Ces médicaments qui nous déglinguent
Pris à doses élevées et de façon prolongée, certains médicaments accroîtraient le risque de démence. Des traitements courants, contre les allergies, la dépression, l'hypertension, les troubles du sommeil ou l'incontinence urinaire sont notamment concernés. Analyse et entretien.
Publié le 28-01-2015 à 15h59 - Mis à jour le 28-01-2015 à 18h59
Pour la première fois, une étude menée auprès de quelque 3 500 personnes âgées de 65 ans et plus, a montré un lien entre la prise de doses élevées pendant une période prolongée de médicaments anticholinergiques et l’accroissement du risque de démence. Publiés lundi, dans le Journal of the american medical association ,Internal medicine , ces travaux suggèrent en outre que ce risque pourrait persister et être irréversible.
Ce qui se cache sous ce nom a priori un peu barbare d’anticholinergiques ? Des médicaments aussi courants que des antihistaminiques, des hypotenseurs, des somnifères, des antidépresseurs, ou encore des traitements contre l’incontinence, certains de ces médicaments étant vendus sans ordonnance.
Ainsi l’étude a-t-elle démontré que les patients prenant par exemple au moins 10 mg/jour de doxépine, un antidépresseur, 4 mg/jour du somnifère diphénhydramine ou 5 mg/jour d’oxybutynine, contre l’incontinence urinaire, pendant plus de trois ans couraient un risque nettement plus élevé de souffrir de démence. Pour le groupe étudié, 23 % avaient développé une démence.
Le point commun entre tous ces médicaments est qu’ils contiennent une substance, appelée anticholinergique, qui trouble la communication entre les neurones et perturbe la mémoire, l’apprentissage et l’activité musculaire.
A vérifier à l’autopsie
"Les médecins traitants devraient régulièrement vérifier les médicaments pris par leurs patients, y compris ceux vendus sans ordonnance, pour voir comment les remplacer tout au moins en partie par des traitements sans anticholinergique", souligne le Dr Shelly Gray, de l’Université de Washington à Seattle, le principal auteur de cette étude financée par l’Institut national américain de la santé .
Des alternatives sans anticholinergique existent parfois, comme l’antidépresseur Prozac et le somnifère Celexa, cités par ce médecin, qui recommande à ses confrères, lorsqu’il n’y a pas d’autre choix, de prescrire la dose la plus faible possible qui est efficace et de surveiller régulièrement les patients.
Pour savoir s’il existe vraiment un mécanisme biologique expliquant les résultats de l’étude, il faudra cependant attendre les résultats des analyses de cerveaux autopsiés, certains des participants à la recherche ayant accepté l’autopsie après leur décès.
Les anticholinergiques sont très nocifs pour la mémoire
Neurologue à l’hôpital Erasme, le Dr Jean-Christophe Bier qualifie cette étude d’intéressante.
Que savait-on jusqu’ici des effets secondaires des médicaments anticholinergiques incriminés ici ?
On sait de longue date que les médicaments anticholinergiques ont un effet de type "démentifiant". Les médicaments administrés dans la maladie d’Alzheimer sont d’ailleurs des cholinergiques, qui augmentent précisément l’acétylcholine dans la tête, en l’occurrence un neurotransmetteur crucial pour l’encodage de l’information. Aller à l’encontre de l’action de ce neurotransmetteur diminue donc les capacités de mémoire. Lorsqu’un patient prend ces médicaments, on peut en effet s’attendre à une augmentation des problèmes de confusion et de mémorisation. L’effet de l’anticholinergique est très rapide et s’accumule à mesure que l’on en prend. Chez une personne âgée, qui commence à un peu perdre la tête, une des premières questions à se poser est : prend-il des médicaments anticholinergiques susceptibles d’accentuer ce phénomène ?
Par rapport à ces effets connus, en quoi cette étude apporte-t-elle un élément nouveau ?
Ces chercheurs semblent associer le fait d’avoir pris de tels médicaments à fortes doses durant un certain temps et le risque accru de développer par la suite un syndrome démentiel. L’élément neuf mis en évidence par cette étude est qu’il pourrait s’agir d’un facteur de risque supplémentaire.
Cela dit, d’une part, on ne peut pas pour autant attester d’un lien de causalité de l’un avec l’autre. En d’autres mots, ce n’est pas parce qu’il y a une corrélation entre les deux, que la cause est la prise de médicaments. En effet, si l’on prend des médicaments anticholinergiques, c’est qu’il y a une raison et, même si au moment où l’on les prend, on n’est pas dément, c’est peut-être qu’on a les premiers signes d’un problème qui s’installe. Et ce n’est peut-être pas le fait de les prendre qui induit la démence. D’autre part, même si ces personnes deviennent démentes alors qu’elles ont pris des médicaments anticholinergiques, rien ne permet d’affirmer, sur base des propos de ces chercheurs, que c’est un Alzheimer, car ils ne disposent pas encore des analyses anatomopathologiques sur les cerveaux.
Que faut-il dès lors retenir ?
Il faut savoir que bon nombre de médicaments ont des effets anticholinergiques et ceux-ci sont particulièrement nocifs pour les capacités de mémoire.
Comment savoir si les médicaments que l’on prend ont ces effets secondaires ?
En général, ces médicaments donnent la bouche sèche et/ou une tendance à la constipation, par exemple. On en trouve dans certains antihistaminiques, somnifères, antidépresseurs, hypotenseurs… La liste est très longue. Il y a en réalité deux types d’effets anticholinergiques. D’une part, les effets voulus : il s’agit de médicaments dont la fonction est d’avoir un effet anticholinergique. Par exemple, un médicament qui aide à retenir les urines. D’autre part, il y a des médicaments qui agissent sur autre chose mais qui ont comme effet secondaire d’être anticholinergique.
A ce jour, que sait-on des causes avérées de démence ?
Cela reste très compliqué. Il n’y a pas 36 000 causes certaines. On peut en revanche parler de facteurs de risque, le premier reconnu dans la maladie d’Alzheimer étant l’âge. Les coups reçus sur la tête en sont un autre.
Les pathologies vasculaires et leur cause également, qu’il s’agisse d’hypertension, de diabète, d’hypercholestérolémie, du tabagisme… Pour les très rares formes héréditaires de la maladie, il y a évidemment le facteur génétique.
Existe-t-il des moyens pour prévenir la maladie ou limiter les risques ?
Pour toute lésion au cerveau, le fait d’avoir une activité cérébrale mais aussi motrice augmente la réserve cognitive, que ce soit lire, jouer aux échecs, marcher… A lésion équivalente, la personne aura moins de symptômes. Cela est vrai pour Alzheimer, comme pour un AVC ou une tumeur au cerveau. Stimulé, le cerveau résiste mieux aux lésions.
Une autre réalité qui a été prouvée est le fait que plus on a un niveau d’instruction élevé, plus tardivement on présente les symptômes de la maladie d’Alzheimer.
Quant à l’alimentation, il semble bien que les Oméga 3 ou certains antioxydants ont un effet bénéfique, mais cela reste à démontrer avec certitude.