Les grands défis de l’épidémie de cancer
Pour gagner la bataille, il faudra réunir les forces et rationaliser les soins. A la tête de l’Organisation européenne des institutions du cancer, il y a une Belge. Le Dr de Valeriola, médecin oncologue, est aussi directeur médical à Bordet. Entretien.
Publié le 04-02-2015 à 14h36 - Mis à jour le 04-02-2015 à 14h44
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Dans notre supplément paru lundi dernier, à l’occasion du centenaire de "La Libre", à la question "Quel article aimeriez-vous lire dans nos colonnes ?", le Pr Martine Piccart, chef du service de médecine à l’Institut Jules Bordet, avait répondu : "Comment nos pays de l’Union européenne vont-ils se préparer pour l’épidémie de cancer du XXIe siècle ?" Une question que nous avons posée, parmi d’autres, en cette journée mondiale de lutte contre le cancer, au Dr Dominique de Valeriola, médecin oncologue dans la même institution et tout récemment nommée à la présidence de l’OECI (Organisation of European Cancer Institutes), qui regroupe 70 centres de lutte contre le cancer en Europe (Portrait en page 2).
Votre nouvelle fonction vous voit confrontée à ce défi…
En effet, dans le cadre de ma présidence de l’Organisation européenne des institutions du cancer, nos objectifs sont de travailler ensemble à augmenter la qualité de la prise en charge et à essayer de diminuer les inégalités qui persistent entre les patients des différents pays européens. Que ce soit au niveau de l’accès aux traitements ou à certaines technologies. L’OECI essaie de réduire ces disparités, grâce à une bonne communication entre les centres et à la mise en place de processus de qualité, par la formation de personnel, le développement et l’intégration de la recherche dans les soins aux patients. L’OECI essaie de plus en plus de mettre en place des réseaux d’hôpitaux généraux à travers l’Europe ainsi qu’entre les centres de lutte contre le cancer. Une des clés pour essayer de mobiliser nos ressources vers l’essentiel est sûrement de rationaliser en partie les soins et de centraliser des technologies extrêmement coûteuses et des expertises très pointues dans certains centres. En veillant bien à ce que les soins de base restent proches des patients. Mais les gouvernements ont, eux aussi, des choses à faire...
Sommes-nous prêts à affronter cette épidémie, en bonne voie, ou faut-il la craindre ?
Il faut en tout cas redouter une chose : c’est que nous sommes au-devant d’une évolution considérable de l’efficacité de certains traitements. Et pouvoir les offrir à tous les patients risque de nécessiter des ressources considérables. Il faudra donc cibler le mieux possible les patients qui vont bénéficier au maximum de ces nouveaux traitements.
Une mission de l’OECI est de garantir la qualité des soins oncologiques multidisciplinaires…
On sait en effet qu’il est important dans la prise en charge des patients cancéreux que le processus de décision soit fait de manière multidisciplinaire avec des médecins de différentes spécialités qui se concertent pour définir le meilleur traitement pour un patient donné. Il va falloir intégrer, dans ce processus décisionnel, en plus des cliniciens, radiologues, nucléaristes… aussi les anatomopathologistes et les experts en biologie moléculaire. Outre la multidisciplinarité, qui est une garantie de qualité, l’intégration de la recherche aux soins est aussi extrêmement importante pour que les découvertes soient rapidement mises à disposition des patients.
Un autre défi de l’OECI est la mise en évidence de critères de qualité pour les centres…
En effet, ces critères doivent être objectifs et non biaisés. Le but, il est vrai ambitieux, est de parvenir à certifier 70 % des centres de cancer européens d’ici 2017.
A l’heure actuelle, quels sont les principaux points faibles à améliorer, les priorités ?
Je dirais qu’un des grands défis reste de voir comment réaliser dans le futur la prise en charge des tumeurs rares et des traitements complexes, pour lesquels les inégalités sont encore plus flagrantes. Je pense aussi qu’il faut vraiment arrêter de vouloir tout faire partout. Nous n’avons pas ce luxe, ni en termes de moyens ni en termes d’expertise. Il y a là un échelonnement qui devrait être bien réfléchi, une collaboration qui devrait exister dans le cadre de réseaux.
Un autre problème important est la problématique du coût des nouveaux médicaments...
C’est exact. Il faut que l’Europe se penche sur cette problématique et parvienne à rendre les choses plus claires et mieux distribuées. Il n’est quand même pas logique que l’on puisse obtenir certains médicaments pour certaines indications dans certains pays et pas chez les voisins, avec les mêmes critères de remboursement.
Quel message voudriez-vous faire passer à l’occasion de la Journée mondiale de lutte contre le cancer , ce mercredi ?
Je pense que s’il y a encore énormément de choses à faire, les progrès déjà réalisés sont aussi énormes. C’est en collaborant entre nous, les professionnels, le terrain, mais aussi avec les patients, qui doivent être au centre des débats, que nous arriverons à mettre ensemble toutes les pièces du puzzle.
Quelle est la chose qui vous motive le plus dans votre pratique clinique ?
C’est certainement le fait d’accompagner les patients à travers leur périple. Ce sont des traitements lourds et il est vrai que parvenir à les aider à traverser cette épreuve et à trouver le meilleur chemin pour y arriver est certainement ce qu’il y a de plus motivant.

Une tumorothèque virtuelle
Dans les biobanques, des collections d’échantillons de tissus tumoraux
Fondée en 1955 à l’initiative du Cancer Research Institute de Vienne, l’OECI réunit 70 centres du cancer à travers l’Europe. Parmi les projets majeurs du mandat 2015-2017, confié au Dr Dominique de Valeriola, il y a l’accréditation et la certification OECI des centres du cancer européen, mais aussi la promotion des nouveaux développements dans le domaine des biobanques et des laboratoires de pathologie moléculaire afin d’améliorer les soins aux patients mais aussi la recherche translationnelle. "La pathologie moléculaire est une discipline de pointe qui révolutionne actuellement les traitements des patients atteints d’un cancer, explique le Dr de Valeriola. Elle se consacre à l’analyse des marqueurs génétiques (ADN, ARN) ou des marqueurs protéiques caractéristiques d’une situation pathologique donnée afin de l’identifier, de prévoir son évolution, d’évaluer et de prédire la réaction au traitement, ou encore d’évaluer la prédisposition d’un sujet au cancer. La pathologie moléculaire permet le développement d’une médecine personnalisée selon les facteurs spécifiques de chaque patient. Il est dès lors primordial de la promouvoir."
Les biobanques sont des banques de tissus tumoraux. "Il s’agit de résidus de tumeurs qui sont conservés dans des biobanques et qui sont évidemment une source extraordinaire en termes de recherche, de développement de nouveaux médicaments et de nouvelles techniques, nous explique encore le Dr Dominique de Valeriola. Si beaucoup d’initiatives de ce type ont été mises en place, il est aussi important de pouvoir rationaliser la manière dont on va utiliser ces échantillons et promouvoir au mieux leur utilisation à l’échelon européen. Sans les gaspiller pour des études qui ne seraient pas intéressantes. C’est là toute la difficulté. Des réflexions sont également en cours pour voir comment standardiser la conservation de ces échantillons."
En Belgique , il existe plusieurs biobanques qui ont été financées à travers le Plan national Cancer, dans plusieurs hôpitaux qui possédaient déjà un nombre important d’échantillons. À l’échelon du Registre national du cancer, il y a un enregistrement de tous les échantillons disponibles dans les différentes banques de tumeurs. En questionnant le Registre, ou disons cette tumorothèque virtuelle, un chercheur peut savoir où trouver des échantillons de tel ou tel type de cancer pour mener une étude spécifique. Si l’on ne conserve pas toutes les tumeurs prélevées chez les patients, on essaie quand même d’en garder le plus possible. Les anatomopathologistes reçoivent les tissus prélevés lors de l’intervention ou d’une petite biopsie. Ils font les découpes nécessaires au diagnostic et conservent les résidus en tumorothèque dans des congélateurs à -80°C pendant des années, ce qui présente un intérêt à la fois pour la recherche et pour le patient.