction est une opération facile et rapide. Parfois, cela nécessite plusieurs étapes.
Quelle est votre attitude, à l’Institut Bordet, face à cette situation ?
Nous informons au maximum la patiente, sur l’intervention, les suites, les risques divers et l’alternative. Après, cela reste un choix individuel et très personnel. Nous n’allons pas les pousser dans l’un ou l’autre sens. Une fois que le choix est fait en connaissance de cause, nous le respectons.
Quelle est précisément l’alternative à la mastectomie prophylactique ?
Cela consiste en un suivi régulier, tous les six mois avec un examen clinique, une mammographie et une résonance magnétique alternée de six mois. Tout cela dans le but, le cas échéant, de découvrir un cancer du sein à un stade précoce. De cette façon, on peut envisager un traitement conservateur, en l’occurrence une chirurgie avec conservation du sein.
Quel est le risque de récidive après cette intervention ?
Il reste élevé, que ce soit dans le sein opéré ou dans l’autre sein, c’est pourquoi la patiente doit continuer cette surveillance régulière. La plupart de nos patientes ont été prises en charge de cette façon et notre attitude n’a pas changé depuis la nouvelle de l’intervention d’Angelina Jolie. Peut-être a-t-on davantage pris conscience de l’existence d’une mutation ou d’un facteur héréditaire, mais ce n’est pas pour autant que nous voyons plus de femmes qui optent pour une mastectomie bilatérale prophylactique.
Et quels sont les risques qui subsistent après un geste bilatéral prophylactique ?
Ils sont fort réduits mais pas nuls pour autant car, malgré les différentes techniques disponibles, il y a toujours une partie de la glande mammaire qui reste en place. La patiente doit donc toujours continuer à être suivie.
Les risques de développer d’autres cancers sont-ils augmentés chez ces patients ?
Il y a effectivement un lien avec le cancer des ovaires. Le risque pour le BRCA1 va jusque 50 % et pour BRCA2, il est de l’ordre de 25 %. Cela, sachant que le risque moyen est de 2 %. Vu le risque élevé (de 25 à 50 %) de ces patientes, il est conseillé de réaliser une annexectomie prophylactique, c’est-à-dire une intervention chirurgicale qui consiste à retirer les trompes de Fallope et les ovaires. Si la femme a eu ses enfants, il est préférable d’intervenir entre 35 et 40 ans au plus tard, car c’est à cet âge que l’incidence de cancers de l’ovaire commence à augmenter.
Danger du test "do it yourself"
Petit à petit, les liens, que l’on sait déjà très étroits, entre génétique et cancer se précisent. Qu’il s’agisse de prédispositions héréditaires d’une personne à certains cancers ou de la possibilité d’identifier des mutations génétiques caractéristiques des cellules tumorales elles-mêmes, grâce à des tests dits "de profilage moléculaire". Pas encore proposés en routine, ils permettent de prédire avec plus ou moins de précision quel sera le risque de métastase ou de récidive de la tumeur.
C’est sur ces deux aspects et dans le cadre du cancer du sein, que le Centre fédéral d’expertise des soins de santé (KCE) publie, ce mardi, deux études. Portant sur les tests génétiques de prédisposition familiale, la première propose des recommandations de pratique clinique alors que la seconde aborde notamment le rapport coût-efficacité des tests moléculaires. (*)
S’adresser à l’un des 8 centres de génétique belges
S’il nous est ici impossible de détailler toutes les recommandations, le principal message que le KCE souhaite diffuser auprès du grand public est : " Les femmes qui éprouvent des inquiétudes à ce sujet ne doivent pas hésiter à s’adresser à des professionnels de la prise en charge du cancer du sein, comme il s’en trouve dans les nombreuses cliniques du sein que compte notre pays. Chacune d’entre elles a en effet des accords de collaboration avec l’un des 8 centres de génétique belges. Lesquels proposent, en plus d’un test génétique, l’accompagnement psychologique nécessaire pour toute la famille ."
Par rapport aux tests génétiques qui tendent à se démocratiser, le KCE souhaite aussi mettre en garde contre la vente sur Internet par des sociétés privées de tests "do it yourself" dont les résultats sont communiqués par simple e-mail. Pour connaître sa prédisposition au cancer, il est vivement conseillé de s’adresser à l’un de ces 8 centres de génétique belges.
L. D.
(*) Pour accéder aux études : www.kce.fgov.be